Pour la France et pour le sud uniquement, pour une période chronologique qui ne colle pas pleinement avec les limites du sujet, mais il me semble qu'il faut le connaître , :
René Pillorget,
Les mouvements insurrectionnels de Provence entre 1596 et 1715, Paris, PIF, 1975
Voila un Compte-rendu :
André Corvisier a écrit :
Après les Nu-pieds de Madeleine Foisil et les Croquants d'Yves-Marie Bercé, l'étude des soulèvements populaires du xvir siècle entreprise sous la direction de Roland Mousnier se poursuit par la publication d'une thèse très importante
soutenue en Sorbonne en 1973. A première vue on peut se demander si la Provence constituait un bon champ d'enquête. On n'y rencontre en effet rien de comparable aux révoltes qui ont agité la Normandie ou la Guyenne. Parmi les 250 à 300 émotions connues, seuls quelques mouvements comme celui des Cascaveù sortent de la grisaille de l'historiographie municipale. Si on excepte une centaine de morts pendant la Fronde et le massacre de quarante-cinq Turcs en 1620, la rovence n'aura connu que quelques dizaines de morts provoquées par les révoltes d'un siècle pourtant violent. Cela semble témoigner d'une agitation assez fréquente mais somme toute bien peu grave sauf exception, n'affectant qu'une soixantaine de communautés sur les quelque six cent-cinquante que compte la province A tout prendre relativement à d'autres régions, la Provence reste calme. Cela permettait-il d'entrer dans les débats les plus élevés de l'historiographie de l'Ancien Régime, en particulier celui qui opposa Boris Porchnev et Roland Mousnier ?
Pour relever le défi, il fallait beaucoup d'enthousiasme, et une méthode sûre et une connaissance profonde du pays et de ses hommes. Cette dernière se manifeste dans une introduction sur les conditions générales de la vie de la population provençale entre 1596 et 1715 qui montre les aspects originaux des rapports entre la terre et les hommes, la vigueur des communautés les rapports avec l'administration royale et la Monarchie, la place dans la France de cette province au particularisme alors fort accentué. Dressant un catalogue pratiquement exhaustif des moindres émeutes en ramenant chacune à ses justes proportions, René Pillorget a fait sa pâture des événements les plus restreints aux horizons locaux, notamment de ceux à desquels se manifeste le moins l'influence de la conjoncture politique et militaire. C'est pourquoi il a choisi la période 1596-1635 comme base pour d'une typologie des mouvements insurrectionnels, écartant ainsi dans un premier temps le rôle de la guerre étrangère et pratiquement celui de la guerre civile. Cela permettait d'aller au plus profond des motivations et habituelles. Après quoi il restait à montrer comment le milieu analysé réagissait aux courants extérieurs, l'agitation sur le plan national qu'est la Fronde, le poids de la guerre étrangère, l'emprise croissante du pouvoir royal.
La démarche est logique. Le premier écueil était l'établissement de faits dont tous n'ont pas donné lieu à une information judiciaire. Certes il fallait collecter le moindre indice dans une abondante littérature des histoires municipales, dispersées, partiales et en effectuer une sévère critique, mais aussi reprendre systématiquement l'étude des sources conservées dans les grands dépôts parisiens (Archives Bibliothèque Nationale, Archives des Affaires étrangères, de la Guerre...),
les archives départementales et municipales de la province, pour évoquer une histoire totale de la Provence au xvir siècle.
Afin de dominer le fouillis d'événements municipaux souvent mineurs, une méthode rigoureuse s'imposait. La table des matières rendant compte du proposé dans les chapitres constituant le livre I est éloquente en ellemême. A travers l'effort de synthèse, elle permet de reconstituer le travail d'analyse. Pour la période 1596-1635, les émeutes ont été classées suivant la
des protagonistes : quarante-trois mouvements au sein de la communauté, entre « les plus apparens » (factions nobiliaires ou factions bourgeoises), « menu peuple » contre « plus apparens », lutte de deux groupes d'action de composition mêlée ; trente-huit mouvements de la communauté contre un élément extérieur, forain, autorité ancienne (seigneur ou évêque), soldats ou agents de l'État, étrangers ; vingt-deux mouvements de la province contre le pouvoir central, avec en bonne place la révolte des Cascaveù en 1630 et le conflit marseillais du sel en 1634. Les émeutes ont été ensuite classées suivant
les motifs : atteintes portées au salaire, fiscalité, fanatisme religieux et enfin suivant la forme : voies de faits, attentats, émeutes proprement dites, actions, menées dans l'ombre ou au grand jour, spontanées ou organisées.
