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sans être spécialiste il me semble que si les Romains vont interdire cette fonction c'est parce qu'elle possédait une charge politique importante faisant craindre pour la stabilité de la gaule conquise.
Il semble en effet que les druides aient été une épine dans le pied pour les romains. Ceci dit, le SEUL druide qualifié en tant que tel (et par Cicéron, jamais par César alors que c'est un personnage récurent de la Guerre des Gaules), c'est Diviciac, un "ami de Rome", probablement une connaissance de César et un des acteurs clef dans le déclenchement de l'annexion de la Gaule par Rome.
Les autres sources qui nous parlent des druides, ce sont des allusions assez imprécises de César et une autre poignée d'auteurs classiques, et les textes mythiques irlandais du haut Moyen Age (qui sans trop de doutes puisent leurs origines dans la civilisation celtique de l'âge du fer, cf tous les "anachronismes" présents dans des textes comme la razzia des vaches de Cooley, où on parle de chars de combat ou de casques à crêtes alors qu'on en a pas retrouvé la moindre trace archéologique en Irlande), c'est très maigre, et la question des druides et du druidisme est une des plus insolubles concernant les Celtes anciens.
Ils semblent avoir constitué une sorte de caste à part, de philosophes (voir le controversé "les druides" de Jean Louis Brunaux où il n'hésite pas à évoquer le fait que les druides aient pu influencer les pythagoriciens grecs), sortes de prêtres, qui en dehors de leur fonction sacerdotale semblent avoir exercés toutes les fonctions et avoir partagé les valeurs de l'aristocratie.
Reste que c'était un problème pour Rome... Lors de la conquête de la Bretagne par Rome, les responsables romains n'ont pas hésité à déployer des moyens non négligeables pour aller massacrer les druides sur l'île de Mon (dans la mer d'Irlande, aux confins de la Bretagne et du monde celtique) alors que la situation politique et militaire était loin d'être stabilisée dans l'Angleterre actuelle (des légions entières y ont été envoyées, alors que les colonies romaines bretonnes étaient laissées sans défenses face aux révoltes et troubles qui ont émaillés la conquête de la Bretagne).
Comme les autres paganismes, la religion celtique ancienne semble avoir été complexe et diversifiée. Les druides auraient représenté un certain échelon de l’appréhension de cette religion que n'auraient pas forcément partagé tous les Celtes (et il faudrait à nouveau ergoter sur ce qu'est un Celte: réellement un membre d'un peuple ou d'une ethnie qui aurait conquis l'Europe, s'imposant aux populations locales, ou tout simplement quelqu'un faisant partie d'une communauté ayant adopté une culture dite celtique, celle de l'âge du Fer (Hallstatt puis La Tène), culture surtout matérielle et pouvant avoir revêtu de nombreuses caractéristiques variées en fonction du lieu. En gros, les Gaulois étaient-ils des Celtes ou étaient-ils des populations issues de l'âge du bronze et de la Préhistoire ayant adopté une culture matérielle donnée, comme leurs homologues "germains", "pictes", "bretons", "belges"....etc.
Là encore, la notion de peuple ou d'ethnie semble particulièrement floue, et mon intime conviction est qu'on avait à faire avant tout à des sociétés basées sur la famille élargies (clan, parentèle, tribu) où au-delà de ce cercle, c'étaient surtout des accointances, des goûts et des intérêts privés qui primaient: pas de sentiment d'appartenance (et des devoirs qui en résultent), de dévotion envers une abstraction qu'on appelle aujourd'hui "Etat", "République", Patrie", "nation" ou ce que vous voulez.
Les druides là dedans restent un mystère. Caste sociale panceltique? Culte particulier ayant réussi à s'imposer à la tête de la société? Rois prêtres de la tripartition indo européenne? (sachant que le roi Celte a une fonction religieuse importante: il est le guarant de l'harmonie entre les dieux et les hommes, entre la terre et la société... en cas de manquement, il pouvait être sacrifié en Irlande archaïque).
Le fait est qu'on en sait très peu sur les rites et cultes des Celtes, beaucoup de ce qu'on croit savoir nous vient d'interprétations partielles de données archéologiques ou de sources textuelles souvent tardives ou étrangères. Les druides ont occupé une place importante là dedans, ceci semble à peu près sûr. Maintenant, en quoi le paysan moyen gaulois partageait les conceptions métaphysiques et mystiques des druides, on en sait rien!
En parlant de termes, j'ai lu un certain nombre d'articles (qui concernaient plutôt la religion germanique et scandinave) qui évoquaient le fait qu'on ne peut réellement parler de croyances quand on parle du paganisme de ces cultures: ces gens ne "croyaient" pas en leurs dieux, ils ne les vénéraient pas, ne leur portaient pas une affection ou une dévotion particulière (je parle bien des germains et dans une moindre mesure des Celtes, pas du monde classique largement influencé par les religions orientales). Les dieux étaient des puissances surnaturelles, liés à un monde invisible, un monde double, avec lesquels il fallait composer, des forces qui dépassaient la compréhensions des simples mortels, et qu'il fallait apaiser ou dont il fallait s'attirer les faveurs. On est loin des conception de foi et de croyance contenues dans le Christianisme et qu'on a tendance à calquer inconsciemment sur ces religions anciennes quand on les étudie.
Il ne faut pas oublier que l'archéologie et l'Histoire sont nées à une époque où on était en plein dans la concrétisation de l'idée d'Etat nation et que ces "sciences" avaient une vocation importante à trouver dans le passé une légitimité à cette idée. On reste sous l'influence des travaux et conceptions des premiers historiens ou archéologues (quand on pense que l'archéologie s'est fortement développé sous le règne de Napoléon 3 en France, et sous le 3ème Reich en Allemagne (ce qui a donné lieu à des polémiques croustillantes dans le milieu des archéologues en France dans les années 70), et que la statue de Vercingétorix à Alésia évoque les traits de Napoléon 3 et de sa moustache, ça laisse la place à un certain nombre de réflexions).
