Pierma a écrit :
Personnellement, je suis lassé de la façon dont les médias évoquent la grande guerre.
Il doit être entendu que ce n'était qu'une boucherie stupide, dont les soldats n'étaient que des victimes, et qui n'avait aucun sens.
L'idée que ces soldats se soient aussi battus pour gagner, et aient fait preuve d'un courage et même d'une ténacité impressionnante, ça n'existe plus.
Vous reformulez les termes du débat des commémorations du centenaire (avant d'être éclipsé par cette mascarade autour de ¨Pétain). Pour ma part, ce qui est déroutant, c'est le flou entretenu autour de ce que l'on doit honorer, de ce qui importe vraiment en ce jour.
La polémique tente de scinder l'opinion entre 1)-
le deuil national puisque la grande guerre n'a été qu'une boucherie stupide, et j'use à dessein de la négation restrictive pour signifier le danger qui existe sous cette idée de" montrons horreur, montrons l'horreur, montrons l'horreur" (pour reprendre le rythme ternaire du discours de Clemenceau) et 2)- la commémoration de la victoire. Or il me semble qu'on commémore pour entretenir le souvenir, pas pour célébrer une victoire.
Mais cette deuxième idée se retrouve d'emblée mise au banc à cause de ce que la première pose. Rien ne doit avoir l'air d'un nationalisme.
Il faut s'accorder sur les mots qui sont ici lourds de sens. Le président a exprimé une idée majoritaire mais malheureusement imprécise en disant que les combattants étaient "des civils à qui l'on a donné des armes". Or chez moi, cela peut vouloir tout dire et rien dire en même temps. C'étaient des
conscrits . Or en employant ce terme plus juste, on convoque aussi les guerres révolutionnaire et l'imaginaire de la patrie en danger, les conscrits de l'empire, le débat autour du service militaire, la question de l'armée-citoyenne. Enfin cette idée fondamentale de la démocratie, du moins à l'origine, le citoyen-soldat. Jaurès dans
l’Armée Nouvelle montrait la nécessité, pour lui absolue, d'une force armée raisonnée, même dans la plus parfaite des démocratie. Il liait le patriotisme et l'internationalisme, sans verser dans un pacifisme aveugle.
Dans les programme scolaires on n'insiste plus que sur l'horreur et l'expérience directe de la guerre; rien de consistant, au contraire, au plan évènementiel, politique, idéologique et sur les ligues et associations d'anciens combattants.
Il me semble que l'on regarde la guerre de l'intérieur, comme une boucherie impensable et indicible. On veut proclamer "plus jamais ça", comme pour mieux se conforter. Nous aurions dépassé cette brutalité jugée archaïque et incompréhensible.
Pierma, je pense, voulait simplement dire, que parler des combattants, c'est précisément ne pas les reléguer dans les fosses et les ossuaires où ils dorment dans le carnage, sans nom. Ils ont tenu, chacun, ils ont survécu, ou l'on tenté, ils ont incarné la guerre quand elle n'était plus là.
Ces commémorations posent un problème redoutable, et elles courent le risque d'enterrer la Grande-Guerre, de l’étiqueter une bonne fois pour toutes en usant d'anathème. Que vaudront les commémorations suivantes, que pourront-elles après que le pays aura déposé, pour ainsi dire, la mante et le deuil. Non que nous devrions nous morfondre dans ce souvenir, comme dans un culte des mort, qui a marqué les années trente, mais il est impossible de fermer la page, d'être "apaisé" dans nos mémoires; c'est pourtant ce que l'on veut désormais en "tournant la page".
L'idée d'une guerre sans aucun sens et du plus jamais ça, on sait bien où ça nous a mené.
Je regrette que l'on ne parle pas assez de ce qu'a été, en lui-même le 11 novembre. Une commémoration nationale transcende un évènement. Dans mon département, l'Isère, professeurs, élèves, anciens combattants... ont défilé pour le 11 novembre 1943, à Grenoble, en signe de protestation. Ce n'était pas de l’anti-germanisme primaire, c'était avant-tout un moment sacré où le pays se souvenait de l'exemple des poilus, de ce que les citoyens-soldats avaient endurés, et que chacun avait fait son devoir. Devoir terrible, car l'on se battait pour quoi ? Pour défendre la République en danger face aux tyrans, comme en 1792-1793 ? Pour la "gloire éternelle de la patrie" ? Sûrement pour les camarades que l'on voulait sortir de l'enfer vivant !
Des hommes résignés. Des hommes partis, sachant que l'on mourrait, que l'on se sacrifiait pour la République. Ils ne désertèrent pas en masse, ni ne partirent le cœur gonflé d’enthousiasme, comme le voulaient les rouleurs de tambour, les Barrès et les Déroulèdes. Ils y sont allés lucides et graves, sachant ce qu'ils mettaient en jeu et le devoir envers la République.
Les engagés volontaires naturalisés, les juifs dont Barrès du bien reconnaître le courage exemplaire au feu, les troupes issues des colonies... Ils y allèrent d'abord pour montrer qu'ils ne reculeraient pas, au moment fatidique où se poserait la question.
Quand en 1943, les participants à ces commémorations furent arrêtés et déportés (350, environ à Grenoble), par les troupes d'occupation et la milice, je doute fort qu'ils défilaient sans songer à la République, au sacrifice, au sens profond de cette cérémonie.
Certes, nous ne sommes plus dans un système de conscription nationale, mais je ne pense pas que l'on doive se souvenir de "civils auxquels on avait donné des armes". Le 11 novembre est un moment de réflexion, un moment républicain-il faut le redire, et il vient nous tirer d'une vie tranquille, pour nous reposer cette question: demain, et après cela, en sachent cela, voudrons-nous encore de la guerre ? Est-on prêt à aller au champ ? Et si non, le citoyen peut-il déléguer la défense nationale ? Que me disent ces mémoires, que je convoque et entretiens ?