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Message Publié : 18 Jan 2017 22:21 
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Thucydide
Thucydide

Inscription : 24 Mars 2008 15:04
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Narduccio a écrit :
Nico69 a écrit :
Ca m'a tout l'air d'une entreprise idéologique cette Histoire mondiale de la France. Mais après tout pourquoi pas. Un débat au sein de la communauté des historiens français va peut-être commencer entre ceux qui veulent diluer l'histoire nationale pour à tout prix faire place à l'Autre, et ceux qui ne voient pas les choses de la même manière. Ca pourrait être intéressant.


Ceux qui ne verraient pas les choses de la même manière seraient les tenants du Roman National ?

J'estime qu'il y a au mieux 3 "histoires". Il y a une histoire universitaire, racontée en croisant les sources : documents de l'époque, témoignages, études des antécédents et des évènements postérieurs.

Il y a ensuite une histoire que l'on pourrait qualifier de "testimoniale", celle des personnes qui ont vécu ou participé à un évènement, ou des gens qui portent cette histoire par la suite. C'est une histoire partielle et partiale, car ceux qui "font" l'histoire ne voient que leur point de vue. Et c'est celui-là qu'ils racontent et que parfois, ils justifient à tout prix.

Il y a une 3ème histoire, construire des brides d'actualités qu'il reste dans la tête des gens. Encore plus partielle, encore plus

partiale, un embrouillamini d'impressions, d'opinions, qui ne devraient pas résister à une analyse tant soit peu sérieuse des évènements.

Je comprends que les universitaires défendent leur vision de l'histoire. Cela m'étonne que quand ils le fassent, on leur prête une démarche "idéologique". Forcement, en expliquant les choses, ils vont à l'encontre de toutes ces visions partielles et partiales. Effectivement, si c'est équilibré, ils froisseront autant à droite qu'à gauche. Mais, ils froisseront et on les taxera d'avoir une démarche "idéologique". Justement car ils ne se couleront pas dans un moule idéologique


Ce n'est parce que cela vient d'universitaire que c'est scientifique. Les diverses conception marxistes de l'histoire qui ont eu leur heure de gloire venaient aussi de l'université.

Pour parler rigoureusement et plus précisément il ne faut déjà pas parler des universitaires (qui ne sont pas un partis uniforme) dont ce livre serait la traduction ou l'expression. Il ne l'est aucunement.

Ce livre est l'expression d'une pensée, d'une conception marquée de l'histoire qui est celle de ces auteurs, que l'on peut d'ailleurs débattre. Il ne représente en rien la communauté universitaire dans son ensemble ni représente une quelconque autorité scientifique.


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Message Publié : 18 Jan 2017 22:31 
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Calliclès a écrit :
Ce n'est parce que cela vient d'universitaire que c'est scientifique. Les diverses conception marxistes de l'histoire qui ont eu leur heure de gloire venaient aussi de l'université.

Pour parler rigoureusement et plus précisément il ne faut déjà pas parler des universitaires (qui ne sont pas un partis uniforme) dont ce livre serait la traduction ou l'expression. Il ne l'est aucunement.

Ce livre est l'expression d'une pensée, d'une conception marquée de l'histoire qui est celle de ces auteurs, que l'on peut d'ailleurs débattre. Il ne représente en rien la communauté universitaire dans son ensemble ni représente une quelconque autorité scientifique.


Excusez-moi, j'ignorais que j'aurais à faire avec des coupeurs de cheveux en 4, voire en 16. Il me semblait logique que lorsque je parlais de travaux universitaires, je parlais de travaux qui suivent pleinement les règles de la démarche scientifique. Tellement évident que je ne pensais pas que quelqu'un pourrait penser que ce n'est pas le cas et déformer tellement mes propos. En plus, faire l'amalgame entre mes propos et la démarche des auteurs du livre. Effectivement, on peut et on doit en débattre, mais il faudrait commencer par ne pas faire de l'amalgame, tout mélanger pour que cela ne veuille plus rien dire et dénoncer des choses qui n'existent pas. Je vous prierais donc de faire l'effort de lire exactement cer que j'ai écrit et de ne pas essayer de déformer mes propos.

Mais, puisqu'il faut préciser : démarche universitaire selon les principes utilisés actuellement, je pense que l'on peut définir qu'il s'agit bien d'une démarche scientifique. On parle bien de ce qui se pratique de nos jours en France et pas des pratiques qui avaient cours dans l'ex-URSS du temps de sa splendeur.

