Jean-Marc Labat a écrit :
Ce qui a manqué aux Allemands, c'est la possibilité d'exploiter rapidement leurs percées , la motorisation leur permettra en 1940, non ?
Oui oui, l'accélérateur du cheval vapeur, de la troisième dimension et de l'onde hertzienne est réel, ce sont des moyens formidables de décupler l'avantage offert, mais 1) nous avions les mêmes moyens, peu ou prou ; 2) ils auraient été stériles sans la supériorité tactique induite par le raccourcissement de la boucle décisionnelle, qui est le véritable générateur de rythme de la manoeuvre allemande (point parfaitement illustré par Frieser).
En germe, ce principe existe depuis le XIXe siècle (c'est alors celui du Sattelbefehl, l'"ordre (donné) en selle", face au terrain, au plus près de la réalité des combats), et est mis en exergue de belle manière en 1870 (l'autonomie tactique des chefs de corps d'armée prusso-allemands est particulièrement nette) sans être encore un principe adapté aux plus bas échelons.
La révolution des Sturmtruppen, à partir de 1916, est le véritable changement de braquet : les Allemands créent des structures tactiques souples, très entraînées (c'est le propos de ces unités : l'entraînement), dirigées par des meneurs d'hommes sélectionnés par la hiérarchie et l'épreuve du feu, disposant de toute la panoplie nécessaire d'armements spécialisés (lance-flammes, cisailles de tranchée, grenades, premiers pistolets-mitrailleurs MP18 ou fusils-mitrailleurs Bergmann MG15 nA et MG08/15, canons d'infanterie 7,7cm L/20 et L/27, etc, etc.). Cette dernière spécificité ainsi que la nécessité d'une coordination très étroite et fine entre les Sturmtruppen d'une part, leurs appuis spécialisés (artillerie de différents types, génie) d'autre part, amènent les Allemands à intégrer le processus décisionnel au plus bas niveau, celui du chef de section (généralement un sous-lieutenant ou un lieutenant, Leutnant, Oberleutnant voire Feldwebelleutnant, parfois un capitaine, Hauptmann, ou un adjudant, Feldwebel). Ce dernier dispose donc, en plus de sa section de fusiliers dotée de trois ou quatre mitrailleuses ou fusils-mitrailleurs, d'une escouade de grenadiers (Handgranatetrupp), d'une ou plusieurs équipes de lance-flammes (Flammenwerfer), de sapeurs d'assaut (Sturmpioniere), d'un ou deux canons d'infanterie destinés à l'appui rapproché et direct (tirs d'embrasure). Il dispose
à sa main de l'intégralité des moyens nécessaires au bréchage d'une position ennemie, exceptés les plus lourds qui font l'objet d'une liaison spécifique et d'un travail de coordination en amont. L'échelon hiérarchique supérieur reste en dehors de la boucle, sauf pour des questions de coordination entre unités/secteurs, pour mettre en oeuvre les processus de relève (par dépassement ou sur position, introduction d'une réserve, etc.) ou pour veiller au minutage des appuis spécialisés.
On voit que par rapport à notre méthode qui place la coordination dans la main de l'état-major du bon niveau et en dépossède donc le chef de section ou le commandant d'unité au profit du chef de bataillon ou du colonel (voire du général), les Allemands ont placé le curseur sur
le cadre de terrain. Celui-ci doit être un chef remarquable et un professionnel hautement compétent et rigoureux.
Il n'est donc pas étonnant du tout qu'après avoir oeuvré à améliorer le système dans les années 1920 et 1930, ils en aient tiré de tels bénéfices en 1939-1941.
CEN EdG