Une parenthèse :
Drouet Cyril a écrit :
Le 12 décembre 1793, Mogue, commissaire délégué par le Comité de salut public près l’armée et dans les département de l’Ouest », revenait sur ce thème dans sa lettre à la Convention :
« Que [la Vendée] soit entièrement régénérée par des colons républicains choisis dans les meilleurs départements de la République; que les enfants, les femmes des rebelles et le reste des habitants de la Vendée soient dispersés sur tous les points de la France, sinon exportés à Madagascar. Tels sont, à mon avis, les seuls moyens de prévenir de nouvelles rébellions dans un pays où le fanatisme royal et sacerdotal est devenu une frénésie incurable. »
Mogue en écrivant ces mots pensait sans doute au décret rendu le 1er novembre précédent. En amont, on trouve le décret du 15 octobre 1793 :
«Art. I. Le conseil exécutif fera connaître incessamment à la Convention nationale quel lieu il juge le plus propre à la transportation, et quels moyens il faudra employer pour mettre cet établissement en activité.
Art. II. Tout mendiant domicilié, repris en troisième récidive, sera condamné à la transportation.
Art. III. Tout mendiant ou vagabond arrêté une première fois, et mis dans la maison de répression, pour causes aggravantes, s'il est repris une seconde fois, subira la peine de transportation.
[…]
Art. V. Les mendiants mis dans les maisons de répression, et qui ne pourront justifier d'aucun domicile, après un an de détention, seront condamnés à la transportation.
[…]
Art. VII. La peine de transportation ne pourra être moindre de huit années ; elle n'aura lieu que pour les mendiants au-dessus de dix-huit ans, et au-dessous de soixante : elle pourra être prolongée, si la mauvaise conduite du banni le mérite ; comme elle pourra être abrogée, dans le cas seulement d'un service distingué rendu à la colonie.
Art. VIII. Le mendiant au-dessous de seize ans, qui aura encouru la peine de transportation, demeurera détenu jusqu'à ce qu'il ait atteint l'âge fixé pour subir son jugement
[…]
Art. XII. Tant que le transporté sera dans le terme de son jugement, il ne pourra travailler que pour le compte de la Nation ; il recevra seulement le sixième du prix de la journée de travail fixée pour la colonie. La moitié de cette rétribution lui sera délivrée chaque semaine, et le restant lui sera conserve pour l'époque de sa liberté.
Art. XIII. Le terme de la liberté étant arrivé, le transporté recevra une portion de terrain, telle qu'en travaillant sa subsistance puisse être assurée. La portion du produit de son travail qui lui aura été conservée aidera à lui fournir, en outils ou denrées, les moyens de mettre son fonds en activité.
Art. XIV. L'administration se chargera du produit de ses travaux, vendra ses denrées, lui en remettra aussitôt la moitié du prix ; l'autre moitié servira au remboursement des dépenses et entretien de l'établissement.
Art. XV. Il sera libre au transporté, lorsque la colonie ou sa population sera assez étendue, de vendre lui-même ses denrées aux marchands, en continuant de payer à la Nation la moitié du produit de ses rentes, à titre d'indemnité.
Art. XVI. Nul transporté ne pourra revenir en France qu'il ne se soit écoulé un an entre le moment de sa liberté et celui de son retour, et qu'il n'en ait obtenu l'agrément du conseil de surveillance ; et dans ce cas, les fonds qui lui auront été concédés rentreront à l'établissement, sans qu'il puisse en disposer autrement. »
En application de l’article 1er, le décret suivant fut adopté le 1er novembre :
« Art. 1er. Les mendiants condamnés à la déportation, et autres qui le sont et seront par suite de jugements des tribunaux criminels et révolutionnaires, seront transportés à la partis du sud quart sud-est de l'île de Madagascar, au lieu ci-devant dit Fort-Dauphin, qui se nommera de ce jour le Fort-de-la-Loi.
Art. 2. Le conseil exécutif donnera les ordres les plus précis, à l'Ile-de-France, pour faire réparer les bâtiments au Fort-de-la-Loi, et pour y en faire construire de nouveaux, susceptibles de contenir quatre cents hommes.
Art. 3. La force armée, pour la garde et le maintien du bon ordre dans cet établissement, sera de cinquante hommes; elle sera prise et envoyée de la ville de la Montagne.
Art. 4. Tous les déportés à Madagascar sont sous la discipline et direction immédiate du comité municipal et administratif de Sous-Pointe, et sous la surveillance des autorités constituées de l'Ile-de-France. Ce comité fera fournir les instruments d'agriculture et autres objets nécessaires pour un pareil établissement, en se conformant à la loi sur la mendicité, du vingt-quatrième jour du premier mois.
Art. 5. Dans le port de la ville de Lorient sera le dépôt où seront détenus les déportés jusqu'à leur embarquement. Le ministre de la marine désignera, à cet effet, un lieu convenable, et le fera pourvoir de même, et ainsi qu'il est réglé pour les maisons d'arrêt.