_________________
Une théorie n'est scientifique que si elle est réfutable.
Appelez-moi Charlie


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Message Publié : 19 Jan 2017 19:20 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 13 Mars 2010 20:44
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Forumeurs un p'tit effort
Boucheron ce soir sur France 5
La Grande Librairie à 20h50

_________________
il pleuvait, en cette Nuit de Noël 1914, où les Rois Mages apportaient des Minenwerfer


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Message Publié : 20 Jan 2017 0:28 
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Jean Froissart
Jean Froissart
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Merci d'avoir signalé l'émission que j'ai donc regardée.

François Busnel a demandé ce qui distinguait l'historien du philosophe, et en l'occurrence Boucheron de Onfray. Ce dernier a répondu qu'il ne voyait pas de différences importantes, car lui aussi vérifiait ses sources et acceptait les documents n'allant pas dans son sens guidé par un souci d'objectivité. Puis Onfray, à la demande de Busnel, a développé un long résumé du christianisme à travers les siècles. Busnuel s'est tourné vers Boucheron, lequel a sorti une réplique très brillante, disant à peu près ceci : "Nous n'avons pas le même rayon de courbure." J'ai ri parce que c'était une manière très délicate pour dire que ceux qui ne se spécialisent pas ne peuvent pas faire un travail vraiment sérieux, ou qui trop embrasse mal étreint.


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Message Publié : 20 Jan 2017 16:30 
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Localisation : Nantes
bourbilly21 a écrit :
Forumeurs un p'tit effort
Boucheron ce soir sur France 5
La Grande Librairie à 20h50

J'ai trouvé le "débat" assez décevant. Onfray était brillant (presque trop, comme toujours) mais sa thèse ne s’appuyait sur aucune démonstration véritable. Boucheron était très (trop) poli et ne cherchait pas à ferrailler avec Onfray probablement parce que dès le départ il avait bien compris que ce genre de joute n'avait pas trop de sens vu qu'ils ne combattaient pas dans la même catégorie et qu'au final il risquait de s'y desservir. Au final, on a eu une vision très superficielle des deux ouvrages qui ne m'a donné pas vraiment donné envie d'acheter l'un ou l'autre.

_________________
"Lisez, éclairez-vous, ce n'est que par la lecture qu'on fortifie son âme." - Voltaire
"Historia vero testis temporum, lux veritatis, vita memoriae, magistra vitae." De oratore - Cicéron


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Message Publié : 02 Fév 2017 15:57 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

Inscription : 18 Avr 2015 15:58
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Localisation : Kaamelott
L'ethnocentrisme à l'envers a été lu.
Est revendiqué dans la préface un projet engagé, politique et motivé par l'actualité du moment : "ressaisir la diversité" pour contrer "l'étrécissement identitaire" ; au passage on oublie pas Braudel "La France se nomme diversité".
Ce n'est donc pas -j'étais ivre de chauvinisme- le rayonnement de la France sur les continents mais un "décalage", un "débord" : il est donc idiot de penser l'histoire d'un pays comme une lutte pour défendre ses frontières.
On se souvient soudain d'un autre bouquin de Boucheron : "Faire profession d'historien"... A méditer.
La mode de la déconstruction n'emballe pas Boucheron, pourquoi tenter d'en différer la fin ?
Il faut bien qu'il y ait des bords pour "déborder", des limites pour délimiter et pour examiner de l'extérieur, un intérieur semble louable.
La préface voulait "déjouer" les récits, c'est illusoire car au final ces narrations bien familières -se pliant à l'ordre chronologique- sont un charmant rappel de notre Histoire.

_________________
"L'histoire remplit le vide du présent et se transforme elle-même en espérance !"


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Message Publié : 03 Fév 2017 21:17 
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Polybe
Polybe

Inscription : 21 Sep 2010 13:45
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Je trouve ces opinions sur cet ouvrage terriblement intéressants. D'abord intéressants sur les opinions émises : l'Histoire reste un sujet polémique, avec un récit auquel, selon un certain nombre de personnes, on ne devrait pas toucher, au risque de la perdre... surtout lorsqu'il s'agit de l'Histoire nationale. D'ailleurs Zemmour a réagi à cet ouvrage... pas en bien...

