Épilogue : Manuel Noriega est mort incarcéré dans son pays le 29 mai 2017.
Pour l'occasion,
Libération revenait sur sa carrière...
http://www.liberation.fr/planete/2017/0 ... ma_1573440Extraits :
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Manuel Noriega a tenu les rênes du pouvoir sans jamais avoir été élu, dans un pays dont l’histoire balance entre l’ingérence permanente des Etats-Unis, qui contrôlaient une partie de son territoire, la zone du canal transocéanique, et les efforts pour s’affranchir de cette tutelle. Manuel Noriega, né en 1934 dans un milieu pauvre, était d’origine colombienne, ce qui est somme toute logique : le Panamá est en fait le nord de la Colombie qui fit sécession en 1903, avec l’aide active des Etats-Unis.
En 1968, le jeune général Omar Torrijos renverse le président élu et s’impose comme dirigeant de facto. A la tête du renseignement militaire, un poste clé, il nomme Noriega. La politique d’inspiration castriste de Torrijos inquiète Washington, dont la hantise dans son « arrière-cour » d’Amérique du Sud est l’effet domino : si un pays de la zone devient communiste, les autres tomberont l’un après l’autre. Pourtant, les Etats-Unis tolèrent l’expérience torrijiste. Peut-être parce que Noriega est leur homme de confiance : on retrouvera plus tard de généreuses fiches de paie émises par la CIA.
L’arrivée au pouvoir de Jimmy Carter en 1977 marque une approche différente vis-à-vis du sous-continent, moins indulgente avec les dictatures militaires. Le président démocrate accepte une ancienne revendication du Panamá : la restitution de la zone du canal, qu’un traité fixe à 2000. Mais quelques mois après la fin de son mandat, avec le conservateur Ronald Reagan à la Maison Blanche, Torrijos meurt dans le crash de son avion.
Cette disparition intervient deux mois après celle d’un autre chef d’Etat latino-américain mal vu par les Etats-Unis : l’Equatorien Jaime Roldós. Qui venait de proposer une loi sur les hydrocarbures très défavorable aux intérêts des compagnies pétrolières américaines. Lui aussi périt dans une catastrophe aérienne suspecte. L’implication de la centrale de renseignement américaine n’a pas été prouvée, mais elle est fortement soupçonnée. Et l’idée que Manuel Noriega aurait pu faciliter l’élimination de son ex-mentor circule avec insistance. D’autant qu’il hérite de son fauteuil de président de facto.
A la tête de la garde nationale, « Face d’ananas » vit une lune de miel avec Washington. Il autorise l’installation d’un centre d’écoutes qui espionne toute la région. Il accueille à bras ouverts la présence américaine, militaires (10.000 hommes) comme civils (50.000 résidents).
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Pourtant, il se comporte aux yeux de tous en véritable dictateur kleptocrate. Il réprime l’opposition et muselle la presse. La mort d’un de ses principaux détracteurs, l’Italo-Panaméen Hugo Spadafora, dont on retrouve le cadavre supplicié et décapité, horrifie l’opinion. Mais Noriega parvient à jouer sur tous les tableaux : il conserve la confiance des Etats-Unis tout en entretenant de bonnes relations avec Fidel Castro à Cuba. Il rend même visite à François Mitterrand en France en 1987 et repart avec la légion d’honneur.
Cette même année, les accusations sur ses liens avec le cartel de Medellín éclatent au grand jour. Au Panamá, le parrain Pablo Escobar trouve une plateforme logistique et un secret bancaire généralisé qui lui permet de blanchir ses bénéfices en toute discrétion. Le numéro 2 de l’armée entre ouvertement en conflit avec Noriega en lançant des accusations précises sur la filière colombienne.
Alors que les Etats-Unis hésitent à lâcher Noriega, l’agence antidrogue américaine, la DEA, lui décerne un certificat de bonne conduite dans sa lutte conte le narcotrafic. Qui repose sur des infos réelles : il a balancé les noms des concurrents qui gênent son allié Escobar.
Mais la situation devient intenable. L’affaire Iran-Contras, qui a mis au jour des ventes d’armes illégales à l’Iran pour financer la guérilla anticommuniste au Nicaragua, a laissé des traces. Dans le crépuscule de l’ère Reagan, secouée de scandales, la DEA gagne son bras de fer contre la CIA. La guerre au trafic de drogue devient plus importante que la croisade anticommuniste, principal argument du soutien à Manuel Noriega. L’homme fort déclenchera lui-même l’opération visant à l’abattre.
En mai 1989, il annule l’élection présidentielle remportée par Guillermo Endara, candidat conservateur et proaméricain. Les marines interviennent le 19 décembre 1989 avec pour mission de le capturer.
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Baptisée «Juste cause», l’opération militaire, mal préparée, tourne au bain de sang. Face une faible résistance, les Américains tirent sans discernement. Washington avance un chiffre de 520 morts, mais les observateurs citent un bilan dix fois plus élevé. Les bavures s’accumulent : 200 soldats tués pendant leur sommeil lors d’un bombardement. Un photographe espagnol abattu dans une zone où aucun danger n’était signalé. Des fosses communes remplies de corps anonymes. Le comble, c’est que Manuel Noriega échappe à la rafle. Il a pu traverser une ville quadrillée par les occupants pour se réfugier dans la nonciature apostolique, l’ambassade du Vatican. Bien tuyautés, les marines savent qu’il exècre la musique anglo-saxonne. Pour le déloger, ils lui assènent du heavy metal à un volume assourdissant, de jour comme de nuit. Un régime que le général supporte pendant douze jours, avant de se rendre.