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melpomène a écrit :
Sans prétendre participer à un débat auquel je ne pourrais pas apporter grand chose, il me semble tout de même qu'il y a une forme d'incompréhension entre les participants...
Ceci me semble normal car plusieurs approches se mêlent : le juridique (pour la notion de génocide), le philosophique, l'historique qui amène par sa méthode à se trouver en porte à faux des deux autres et parfois des combinaisons.
Citer :
"Le point de départ, et aussi le titre du livre, est fourni par une phrase du livre de Conrad, Au cœur des ténèbres, prononcée par un des personnages : "Exterminez toutes ces brutes". Sven Lindqvist prend cette phrase au sérieux, et montre dans ce livre que Conrad a saisi ici l’essence de la colonisation occidentale. Il considère dès le début du livre le sens primaire des mots extermination et brute : l’annihilation totale de personnes considérées comme "brutes", c’est-à-dire dont l’humanité est niée.
Je n'ai pas lu ce livre et quoique je ne trouve aucune imprégnation du colonialisme dans le choix nazi d'extermination de minorités avec chacune une sorte de spécificité, le livre aussi me pose des questions.
Vous évoquez un écrivain prenant son titre au sérieux, je traduis par
stricto sensu pour le mot "
brutes". J'ai déjà un problème : qu'entend-t-il par "
brutes" ? Des personnes très cultivées se comportent en brutes. Alors "
homme brutal" c'est à dire ne s'encombrant pas de manières ou "
homme brut" à savoir être humain dans sa culture estimée "
primaire" face à une autre qui s'autoproclame "
civilisé".
Comment alors le civilisé peut-il régresser et se complaire dans une
barbarie avec ce que le mot induit d'
instincts bas et primitifs.
A l'époque ceci était déjà discutable mais non discuté car là n'était pas le problème : il fallait justifier une appropriation de terre tout en étant mal à l'aise avec des lois édictées à des moments vu comme des parangons de civilisation (droits de l'homme et liberté d'expression avec les contorsions d'un pouvoir politique etc.) car ces appropriations ne tenait pas même d'une volonté d'hégémonie face à ces primitifs mais face à d'autres puissances colonisatrices. Sans compter à la course aux richesses.
J'arrive même à douter que l'essence du colonialisme occidental ait été bien analysé (comment d'ailleurs le pourrait-on ? Il s'agit d'un prisme ou l'Histoire n'est qu'une seule facette.).
Quant à mettre en évidence les
racines de massacres, ceci n'appartient plus au domaine historique.
Citer :
... et c’est bien là la puissance et le moteur profond du livre - que les racines des massacres et des crimes contre l’humanité des Européens en Afrique avaient un fondement et une "justification" idéologique[/b]. Cette idéologie était raciste, et indiquait que les "sauvages" rencontrés par les "hommes blancs" n’étaient pas humains ;
Cette théorie n'est pas nouvelle.
Citer :
leur extermination rapide était un service à leur rendre, étant donné que dans la lutte du plus apte, ils n’étaient pas armés face à la civilisation occidentale. L’origine de cette idéologie raciste était un "darwinisme social" appliqué aux civilisations : seuls les plus aptes pourraient survivre.
Là je crois que le problème est pris à l'envers. Le but étant de démontrer un lien entre les exterminations nazies et la brutalité de la colonisation, on fait feu de tout bois.
Citer :
Si elles étaient toutes noyées demain par un immense déluge, elles ne laisseraient aucune trace derrière elles, si ce n’est leur trace organique. Et je les appelle des sauvages irrécupérables [parce que] bien loin d’être influencées par la civilisation, celle-ci les fait disparaître, aussi sûrement et nettement que la neige bat en retraite sous l’avancée des rayons du soleil."
Ceci est assez typique de l'époque, tant le vocabulaire que la tournure de phrase. La métaphore de la neige face au soleil est facilement discutable pour aboutir à la démonstration que si le soleil n'est pas présent au bon moment, la neige peut faire des ravages. Une fois ceci exposé, cette belle tirade n'a plus lieu d'être et ce qui précède non plus.
Si la pensée de Lindqvist s'inscrit dans celle de Césaire, alors ce livre n'a rien d'Historique car la pensée de Césaire ne vise pas à passer dans l'Histoire mais à interpeller et par domino à régler quelques comptes avec sa propre souffrance et son rapport à la négritude qui est très complexe.
D'autre part, chez Césaire le mot choisi est juste c'est la construction qui est volontairement biaisée. On ne peut faire de l'Histoire et de la Littérature. Césaire le sait et s'il introduit parfois un élément appartenant à l'Histoire, c'est souvent par provocation et pour rappeler au lecteur sa place dans la civilisation et à lui sa souffrance dans le rejet, l'indifférence d'une société face à des pans de son passé.
Rien n'est plus mortifère que l'indifférence surtout lorsqu'on transforme cette volonté en autre chose involontaire à savoir "
oubli". L'emballage est plus "
civilisé" et se défend d'une quelconque volonté de déni mais personne n'est dupe.
Isidore a écrit :
Artcile de Robert Gerwarth et Stephan Malinowski dans XXème siècleArtcile de Robert Gerwarth et Stephan Malinowski dans XXème siècle
Le problème de ce lien est que concernant Arendt, sa place est sur
PHILOSOPHIE.
Pour Tocqueville, la question est récurrente.
[
Je pense donc que l'espèce d'oppression, dont les peuples démocratiques sont menacés, ne ressemblera à rien de ce qui l'a précédée dans le monde ; nos contemporains ne sauraient en trouver l'image dans leurs souvenirs. Je cherche en vain moi-même une expression qui reproduisent exactement l'idée que je m'en forme et la renferme ; les anciens mots de despotisme et de tyrannie ne conviennent point. La chose est nouvelle, il faut donc tâcher de la définir, puisque je ne peux la nommer ... Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras à la société toute entière ; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule ; il ne brise pas les volontés mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d'agir mais il oppose sans cesse à ce que l'on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ... il comprime ... il éteint, il hébète et il réduit enfin chaque nation à n'être plus enfin qu'un troupeau d'animaux timides ... dont le gouvernement est le berger.]
- "De la démocratie en Amérique" -
A. de Tocqueville (
Tome II) - 1981 - Garnier-Flammarion
Le problème est lorsque Tocqueville est cité est qu'il faut tout le passage et connaître la source. Tocqueville a trouvé cette observation chez Rousseau qui sera reprise par Marx dans "
La question juive".
Ceci vise à se défier de l'Etat bien intentionné, l'Etat providence, la douce servitude. Entre l'Etat socialiste et dirigiste et la société de
welfare des républiques, cette prophétie parait assez pertinante.
Ici Tocqueville peut être vu comme précurseur de monstres humains tel H. ou autres ou utilisé pour la démonstration que mieux vaut un régime dur qui trace la route d'une liberté pesée (on songe à la vision 1792-1794 en France) et on peut décliner avec les régimes et y voir une prescience de l'auteur.
Alors que ceci démontre que voulant rester libre, l'homme moderne éprouve le besoin d'être conduit, pour peu que le confort matériel lui permette de n'exister que "pour lui même et en lui seul".
Au final ce n'est pas tellement HS
il manquait le confort matériel aux colonisés, ce fut apporté sans leur laisser perdre de temps à s'interroger sur une éventuelle décadence à venir et de quelle nature elle serait. Le temps -toujours un luxe- manquait semble-t-il.
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