Et puis c'est un débat intéressant sur la vision de l'Histoire. L'Histoire n'est pas unique, seule, solitaire... Beaucoup de gens ont tendance à penser l'inverse. Il n'y a pas un grand Historien (avec un grand H) qui écrit l'Histoire une bonne fois pour toute... et heureusement pour nous. C'est ce qui fait le sel de l'Histoire : on cherche, on trouve un nouveau truc, ou des trucs qui ne remettent rien en cause, ou bien un petit quelque chose qui permet d'éclairer autrement... et parfois on essaie seulement d'éclairer des faits d'une nouvelle lumière... Je crois que c'est ce qu'a voulu faire Boucheron... Il n'a certainement pas voulu faire écrire une Histoire ultime de la France... Eclairer l'Histoire de France en l'éclairant d'un point de vue mondial... connecter l'Histoire nationale au reste du monde... Je trouve cela assez génial (mais je suis un fan de Boucheron).

Rappelons-nous que celui dont pas mal de personnes font l'éloge de son "roman national", Lavisse, était quand même un promoteur de l'Histoire scientifique, qui cherche, tente d'éclairer des faits différemment... Si par la suite, on s'est servi de son Histoire de France pour écrire les manuels pour les petits écoliers, il est d'abord celui qui montre que l'Histoire s'écrit en fonction du regard et des sources que l'on utilise...

Le roman national, c'est chouette, c'est joli, mais il faut parfois en dépasser les limites pour le regarder différemment...


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Message Publié : 04 Fév 2017 9:19 
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Thucydide
Thucydide

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Un article passionnant que met le bouquin dans un contexte plus large : http://www.lemonde.fr/idees/article/201 ... _3232.html

En entier :
"Déjà 50 000 exemplaires sortis en trois semaines et trois réimpressions… C’est incontestablement un petit événement, déclenché par un ouvrage qui a rassemblé 122 historiens. Histoire mondiale de la France (Seuil, 800 pages, 29 euros) s’est hissé dans les meilleures ventes d’essais dès son lancement, se classant même, le jour de sa parution, juste derrière la réédition en couleurs de Tintin au pays des Soviets dans les commandes d’Amazon. Le directeur de l’ouvrage, Patrick Boucheron, professeur au Collège de France et chroniqueur au « Monde des livres », a placé le projet sous l’égide d’un illustre ancêtre, Jules Michelet : « Ce ne serait pas trop de l’histoire du monde pour expliquer la France. »

L’ouvrage déploie une histoire nationale d’un genre nouveau, montrant la lente formation de la France dans les ruptures et les discontinuités, insistant sur les hommes et les influences venus d’ailleurs ou partis d’ici, écornant quelques mythes à la vie dure. Il ne s’est rien passé à Poitiers en 732, sinon une escarmouche avec les sarrasins comme il y en eut des dizaines d’autres (et d’ailleurs elle n’eut pas lieu à Poitiers) ; saint Martin, l’un des patrons de la Gaule chrétienne, venait de Hongrie ; et la France libre de De Gaulle fut plus africaine que londonienne.

Le succès témoigne d’une aspiration au renouvellement de l’image de la France. Il manifeste aussi la réussite de l’offensive menée par les historiens de métier. Réunis le 14 janvier au Théâtre de la Colline, à ­Paris, ils étaient des dizaines à fêter la parution de l’ouvrage auquel ils avaient contribué. Si vous leur aviez dit, ce jour-là, qu’ils formaient un bataillon, ils auraient haussé les sourcils. Et peut-être même les auraient-ils froncés. L’heure, par cet après-midi d’hiver, est tout à la joie d’avoir fait œuvre collective.

FACE À DES « CONTEURS PEU SCRUPULEUX »

Comment le récit d’une France ouverte sur le monde pourrait-il être un acte de guerre ? Patrick Boucheron, sur scène, raconte d’ailleurs le plaisir de se rassembler pour « construire un nous qui respire un peu mieux ». Mais il parle aussi de reconquête, d’une histoire de France longtemps laissée à des « conteurs peu scrupuleux ». On ne nomme personne mais, dans la salle, tout le monde comprend l’allusion.

