Jerôme a écrit :
La conclusion me semble un peu trop orientée sur nos problèmes contemporains mais elle n'est pas absurde et le développement de l'exposé se réfère non seulement aux sources littéraires mais aussi et surtout à l'archéologie , et en particulier à celle des techniques.
C'est tout le problème de beaucoup de théories sur la fin de l'Empire ; on connait par avance la date de la fin de cette Histoire et on a eu beau jeu d'y coller nombre de points de vue pour en expliquer la chute. Mais si je reviens sur la misère et l'ignorance dans lequel est laissé la population, quel Etat dans le monde avant la fin du XIXe siècle a proposé un modèle différent? C'est un plaidoyer d'essence libérale, rien de plus.
Anténor a écrit :
Nul besoin de plan préétabli sur des siècles. Tous les peuples ont toujours cherché à s'étendre au maximum. En demeurant attentistes quand il le fallait mais prêts à saisir la bonne opportunité à tout instant. Et c'est exactement la même chose en ce qui concerne la prise du pouvoir au sein même de ces peuples, Rome y compris ; tout y est question de rapport de force. Clovis s'est imposé chez les Francs par la ruse et la force puis il a imposé les Francs à l'Empire d'Occident de la même manière.
Votre prémisse est fausse et cela discrédite votre réflexion. Vous avez l'habitude de raisonner sur des lois imaginaires ; ce n'est pas une méthode pertinente. Si vous en voulez une un peu plus valide, loin de l'expansion, les peuples encore imparfaitement sédentarisés ont plutôt vocation à la migration. Et c'est précisément ce que font les Germains pressés par les Huns. Il faut simplement se rappeler que les Celtes n'ont pas fait autre chose, que les Cimbres et les Teutons l'ont pratiqué et que l'Empire romain a été une sorte de digue élevé contre ces mouvements.
Par ailleurs on ne compare pas la prise de pouvoir dans un Empire structuré en Etat et dans des peuplades tribales. Les choses mises en mouvements sont très différentes et n'appellent pas les mêmes notions de légitimité.
Anténor a écrit :
Quand Rome propose aux Francs vaincus de garder ses frontières au lieu de les exterminer, cela n'a pu qu'apparaître comme un signe de faiblesse. Attaquez Rome et au pire, elle vous proposera de bosser pour elle. Avec un pied dedans et un pied dehors, les Francs ont pu à la fois évaluer les forces et faiblesses de l'Empire et des "barbares". Sous prétexte de protection de l'Empire, ils ont tout simplement annexé à leur profit les provinces du Nord de la Gaule, laissant les Goths et les Vandales faire le gros du travail contre les troupes romaines.
Quel sens politique ces Germains, le calcul coordonné, la stratégie sur le long terme, et surtout l'envie dans finir avec Rome... C'est très faux mais très romantique. Cela colle mieux avec des préoccupations modernes qu'avec les mentalités antiques. Sinon à quel moment les Goths font-ils "le gros du travail" contre les troupes romaines? Je vous rappelle que sorti d'Andrinople les Goths sont systématiquement vaincus en bataille rangée contre Stilicon... Et que le problème principal de la lutte contre eux pour Rome est qu'elle possède surtout des troupes de couverture sur les frontières, donc difficilement mobilisable pour les campagnes à l'intérieur de l'Empire.
Anténor a écrit :
L'alliance autour d'Aetius n'était que de circonstance. Une fois les Huns vaincus, chacun a continué à poursuivre ses intérêts et Rome a achevé de se décrédibiliser avec l'assassinat du vainqueur d'Attila. Même si les Empereurs n'y résidaient que rarement, Rome restait le noyau dur de l'Empire vers lequel tous les regards étaient braqués.
Rome est un lieu symbolique ; mais entre le symbole des vieilles pierres et le lieu de séjour de l'empereur, de sa cour et de ses bureaux je vous laisse le soin d'imaginer ce qui comptait le plus. Un indice ; ils ont préféré laisser Rome au pillage plutôt qu'exposer le coeur du pouvoir retranché dans l'inexpugnable Ravenne.
