J'ai en effet lu une bonne partie des 37 pages de ce fil. Je vous fais donc ma réponse plus ou moins définitive. Ma dernière question, portant sur les violences faites aux enfants, n'était pas que de principe : il n'y a pas eu, en Vendée, de volonté délibérée, contrairement aux trois grands génocides du XXeme siècle, d'éteindre une "race" en effaçant sa jeunesse. Des enfants ont été tués, délibérément, mais ce n'était pas systématique. À mes yeux, si l'on veut tenter une comparaison avec des événements d'autres périodes, je dirais que ces massacres ont plus à voir avec Ouradour-sur-Glane qu'avec la Shoah. Ce sont des cruautés de guerre (1). Au cours d'un des plus grands drames de la guerre de Vendée, le massacre d'Avrillé, il n'y a pas une seule victime de moins de 16 ans.
Ceci posé, ma réponse, de fond. Qui porte sur la méthode.
Avant tout, il me semble qu'il y a un biais qui empêche tout accord entre les participants. Et cela tient, cela a été dit, à la définition même du génocide que les partisans d'un "génocide vendéen", comme Drouet Cyril, adoptent, qui est celle du code pénal.
Citer :
Constitue un génocide le fait, en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d’un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, de commettre ou de faire commettre, à l’encontre des membres de ce groupe, l’un des actes suivants : atteinte volontaire à la vie, atteinte grave à l’intégrité physique ou psychique… » Art. 211-1.
Cette définition du génocide est tellement large qu'elle peut sanctionner a peu près n'importe quel massacre de grande ampleur à travers l'histoire - elle ouvre le flanc a des contradictions qui ont été faite à plusieurs reprises : la Saint Barthélémy, la croisade contre les Albigeois ou les guerres indiennes aux Etats-Unis seraient bien des génocides si l'on suivait cette définition pénale du génocide. Elle embrouille la conversation et rend tout accord impossible.
Pour utiliser le concept de génocide en histoire, il faudrait lui donner une définition historienne et non pas juridique. Je vous propose d'adopter celle d'Annette Becker, qui l'exprime en ces termes :
"Lemkin nous permet de saisir la spécificité des génocides du XXème siècle par rapport aux massacres de l’histoire : la mort n’y est plus un moyen mais une fin en soi." (2)
Qu'est-ce que cela veut dire ? Que le massacre génocidaire n'est pas organisé pour accomplir un objectif déterminé, politique ou militaire, mais que les victimes sont assassinées par le seul fait d'être ce qu'elles sont. Il peut y avoir des prétextes, et bien souvent c'est le "complot" supposé, fantasmé, mais en dernière analyse, le génocidaire tue essentiellement parce qu'il veut la mort de sa victime désignée. La motivation est presque exclusivement la haine de l'autre, à travers ses représentations. Cette définition a l'avantage de ne pas tenir compte de l'ampleur des massacres dans la notion de génocide, et donc de ne pas ouvrir le flanc a des contradictions portant sur le nombre de morts. On peut avoir un génocide avec 10000 morts comme avec 2 millions.
Cette définition a également le mérite de cadrer les trois "grands" génocides du XXeme siècle : Arméniens, Juifs et Tutsis. Elle a le mérite de clairement exprimer la volonté génocidaire, et évite d'élargir l'idée de génocide de manière déraisonnable.
Hors, si l'on accepte cette définition, qui est historienne et non juridique, on ne peut plus dire que la Saint Barthélémy, la croisade contre les Albigeois, les guerres indiennes ou la guerre en Vendée, même en 1793-1794, étaient des génocides. Pour la seule raison qu'il y avait dans tous les cas un objectif déterminé, et pour la Vendée en particulier, il s'agissait de réduire l'insurrection. Si les Vendéens avaient rendu les armes, les massacres auraient immédiatement cessé.
Les troupes républicaines ont bien accompli des massacres, des cruautés de guerre, à grande échelle, et les discours exprimaient bien une radicalité extrême, mais ils accompagnaient des buts de guerre déterminés : ce n'étaient pas les Vendéens "en tant que Vendéens" qui étaient visés, mais bien "les insurgés Vendéens" - en tant qu'insurgés. Avec leurs familles, leurs maisons, leurs terres, mais identifiés comme rebelles avant tout.
Si vous maintenez, Drouet Cyril, votre attachement à la définition juridique du génocide, oui, la Vendée est un génocide. Et les guerres indiennes, et la Saint Barthélémy, et la croisade contre les Albigois, et un millier d'autres massacres dans l'histoire. Et les trois grands génocides du XXeme siècle ne se distinguent plus que par leur ampleur.
Si vous acceptez celle d'Annette Becker (et de Lemkin d'ailleurs, qui a inventé le mot), il vous faudra admettre que la guerre de Vendée n'est pas un génocide par la présence même de buts de guerre et d'une fin des opérations subordonnée à celle de la répression de l'insurrection. Dans un génocide, le massacre ne peut être interrompu que par une intervention extérieure, ou l'extinction quasi-complète des victimes.
Lorsqu'un député écrivait qu'il fallait massacrer les Vendéens jusqu'au dernier, il entendait bien massacrer jusqu'à ce qu'il ne reste plus un insurgé vivant - et non pas un Vendéen vivant. Que quelque chose ait pété au casque de Turreau ou Carrier ne dit pas que la Vendée était un génocide, mais que Turreau et Carrier était deux monstres sanguinaires, qui n'avaient rien à envier aux pires criminels de l'histoire.
Si je ne vous ai pas au moins fait douter de la pertinence de vos prolégomènes, alors je rends les armes - c'étaient mes dernières cartouches.
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(1) Sur la cruauté et les violences de guerre (et non "crimes de guerre", définition pénale), voir par exemple Stéphane Audoin-Rouzeau.
https://www.canal-u.tv/video/universite ... oque.12928(2)
http://stanford.edu/dept/france-stanfor ... French.pdf