Si on ajoute à cela deux siècles de romantisme où on a fantasmé les civilisations antiques face à une société industrielle rationaliste, on est dans le flou total et il est très difficile de lutter avec son inconscient pour avoir une vision la plus objective possible de la question.
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On peut remarquer également que les Cités gauloises étaient beaucoup plus vastes que leurs homologues italiennes. En terme de superficie, l'équivalent du territoire arverne ou éduen aurait été le Latium ou l'Etrurie tout entiers. On a là un niveau d'intégration politique plus poussé vers le haut. Le fait que Rome soit en Italie nous donne une vue très biaisée. L'Italie était l'inverse de la Gaule avec un patchwork énorme de Celtes, d'Etrusques, de Ligures, de Latins, de Lucaniens etc... Et si l'unité politique italienne s'est faite aussi tard, ce n'est pas par hasard.
Vous comparez l'incomparable: les sociétés italiques sont empreintes de culture grecque, c'est le modèle de la cité qui y prévaut. Pour les Celtes de la période laténienne, on est dans une société rurale. La civilisation des oppida n'est qu'un épiphénomène de la fin de la période, née probablement sous l'influence grandissante du monde classique. L'apogée de la culture de la Tène, c'est une culture très rurale, disséminée dans d'innombrables fermes aristocratiques, aristocrates dont les relations prennent la forme d'un clientélisme tout ce qu'il y a de plus privé. On est très loin de l'idée de la chose publique née en Grèce et récupérée par les peuples italiques.
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Vous oubliez les décennies de pouvoir franquiste très centralisateur...
Comparer les revendications régionalistes d'aujourd'hui aux divisions des peuples gaulois est un non sens. Il serait presque (pour le fun) plus pertinent de comparer ce qui sépare un peuple gaulois d'un autre à ce qui sépare la France et l'Allemagne au sein de l'Union Européenne.
On oublie aussi que le sentiment d'appartenance à un peuple et une nation est très lié à des notions de frontières et de territoire. Hors, dans la culture celtique antique comme dans la culture germanique, la notion de propriété de la terre reste relativement floue: ces peuples bougent en permanence toutes les deux ou trois générations. Ils ne sont pas attachés à un territoire, ce sont des sortes (je fais exprès de provoquer un peu, n'y voyez qu'une boutade) de "super migrants". Hors l'apogée de l'empire romain aux Ier et IIème siècles avant JC qui a temporairement ralenti le phénomène, l'Histoire de l'Europe de la Préhistoire jusqu'à l'an Mil, ce n'est qu'une histoire de migrations: des peuples bougent et s'installent ailleurs en permanence, des peuples de la mer aux mongols, en passant par les Celtes, Belges, Teutons, Cimbres, suèves, hélvètes, goths, francs, saxons, huns, scandinaves, hongrois...etc.
Là dedans, difficile d'y replacer des notions très contemporaines comme l'idée d'un peuple associé à une terre et un Etat ou ne serait-ce que des institutions communes. C'est Rome qui a introduit cette idée en Occident, et quand l'Empire d'Occident a chuté, il a fallu des siècles pour que son exemple soit imité par les puissants du Moyen Age puis de l'époque moderne pour arriver jusqu'à nos modèles socio politiques organisés autour d'un Etat centralisé et autour de l'idée d'Etat Nation.
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les populations gauloises et germaniques étaient constituées sur un modèle d'être pour la guerre, à savoir qu'un homme n'est vraiment un homme libre de plein droit que s'il porte les armes.
Tout à fait. Cependant je nuancerai cette idée que le port d'arme reflète nécessairement un modèle "d'être pour la guerre". Porter les armes, c'est un symbole de liberté dans le sens où cela signifie que l'on proclame ne pas dépendre d'un Etat ou d'un "tuteur" (seigneur, organisation, autre) pour assurer sa défense. On en trouve des restes dans la société américaine d'aujourd'hui. Porter une arme, c'est affirmer que l'on est libre, ça ne veut pas dire que l'on est prêt à faire la guerre en permanence ou que l'on est en un état permanent de guerre. Il faut en outre relativiser cette notion de guerre. Pour nous elle évoque les boucheries industrielles du XXème siècle, où des nations entières s'engouffrent dans des orgies de destructions et y consacrent toutes leurs ressources. La guerre chez les Celtes et les gaulois est une activité "normale", fréquente, mais aussi ponctuelle et limitée dans l'espace et dans le temps (c'est aussi pour cela que la Guerre des Gaules est un événement exceptionnel qui ne doit pas servir de mesure étalon pour comprendre la civilisation gauloise), faite de razzias, d'escarmouches et de vendettas entre parentèles qui peuvent être sanglantes mais n'ont pas systématiquement une énorme portée.
En outre, c'est une activité mystique, et c'est je pense un élément essentiel à prendre en compte.
L'arme est un objet bien particulier dans les sociétés anciennes. On lui confère volontiers des propriétés magiques, voire une âme. Dans sa conception, on y met les savoirs les plus aboutis, la technicité la plus avancée, et on la décore le plus possible. Elle est également une offrande de choix aux dieux (et on leur sacrifie les armes les plus belles et les plus performantes). On la craint au point de la briser quand on l'offre aux dieux ou qu'on l'inhume avec les défunts. Le port d'arme et la présence d'armes revêt dans ces cultures une signification qui nous échappe probablement en grande partie. Elle a en tous cas un symbolisme énorme que l'on retrouve jusqu'au Moyen Age.