Ces conteurs à succès, ce sont Lorànt Deutsch ou Jean Sévillia, Dimitri Casali ou Eric Zemmour. Certains de leurs livres, tel Métronome. L’histoire de France au rythme du métro parisien (Michel Lafon, 2009), du premier, se sont vendus par centaines de milliers. Ils y pratiquent une histoire à l’ancienne, à des fins de glorification d’une France éternelle dont ils chantent le génie, chérissent les batailles et les hommes providentiels.

Leur histoire de France est linéaire et glorieuse, familière et fictive : c’est le fameux « roman national » qu’à l’époque de la présidence de Nicolas Sarkozy son conseiller ­Patrick Buisson tentait d’imposer. Comme l’explique dans son ouvrage La Cause du peuple (Perrin, 2016) le directeur de la chaîne Histoire, il s’agissait de « redonner aux Français la fierté de s’inscrire dans ce grand poème lyrique, dans ce trésor d’intelligence et d’héroïsme qu’était leur histoire à travers, selon la célèbre formule de Renan, “le souvenir des grandes choses faites ensemble” ».

« LA GAUCHE INTELLECTUELLE CONTRE-ATTAQUE »

« Aucun chercheur ne peut acquiescer aux propos d’Eric Zemmour sur l’histoire. Il y a une séparation entre la recherche et l’idéologie », commente l’historien Etienne Anheim.
C’est donc en partie à cela que répond le projet porté par Patrick Boucheron. La rigueur historique se voit mise au service d’un récit vivant, pouvant faire concurrence aux visions monolithiques et identitaires de l’histoire de France. D’ailleurs, en face, on ne s’y trompe pas. Dans Le Figaro, l’académicien Alain ­Finkielkraut, auteur de L’Identité malheureuse (Stock, 2013), s’insurge : « Pour les nouveaux historiens, mondialiser la France, c’est dissoudre ce qu’elle a de spécifique (…) dans le grand bain de la mixité, de la diversité, de la mobilité et du métissage. » Dissolution, tranche aussi le polémiste Eric Zemmour dans le même journal, croyant pouvoir constater le retour du « clivage si français entre le parti de la France et le parti de l’Etranger » en des termes directement empruntés à l’extrême droite. C’est « la guerre de l’histoire », claironne-t-il.

Jean-Christophe Buisson, directeur adjoint du Figaro Magazine, auteur lui-même de livres d’histoire, précise les enjeux : « Depuis quelques années, les grands succès de librairie sont ceux de Max Gallo, Lorànt Deutsch, Stéphane Bern, Franck Ferrand, Jean Sévillia : le public suit ces auteurs-là. La gauche intellectuelle a voulu contre-attaquer. Et comment elle contre-attaque ? En faisant un livre un peu moins universitaire. Elle a trouvé une parade à l’artillerie lourde qu’il y avait en face. Elle a lancé son obus. » Alors oui, c’est bien, à l’en croire, « un acte de guerre ». Avec Patrick Boucheron dans le rôle du général ? La personne de l’historien du Collège de France cristallise les passions.

UN « PHÉNOMÈNE BOUCHERON »

Elu en 2015 à 50 ans, ce qui est jeune pour cette vénérable institution, il s’est imposé comme une figure de savant mais aussi comme un intellectuel, requis par le contemporain. Sa leçon inaugurale, en décembre 2015, donna le ton : « Il faut sans se lasser et sans faiblir opposer une fin de non-recevoir à tous ceux qui attendent des historiens qu’ils les rassurent sur leurs certitudes, cultivant sagement le petit lopin des continuités. »

Histoire mondiale de la France n’aurait pas provoqué de telles mobilisations en sa faveur et contre elle si elle n’était liée aussi fortement à sa personne, juge l’historien Jacques Revel, ancien président de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) : « Depuis un an et demi, il y a un phénomène Boucheron. Il est devenu l’historien de référence à qui on demande tout et il l’accepte avec une énergie formidable. Il est en plus au sommet symbolique de la hiérarchie académique ; avoir écrit une histoire mondiale de la France depuis le Collège de France, cela le rend, aux yeux de ses adversaires, et notamment d’un académicien français comme Alain Finkielkraut, encore plus irritant. »

Ce qui frappe, autour de lui, c’est « la montée en puissance d’une classe d’âge », ajoute cet historien qui a participé au rayonnement de l’école des Annales avec Jacques Le Goff. Une génération à la manœuvre, une « jeune garde » qui prend la lumière – et pas qu’au Théâtre de la Colline –, démontrant la bonne santé de la discipline, à l’heure où il est de bon ton de déplorer la baisse du niveau intellectuel de la France.

