Sujet passionnant s'il en est !
bina bang a écrit :
QiU a écrit :
....Si vous aviez des données chiffrées pour illustrer votre propos, bina bang, je les écouterais avec plaisir.
Si je pouvais faire ça j'aurais des cohortes de vieux historiens (où sont les jeunes historiennes?) rampant à mes pieds
Mon cher bina bang, soyez heureux : ce document de l'INED est là pour vous combler :
L'évolution du nombre des hommes !
Le tableau synthétique page 2 montre les estimations de population. Il ne fait pas état d'un retard démographique de l'Europe (même si on y inclut la Russie).
Comment pourrait-on caractériser un éventuel sous-développement de l'Europe ? D'abord, elle reçoit certains progrès de civilisation (agriculture, alphabet...) en retard. L'Europe étant un cap de l'Asie, elle est d'abord une région périphérique avant de de devenir le centre du monde (c'est un peu tautologique, ce que je dis là
).
On notera que c'est cette situation périphérique qui explique, selon
Emmanel Todd, la persistance de modèles familiaux nucléaires, alors que le reste de l'Asie et l'Afrique sont passés au modèle familial communautaire.
Emmanuel Todd a écrit :
Le foyer nucléaire était imbriqué dans des groupes locaux, ou «bandes», de plusieurs familles nucléaires, unis par les liens de parenté passant indifféremment par les hommes et par les femmes. La terre était abondante et quand l'enfant devenait adulte, il n'avait pas de problème pour partir et fonder un nouveau foyer.
Tout peut changer avec la densification des cultures: la terre n'est plus un bien illimité, préserver le bien familial prend un sens. C'est alors qu'apparaît souvent, mais pas toujours, la famille souche, où un fils marié (le plus souvent l'aîné) cohabite avec ses parents et est privilégié en termes d'héritage.
Le changement intervient en Mésopotamie vers le milieu du IIIe millénaire et en Chine à l'extrême fin du IIe - des documents l'attestent. Ainsi, ce que l'on présente souvent comme «naturel» - l'inégalité de partage, le droit d'aînesse, la patrilinéarité (transmission aux fils, exclusion des filles) - sont des constructions historiques parfaitement datables.
[...]
En Mésopotamie comme plus tard en Chine, le principe patrilinéaire est adopté par les nomades avoisinants, qui l'ajustent en donnant des places équivalentes aux frères. Il en résulte une nouvelle organisation du groupe, très efficace sur le plan militaire et dont l'effet sera l'invasion des zones sédentaires par des tribus venues des steppes et qui apportent ce principe d'équivalence des frères.
Pour continuer sur l'opposition entre l'Europe plurielle et les empires, je trouve déjà la comparaison chez Machiavel, dans son
art de la guerre, p.66 :
Machiavel a écrit :
L’Asie n’offrit que peu de grands hommes parce que, réunie presque tout entière sous un seul empire, son immensité la maintenait le plus souvent en paix et arrêtait tous les efforts d’un génie entreprenant. Il en a été de même de l’Afrique, à l’exception de Carthage où parurent quelques noms illustres. Car il est à remarquer qu’il naît beaucoup plus de grands hommes dans un république que dans une monarchie : là on honore le mérite, ici on le craint ; là on l’encourage,ici on cherche à l’étouffer. L’Europe au contraire, remplie de républiques et de monarchies, toujours en défiance les unes des autres, était forcée de maintenir dans toute leur vigueur ses institutions militaires et d’honorer ses grands capitaines.
Pour continuer sur la caractérisation d'un éventuel retard de l'Europe, on pourrait parler de l'absence de grande métropole, comme cela a été signalé, même si le chiffre d'un million d'habitants avancé pour certaines d'entre elles Bagdad, par exemple) n'a aucun fondement, et peut-être l'absence de rayonnement ou de production scientifique ou artistique.
Mais précisément, la présence de ces métropoles et leur rayonnement résulte de la capacité des empires à rassembler des richesses en un point précis, et à faire venir des savants ou des artistes.
Or, ces caractéristiques sont des conséquences, qui ont des impacts limités sur la société alentour. En effet, les métropoles demeurent sous perfusion de la population des campagnes : leur insalubrité ne permet pas à la population d'augmenter naturellement avant le XIXe siècle. La production scientifique, avant les révolutions européennes dans la chimie, la physique et la médecine, ne se traduisent quasiment jamais par la création de savoir-faire qui améliore la vie des habitants. Et les sciences fondamentales, finalement, c'est ce qu'il y a de plus simple à rattraper, puisqu'elles sont consignées dans des livres qu'il suffit d'apprendre à lire.
Au final, j'ai donc l'impression que la civilisation européenne apparaît moins "brillante" que les autres au Moyen Age précisément parce qu'elle ne dispose pas de capacité à concentrer des richesses et les élites dans des villes. En préférant le servage à l'esclavage, elle s'est même ôté la capacité à ponctionner rapidement sa main d'oeuvre pour les travaux dans les villes ! Or, une part importante de ses élites à elle vit à la campagne : monastères, châteaux forts... où elles se consacrent aux développements de techniques moins glamour que l'alchimie ou la philosophie : charrue, moulin, roues à aubes, amélioration de la race chevaline, instruments de levage permettant d'économiser la force humaine... Des éléments qui seront les facteurs de sa puissance dans les siècles suivants.