Après le classement des cas, vient la recherche des structures à laquelle l'auteur procède en dégageant des types. Sur cent-trois faits relatifs à la période 1596-1635, soixante-seize apparaissent comme des mouvements et vingt-sept comme des phénomènes marginaux, faits divers qui peuvent amener au rassemblement de foules (placards, fausses nouvelles...) sans
qu'il y ait émeute. En fait les mouvements insurrectionnels sont sporadiques et non endémiques et très localisés. Ils affectent essentiellement les villes et la Basse-Provence. Toute ventilation de ces mouvements doit tenir compte de leur inégale gravité. Onze ont entraîné au moins mort d'homme, quatre au moins des blessures, quatorze seulement des dégâts matériels et cent-un aucun de ces dommages. Les blessés et morts le sont au cours de choc présentant l'aspect de luttes années de partis plus que l'aspect d'émeutes populaires. Par contre, écrit René Pillorget, « le soulèvement populaire, qu'il soit spontané ou non, se traduit par des rassemblements, des palabres, des cris, des symboliques, des saccages ou des pillages de maisons. Il peut faire peur ou donner à réfléchir, obtenir des autorités qu'elles rapportent une mesure maladroite, contraindre un importun (ou un ennemi personnel des à quitter la ville. En règle générale, il ne tue personne» (p. 387).
Cependant la gravité d'un soulèvement ne se mesure pas seulement au nombre des victimes et à l'importance des dégâts. L'expulsion d'un intendant est en soi plus lourde de conséquences que la mort d'un émeutier. Compte tenu de ces observations, il ressort que les Provençaux se sont révoltés le plus souvent contre leurs consuls ou les officiers de justice de rang inférieur, puis contre les impôts indirects, ensuite contre leur seigneur ou leur évêque.
Les émeutes xénophobes et les émeutes frumentaires comptent peu. Tous les milieux sociaux y ont participé : petites gens attachées à leur bon droit et soucieuses de leur pain quotidien, promptes à agir pour peu qu'un des « plus apparens » donne l'exemple ; petits gentilshommes turbulents ; notables démagogues, orateurs hyperboliques ; surtout officiers royaux assimilant leur intérêt particulier à l'intérêt commun.
La seconde partie de l'ouvrage étudie les mouvements insurrectionnels de_ 1635 à 1715 : « de la pré-Fronde à la monarchie administrative ». La guerre entre en scène ; la Provence, province-frontière, est aussi une base logistique pour toutes les opérations menées en Italie et, si elle n'est pratiquement pas envahie (îles des Lérins en 1635-1637, partie orientale en 1707), la présence de troupes est un élément de mécontentement, mais deviendra aussi, pendant le règne de Louis XIV, un agent du maintien de l'ordre. La conjoncture générale prend le pas sur les motivations locales : conjoncture économique, décri des monnaies, heurts entre populations et troupes, lourdeur des impôts, ventes d'offices. Elle aggrave les luttes entre factions urbaines en 1644-1645 (nobles à Arles, hommes d'affaires à Marseille). La Fronde parlementaire rencontre
en Provence un écho avec la « guerre du Semestre » dans laquelle les d'Aix entraînent le menu peuple, tandis que Marseille connaît des journées provoquées par la turbulence de la noblesse qui exploite une situation de crise : épidémie, disette, mauvaises affaires. Le départ du gouverneur de la province, coïncidant avec l'exil de Mazarin, amène la conjonction des
Frondes : « Semestres » et « Sabreurs » ou « Principistes » prolongent les jusqu'en 1652, année qui voit le duc de Mercoeur rétablir l'ordre. Pendant cette période, on compte une centaine de morts. C'est relativement peu. du roi est certes bafouée, cependant on ne constate aucun mouvement d'ensemble. Nul organisme n'a pris l'initiative de réunir l'Assemblée des
communautés. Exceptionnellement, Aix et Arles, encouragées par l'attitude du Parlement, font alliance pour contraindre Marseille à abandonner le parti du gouverneur. En fait, ce mouvement en Provence concerne des normes, mais ne
met qu'assez peu en cause des valeurs.