REPRENDRE LA MAIN AUX PRODUCTEURS D’HISTOIRE

Ces quadragénaires de l’université ou des instituts de recherche sont entrés en fonctions au moment où des historiens non professionnels – des « people » aux yeux de leurs plus féroces critiques – occupaient déjà, beaucoup plus fortement qu’avant, le terrain médiatique et éditorial. Certes, une histoire populaire a toujours existé, celle d’Alain ­Decaux ou d’André Castelot. Mais sa nouvelle version promeut une vision réactionnaire de la France. Offensive, elle maîtrise l’art du buzz comme du coup éditorial et occupe les plateaux de télévision quand l’histoire savante a quasiment disparu des programmes – et, avec elle, l’historien de métier qui pouvait au temps d’« Apostrophes », de 1975 à 1990, espérer rencontrer un public plus large que les cercles universitaires, comme ce fut le cas ­d’Emmanuel Le Roy Ladurie, de Jacques Le Goff, de Fernand Braudel ou d’Alain Corbin.

Si le succès d’Histoire mondiale de la France se confirme, cette génération peut espérer reprendre la main face aux producteurs d’histoire. « S’il faut parler de guerre, alors disons que c’est une razzia, l’esprit serait plutôt celui d’une percée dans les lignes adverses », dit Patrick Boucheron. Il revendique d’ailleurs le caractère joyeux et collectif de l’entreprise, le contraire « de cette attitude virile d’écrire crânement l’Histoire. Les identitaires sont dans la solitude, l’héroïsme, la mélancolie. Pas nous ». C’est la seule dimension politique, selon lui, car, insiste-t-il, « le choix des auteurs pour l’Histoire mondiale s’est fait sur une communauté de méthodes, pas de valeurs ». Les 122 contributeurs ne sont en effet pas tous de gauche.

« S’il faut parler de guerre, alors disons que c’est une razzia, l’esprit serait plutôt celui d’une percée dans les lignes adverses », dit Patrick Boucheron
L’engagement est d’ordre intellectuel, dans l’envie d’une « histoire mondiale », c’est-à-dire d’une histoire qui s’intéresse aux circulations (d’hommes, d’idées, de produits). « Il n’y a pas de décalque entre la position historiographique et la posture politique », poursuit le directeur du projet. Ce qui signifie que si contestation il y a, elle doit se faire à l’intérieur des règles de la discipline. « Même s’il peut exister des désaccords scientifiques avec l’approche d’un tel livre, aucun chercheur, quelle que soit sa sensibilité politique, ne peut acquiescer aux propos d’Eric Zemmour sur l’histoire. Il y a une séparation entre la recherche et l’idéologie », rappelle pour sa part le médiéviste Etienne Anheim, contributeur de l’Histoire mondiale… Tous unis derrière une seule bannière : l’histoire comme discipline et comme méthode.

RÔLE DE CLARIFICATION

Ce front uni, les historiens l’ont déjà expérimenté à plusieurs reprises. Car les voilà interpellés, depuis une douzaine d’années, par les récupérations politiques du passé national. L’année 2005 est probablement un tournant : en l’espace de quelques mois, elle voit un historien de l’esclavage, Olivier Pétré-Grenouilleau, être poursuivi devant les tribunaux (pour avoir violé la loi du 10 mai 2001, dite loi Taubira, reconnaissant la traite et l’esclavage comme crimes contre l’humanité), puis des parlementaires légiférer sur « l’aspect positif » de la colonisation (article 4 de la loi de février 2005, finalement abrogé).

« Il faudrait analyser, suggère Etienne Anheim, la façon dont, depuis près de quinze ans, des petits groupes de pression politiques, de droite comme de gauche, depuis les mouvances réactionnaires des parents d’élèves jusqu’aux associations communautaristes en passant par des figures comme Zemmour ou ­Finkielkraut, ont remis le passé national au centre des débats publics et pris en otage l’histoire d’une manière assez inattendue pour les chercheurs. » Pour Jean-Christophe Buisson, « la guerre » a commencé avec la loi Taubira (votée en 2001) et le refus, en 2005, de Dominique de Villepin, alors premier ministre, de commémorer la victoire napoléonienne d’Austerlitz.