Anténor a écrit :
L'empressement de Clovis a se faire reconnaître par Constantinople est du même ordre que celui de son baptême. Le besoin d'alliances fortes pour se maintenir au pouvoir. Alliances externe avec l'Empire d'Orient, alliance interne avec l'église. Ce n'est pas parce que les Romains semblaient considérer les Germains comme des débiles profonds que nous devons faire la même erreur. Contrairement à Rome, les Germains n'avaient pas les moyens de s'imposer sur la durée sans s'allier avec les locaux. Même les Wisigoths ont fini par se convertir au Catholicisme.
Ha parce que si on n'admet pas vos positions c'est inévitablement parce qu'on considère les Germains comme des "débiles profond" ; c'est intéressant. Chez moi on appelle cela un effet de manche rhétorique. Bien entendu que Clovis cherche des soutien pour gouverner mais ce que je vous invite à regarder c'est comment il considère son pouvoir ; il le place dans une légitimité romaine qui lui donne l'ascendant et la reconnaissance des élites gauloise. Mais cette posture en rejoint une autre ; jamais des généraux d'origine barbare n'ont sauté le pas et tenté de prendre le pouvoir impérial romain. Ils ont toujours cherché à utiliser des hommes de paille. Leur conception du pouvoir se conçoit systématiquement dans des représentations romaines et dans une orbite hiérarchique inférieure. Ce positionnement est un mystère historique parce que dans d'autres régions du monde ces scrupules l'existe pas, notamment en Chine ce qui a assuré la continuité impériale. Imaginez qu'en Occident il faut attendre 800 pour qu'un Germain ose prendre le titre d'empereur et se placer dans la succession des Césars. Clovis lui répète la recherche des honneurs distillé par l'organe supérieur du pouvoir qu'était l'Empire. Il ne transgresse rien, il se contente d'y puise sa légitimité.
Anténor a écrit :
Mes sources sont celles que tout le monde utilise : les rares textes d'époque tous plus partisans et autocensurés les uns que les autres. Ne me dites pas que vous croyez Grégoire de Tours quant aux réelles motivations de la conversion de Clovis ?! On nous a déjà fait le coup avec Constantin.
En Histoire on prend l'habitude de déduire des sources et de ne pas les mépriser hautement avec quelques pirouettes rhétoriques telles que "tous plus partisans et autocensurés les uns que les autres". Je vous rappelle que faire de l'Histoire c'est précisément l'art d'exploiter ces sources partiales et partielles, de recouper ce qu'elles nous transmettent et de tenir compte de leurs inclinations. Maintenant si on prend Grégoire de Tours on remarque que l'influence de Clotilde dans l'entourage du roi est très appuyée. N'est-ce pas par cet entremise que Constantin s'est converti? Je vous accorde qu'il devait y avoir beaucoup plus de foi dans celle de l'empereur tant les questions religieuses sont brûlantes à Rome à l'époque. Mais néanmoins l'aspect calculateur de la conversion de Clovis ne doit peut être pas oublier les représentations de l'époque ; ils ne songent pas le monde avec le regard froid et distancié d'aujourd'hui, les questions métaphysiques sont très présentes et sont un puissant moyen de représentation et de compréhension du monde. Il y a fort à parier que Clovis a dû ressentir, comme nombre de ses contemporain barbare un sentiment d'infériorité culturelle par rapport aux élites qu'il était appelé à commander. Or quelle meilleure façon d'intégrer une élite si ce n'est en copiant ses usages? Et en l'occurrence on a le précédent de son empressement à revêtir les insignes du pouvoir romain, ce qui atteste que Clovis est précisément dans cette démarche. En conclusion, sous l'influence de son entourage, dans un possible contexte de mimétisme Clovis a dû trouver une foule d'intérêt à rejoindre la religion chrétienne.