L'ordre sera rétabli avec le concours de d'Oppède, Frondeur ambitieux qui a senti le vent tourner au moment opportun. Après une accalmie relative de 1653 à 1657, le mécontentement entrenu par les exigences militaires et navales reprend jusqu'à la soumission des villes par les forces armées. Les locaux ont d'ailleurs aidé à l'établissement de l'ordre monarchique.
La période 1635-1661 voit donc jouer tous les facteurs de mécontentement propres à la province. Elle tend les ressorts, mais aussi les use. Avec le règne personnel de Louis XIV, « le temps de la révolte des petites gens », on entre vraiment dans une autre période. La docilité du clergé, de la noblesse, des communautés, des officiers est assurée. La guerre, avec sa
fiscalité oppressive et ses levées d'hommes pour la milice et les classes de la marine, enfin l'emprise croissante de l'État, sont déterminantes. Certes guerre et emprise de l'État contribuent à diviser les communautés à propos de la
répartition des charges, mais la grande affaire devient la résistance, passive ou non, du menu peuple contre les éléments extérieurs à la communauté : forain, seigneur, présence des troupes, exigences du roi. Les émeutes frumentaires prennent plus d'importance. Les crises de subsistances de 1678-1679, 1692 et 1709 y sont ressenties, mais la crainte de la disette joue un aussi grand rôle que la disette elle-même, d'ailleurs moins grave que dans d'autres provinces.
L'étude de la période 1635-1615 ajoute peu à la typologie et à l'étude des structures présentées à la fin de la première artie. La conclusion, s'appuyant surtout sur cette première partie, met en relief des phénomènes permanents de panique (ce mot pris dans le sens restrictif discutable de fuite collective) pouvant mener à une mobilisation enthousiaste ou à l'explosion d'hostilité contre un bouc émissaire. Relancée par un autre précipitant, l'explosion peut conduire à un mouvement oncernant les normes, notamment le taux et la répartition des impôts, qui lui-même peut conduire à un mouvement
concernant les valeurs, visant à conserver les intérêts les plus généraux et d'une communauté et allant jusqu'à l'entente entre les « plus apparens » et les plus pauvres. En fait se développe un processus cumulatif.
Cette étude permet à René Pillorget d'affirmer que dans la Provence du XVIIe siècle il n'existe pas de front de classes. Rares sont les conflits entre employeurs et employés, entre riches et pauvres. Dans les affaires les plus graves, le plus souvent les groupes d'actions fondés sur l'interdépendance des intérêts et des fonctions sont constitués par une faction qui utilise une masse de manoeuvre populaire. Au sein des communautés les clivages verticaux sur les clivages horizontaux et les luttes sont plus souvent politiques que sociales.
Plus que d'une société d'ordres — clergé et noblesse, les seuls ordres d'ailleurs en déclin et peu nombreux — la société provençale est alors une société de corps. Jusqu'en 1660, le Parlement d'Aix représente par son recrutement, ses aspirations et son opposition au gouvernement, un état, mais au XVIIe siècle il n'a pas de doctrine révolutionnaire. La
contestation ne devient pas subversion et sous Louis XIV il est gagné par la contagion d'obéissance. Dans ces conditions, 1661 apparaît comme une véritable révolution, celle de l'État. Tels sont les principaux apports d'un ouvrage dense, vivant et nuancé malgré un plan systématique, écrit de manière claire et vigoureuse, qui fait la part des différents facteurs de l'histoire et tire des enseignements de la La question essentielle, honnêtement posée par l'auteur, reste celle-ci :
la Provence est-elle un pays singulier ou exemplaire ? Prudemment, René Pillorget se refuse à toute généralisation.
In,
Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 24 N°3, Juillet-septembre 1977. pp. 482-484
Bon courage aux étudiants qui préparent les concours cette année...
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«Κρέσσον πάντα θαρσέοντα ἥμισυ τῶν δεινῶν πάσκειν μᾶλλον ἢ πᾶν χρῆμα προδειμαίνοντα μηδαμὰ μηδὲν ποιέειν»
Xerxès,
in Hérodote,
L'Empereur n'avait pas à redouter qu'on ignorât qu'il régnait, il tenait plus encore à ce qu'on sût qu'il gouvernait[...].
Émile Ollivier, l'
Empire libéral.