Quoi qu’il en soit, des historiens décident alors de s’organiser contre ces usages intempestifs de leur matière. En 2005 se crée une association, le Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUH), autour de Gérard Noiriel, première manifestation publique et collective d’une mobilisation contre des récupérations politiques de l’histoire. Dorénavant, ils entendent bien, dans une approche militante, jouer un rôle de clarification, d’autant plus que le mandat présidentiel de Nicolas Sarkozy (2007-2012) n’est pas de tout repos. « Ça s’accélère en 2007, dit Laurence De Cock, membre du CVUH depuis ses débuts, Nicolas Sarkozy sème la confusion en puisant ses références à gauche comme à droite. »

UN COMBAT À ARMES INÉGALES

Le président de la République pratique alors ce que son conseiller Henri Guaino a théorisé comme la « désaffiliation » : enrôler dans ses discours des figures historiques de gauche, tel Jean Jaurès ou Guy Môquet, dont il fait des icônes, balayant leur appartenance au camp des progressistes. Il a, à cette date, déjà formé un « ministère de l’immigration et de l’identité nationale », alors que de nombreux historiens contestent cette notion d’« identité nationale ».

« Les historiens et les enseignants sont à la peine car leur récit est moins simpliste que celui d’en face, donc moins galvanisant », juge l’historienne Laurence De Cock
Ils réagissent avec une série d’ouvrages d’intervention, d’abord A quoi sert l’« identité nationale », de Gérard Noiriel (Agone, 2007), Comment Nicolas Sarkozy écrit l’histoire de France, dirigé par un collectif issu du CVUH (Agone, 2008), ou L’Histoire bling-bling, de Nicolas ­Offenstadt (Stock, 2009). Puis, en 2013, Les Historiens de garde (Inculte, rééd. Libertalia en 2016) : enquête sur l’analyse de l’influence médiatique du roman national, l’ouvrage de William Blanc, Aurore Chéry et Christophe Naudin sonne l’alarme contre les replis identitaires.

C’est donc bien à une guerre de position que l’on assiste. A armes inégales cependant, juge Laurence De Cock : « Les historiens et les enseignants sont à la peine car leur récit est moins simpliste que celui d’en face, donc moins galvanisant. »Depuis quinze ans, symptôme de cette difficulté, les ventes d’ouvrages écrits par des universitaires « s’effondrent »,souligne l’historien Sylvain Venayre, spécialiste du XIXe siècle. C’est bien pourquoi l’envie d’essayer une autre stratégie se fait jour. On peut ouvrir un nouveau front.

CHANGER LES MÉTHODES D’ÉCRITURE

Jusqu’à présent, face aux appropriations politiques de l’histoire, la profession luttait « depuis l’intérieur », en intervenant dans le débat à coups de pétitions, de tribunes, de comités d’action et d’essais. Pourquoi ne pas lutter aussi « à l’intérieur », en changeant les méthodes d’écriture : « Renoncer au jargon, séduire par le style, investir de nouveaux genres comme l’enquête journalistique, le roman, la photographie » ? Pourquoi ne pas répondre, en un mot, par l’histoire elle-même ? Sylvain Venayre est d’ailleurs en passe de signer, avec Etienne Davodeau, le premier volume d’une Histoire dessinée de la France. Mais chercher de nouvelles formes et faire preuve d’imagination, c’est bien aussi la voie qu’a choisie Histoire mondiale…

Retour au Théâtre de la Colline, le 14 janvier : « Toujours plus scrupuleux, nous, les historiens, avons cherché à déconstruire, à décoder, à désintoxiquer. Mais au fond c’est épuisant, et de plus en plus inefficace, lance Patrick Boucheron. Et surtout, on devient soi-même réactionnaire à force de réagir sans cesse à ceux qui le sont ouvertement. » Le réactionnaire n’est-il pas celui qui « réagit » ? Changement de pied, donc. Face aux mythes ou aux manipulations, à côté de la critique – toujours nécessaire mais souvent un peu décevante –, il faut tenter le réenchantement de l’histoire.

C’est, par exemple, partager avec le grand public les fruits de la recherche historique telle qu’elle se mène depuis une quinzaine d’années dans les universités du monde entier. Faire circuler les acquis de cette révolution à l’intérieur de la discipline qu’on appelle l’« histoire globale » ou l’« histoire mondiale ».