Art. 6. Le ministre de la justice fera conduire au dépôt les condamnés à la déportation, aussitôt que leur sentence aura été prononcée, et ils seront embarqués pour leur destination le plus promptement que faire se pourra.
Art. 7. Il n'est point dérogé par le présent décret à celui qui détermine le lieu de la déportation des prêtres. »
Avant l’adoption, Gouly avait présenté ce rapport :
« Vous avez renvoyé au comité des domaines et des colonies plusieurs adresses des ministres de la justice et de la marine, vous demandant de décréter un mode d'exécution des lois relatives à la déportation.
Vous lui avez pareillement renvoyé l'examen de la demande d'un de vos membres, en interprétation de la disposition de la loi sur la mendicité, qui déporte aux colonies les mendiants incorrigibles. Il pense qu'il est inhumain de laisser languir dans une prison, après jugement, les déportés; car si la loi commande impérieusement de se conformer à la sentence prononcée contre eux et de l'exécuter littéralement, elle veut aussi que le jugement soit strictement exécuté à leur égard, et qu'une peine n'y soit point substituée à une autre; or les laisser des mois, des années dans une prison après condamnation, c'est substituer une peine à une autre.
Quant aux mendiants, votre comité doit vous observer que les colonies en général, ne sont déjà que trop infectées de ces mauvais garnements, qui ne cessent d'y affluer depuis la Révolution. Ce sont de pareils gens qui, soudoyés par les ennemis intérieurs et extérieurs de la France, y ont suscité et fomenté les troubles qui règnent depuis trois ans ; en augmenter le nombre lorsque le salut public exige qu'on le diminue c'est vouloir y perpétuer le désordre et y propager l'esprit contre-révolutionnaire. D'après d'aussi fortes considérations, il estime que vous devez déporter les mendiants incorrigibles dans un heu où ils puissent vivre en travaillant.
La partie de l'île de Madagascar qui vous a été désignée, obvie aux grands inconvénients qui viennent de vous être démontrés, et renferme tout ce qui est essentiel pour faire vivre les déportés, même pour les y faire prospérer s'ils se corrigent et s'adonnent au travail seulement quatre heures chaque jour, et voici comment.
Dans la partie de cette île dont il est question, la République possède, en vertu de chartes passées par l'ancienne Compagnie des Indes avec les chefs et les anciens du pays, trois lieues environ de territoire; il est si fertile que le riz, le cambare blanc, les patates, les haricots rouges et quantité d'excellents fruits y croissent sans culture, et ne coûtent que la peine de les cueillir. Le cochon sauvage, le gibier de toute espèce, le poisson y abondent et sont aussi bons, pour ne pas dire meilleurs, qu'en France. Les bœufs, les cabris y prospèrent, et sont à très bas prix; le climat en est sain et tempéré; enfin, il s'y trouve des bâtiments pouvant contenir, en les réparant, 200 hommes. L'île de France y entretient un commissionnaire pour les achats de ces derniers objets; elle y envoie en conséquence pour les exporter, et par continuation de petites embarcations, et des navires de 3 à 600 tonneaux.
Il y a, de plus dans la même île et sur la même côte deux établissements plus considérables : Foulpointe et la baie d'Autougil; dans le dernier, il vient d'être organisé un comité municipal et administratif. Ce comité fournira aux déportés tous les instruments de culture et autres objets de première nécessité, et les contiendra dans la plus exacte discipliné avec cinquante hommes de guerre. Combien de pères de famille honnêtes, et laborieux, mais dans l'indigence, se regarderaient fort heureux d'y être avec leur famille !
Il n'en coûtera rien à la nation pour le transport des condamnés, et voici pourquoi ; la pointe du sud de l'île de Madagascar se trouve sur la route que l'on tient ordinairement pour aller aux îles de France et de la Réunion et autres adjacentes; la République est obligée d'envoyer tous les ans plusieurs vaisseaux et navires, afin d'approvisionner les magasins; elle pourra donc se servir des mêmes vaisseaux et navires, qui transporteront ces bannis, pour porter les objets d'approvisionnement nécessaires auxdites îles, et les faire escorter par les frégates en station dans la mer des Indes.
Les déportés une fois mis à terre, à Madagascar, ces vaisseaux, frégates et navires s'y répareront très facilement et sans frais, y prendront des bœufs et rafraîchissements, y feront même des salaisons pour les équipages, et pourront se charger en outre de riz et de petites mâtures pour les îles de France et de la Réunion. Ces mâtures ne coûtent que la peine de les couper dans les forêts très voisines du port et de les embarquer. Le temps de la relâche, ne fût-il que de douze jours, suffira pour ces opérations : ces moyens d'économie, trop longtemps négligés, ne sont certainement point à mépriser. »