VISION OUVERTE CONTRE VISION FERMÉE

Elle peut produire des récits tout aussi entraînants que les productions « grand public ». D’autant plus intéressants qu’ils sont neufs – c’est l’avantage que possède l’histoire sur le roman national : elle est pleine de surprises puisqu’elle est une réflexion sans cesse renouvelée sur l’évolution des sociétés humaines. On croise Rachi, un rabbin troyen du XIe siècle qui, à bien des égards, peut être considéré comme le premier grand auteur français ; on tremble devant un virus du choléra arrivé par les côtes de la mer du Nord et changeant, dans les années 1930, la donne et la forme de la politique française.

Et ne nous voilons pas la face : paru opportunément en période de campagne électorale pour la présidentielle, le livre doit une partie de son succès précisément à ce moment où les positions se durcissent et où la France « est justement en train de se demander si elle va rester une société ouverte sur le monde ou si elle va se replier ». C’est ce que remarque, depuis Oxford, l’historien britannique Sudhir Hazareesingh. L’auteur d’un essai sur la France intellectuelle, Ce pays qui aime les idées (Flammarion, 2015), voit dans l’émoi provoqué par le livre la réapparition d’un clivage bien français – qui a succédé à l’antagonisme opposant « révolutionnaires » et « contre-révolutionnaires » – entre une vision ouverte et une vision fermée de la société. « Cette fracture a, en France, une forte composante culturelle. Cela explique que l’affrontement puisse se faire autour d’un livre. »

En somme, ce n’est pas une simple bataille rangée entre historiens et « conteurs » qu’a déclenchée la parution du livre. Ni entre droite et gauche. C’est plutôt l’affrontement entre deux visions de la France, fondées sur des rapports au monde, au passé et au savoir complètement différents qui s’y cristallise. Et voilà comment une histoire mondiale devient un enjeu hexagonal."


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Message Publié : 04 Fév 2017 9:59 
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Pierre de L'Estoile
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Citer :
Il ne s’est rien passé à Poitiers en 732, sinon une escarmouche avec les sarrasins comme


Je connais un peu le monde universitaire. Il n'y a pas de mots pour décrire l'aveuglement de ces intellectuels de gauche qui tressaient des louanges à Mao et à Staline dans les années 1960 et qui maintenant se reconvertissent dans le multiculturalisme !
:mrgreen: :mrgreen:

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Le souvenir ne disparait pas, il s'endort seulement.
Epitaphe trouvée dans un cimetière des Alpes

La science de l'histoire est une digue qui s'oppose au torrent du temps.
Anne Comnène, princesse byzantine (1083-1148)

Le passé fait plus de mal que le présent
Proverbe Albanais


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Message Publié : 04 Fév 2017 10:13 
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Thucydide
Thucydide

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Sans tomber dans cet excès d'antigauchisme primaire, étonnant à trouver ci, c'est l'une des réserves que j'ai sur le livre. Surtout que l'ouvrage que j'ai coécrit sur le sujet (avec William Blanc), cité dans la biblio de l'article, montre que, si ce n'est pas à proprement parler une "bataille décisive ayant arrêté les Arabes et empêché une invasion" (pour reprendre la vulgate nationaliste), ce n'est pas non plus une escarmouche, vu qu'il y avait probablement plusieurs centaines (au bas mot) de combattants de chaque côté, et que le gouverneur arabe a été tué...
Cet article donne une vision que Sénac appelle "minimaliste" de la bataille, ce qui le fait un peu tomber dans l'excès inverse de ce que le livre dénonce.

Mais cette réserve, et bien d'autres, ne nuit pas au caractère général du projet, qui est rafraichissant et globalement très solide scientifiquement.

PS : ces intellectuels de gauche, auteur(e)s de ce livre étaient tout jeunes, voire pas nés, dans les années 60. Et connaissant aussi le milieu, ils sont loin d'être tous des "gauchistes"...C'est aussi ce qui fait la force de l'ouvrage collectif.


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Message Publié : 04 Fév 2017 10:26 
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Pierre de L'Estoile
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Localisation : Lyon-Vénissieux
C'est vrai que j'ai poussé le bouchon un peu loin. ;)
De toute façon n'ayant pas lu le livre je suis mal placé pour le commenter. ;)

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Le souvenir ne disparait pas, il s'endort seulement.
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La science de l'histoire est une digue qui s'oppose au torrent du temps.
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Message Publié : 04 Fév 2017 10:57 
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Inscription : 20 Juin 2003 22:56
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Localisation : Provinces illyriennes
Je suis assez heureux qu'on range, enfin, ces auteurs - qui infestent, malheureusement, les rayons de livres dans les mauvaises librairies et les grandes surfaces - dans la catégorie qui est la leur : celle des "conteurs".
Quant au bouquin, j'ai lu quelques parties - d'un ensemble assez indigeste, car trop compartimenté à mon sens et peu pédagogique (les "conteurs" sont meilleurs là-dedans et c'est bien là le problème !) - et je ne vois pas grand chose de neuf sous le soleil. Il faut arrêter d'encenser ce qui devrait être "normal" et correspond au travail des chercheurs. Cela en dit long sur l'inculture profonde du journaliste qui a écrit cet article...
Cela dit, il serait intéressant que ce genre d'ouvrage bénéficie de la même visibilité que les âneries sur papier glacé d'un S. Bern ou d'un F. Ferrand.
L'histoire anecdotique - qu'on peut parvenir à instrumentaliser bien entendu - me semble avoir encore de longs jours devant elle du fait de sa simplification extrême et des vecteurs qu'elle emprunte. L'Histoire explicative - qui souffre des mêmes risques que la première... - aura toujours cette longueur de retard.
Cependant, il faut qu'elle existe, même imparfaite, dans le cas contraire il n'y aurait qu'une source particulièrement détestable à disposition.

Une remarque en passant sur Lavisse : il a rédigé des ouvrages scolaires sur commande officielle et ne peut avoir écrit un "roman national" que Pierre Nora conceptualise un siècle après. Si discutable soit la démarche - mais n'oublions pas que cela s'est fait dans un contexte d'enracinement de la République et d'un combat contre les monarchistes -, il est vrai que l'universitaire allait jusque dans les classes de l'école élémentaire. On le voit peu aujourd'hui et c'est un grand manque à mon sens, qui n'est pas sans conséquences sur les piles de livres disponibles dans certaines librairies.
A quand un cours de ces auteurs devant des CM2 ou des 4èmes ?

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Un peuple sans âme n'est qu'une vaste foule
Alphonse de Lamartine


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Message Publié : 04 Fév 2017 11:27 
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Thucydide
Thucydide

Inscription : 23 Mars 2013 8:08
Message(s) : 52
Oui, cela devrait être normal, mais ça ne l'est pas si on se place du point de vue du grand public. D'où l'intérêt de l'ouvrage. Evidemment que la plupart des universitaires et des amateurs d'histoire informés ne vont pas apprendre grand chose en le lisant, mais le public visé est différent.
Après, est-ce que ça touchera vraiment le même public que les publicistes critiqués, on verra avec le temps. Les chiffres de vente sont bons en tout cas, et la couverture médiatique étonnante pour ce type de bouquin. Boucheron était même hier chez Barthes (Yann)...


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Message Publié : 04 Fév 2017 13:06 
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Polybe
Polybe

Inscription : 07 Avr 2016 8:06
Message(s) : 86
cnaudin a écrit : "vu qu'il y avait probablement plusieurs centaines (au bas mot) de combattants de chaque côté, et que le gouverneur arabe a été tué..."

Bien sûr ! N'oublions pas les travaux de feu le Pr Jean Bernard, qui ont montré à la fin du siècle passé que la présence "sarrasine" dans le Poitou a influencé l'héritage génétique des natifs du lieu. Notamment, le groupe sanguin dominant des envahisseurs leur a été transmis, et, encore aujourd'hui, les Poitevins diffèrent de ce point de vue de la population générale par leur taux du groupe sanguin caractéristique des populations sémitiques. Cela ne peut pas s'être produit sans la présence d'un grand nombre de "Sarrasins"...

L'historien ne peut pas éliminer un tel apport d'un revers de main.

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Felix qui potuit rerum cognoscere causas.
Virgile, Géorgiques


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Message Publié : 04 Fév 2017 14:13 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

Inscription : 16 Jan 2010 19:18
Message(s) : 2953
il serait aussi intéressant de savoir ce que donnerait une telle étude du côté de Voiron,où,selon une vieille tradition une grosse bande pourchassée se serait fixée finalement.....J'avais lu cela gravé sur une pierre,dans cette cité ,jadis...


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