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Et juste une petite autre hypothèse : concernant le territoire romain, bien qu'il fut menacé plus largement dès la fin du IVème siècle avec comme point d'orgue le sac de Rome par les armées d'Alaric vers 410, il ne mit que longtemps avant de disparaître. Même après la déposition de Romulus Augustule, les institutions notamment ecclésiastiques mais aussi judiciaires et politiques subsistèrent sans être dissoutes de manière spontanée et furent absorbées peu à peu par le creuset formé des anciens habitants de l'empire romain et des barbares arrivés. Il y eut, je pense, une grande continuité dans le démantèlement de l'empire romain.
Complètement mais la situation est contrastée ; on trouve des sociétés "ségrégationnistes" chez les Goths avec une séparation apparemment assez forte des tâches civiles, dévolues aux "Romains" et celles militaires occupées par les "barbares". Chez les Francs il me semble que les aristocraties fusionnent plus rapidement et que la société trouve un point d'homogénéité plus rapide.
En Italie, comme je l'ai mentionné plus haut, c'est surtout la reconquête byzantine qui, paradoxalement, rompt la continuité, en provoquant des départs massifs d'aristocrates de Rome.
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Pour l'Orient, il ne faut pas négliger la prépondérance de Rome dans l'empire byzantin. Déjà, lors de la fondation de Constantinople le 11 mai 324 avant J.-C., de nombreux rites purement romains furent utilisés, dont la limitatio de la ville avec la lance par le fondateur de la ville. Ensuite, le rite étrusque du conditor qui avait déjà été un moment marquant de la création de Rome par Romulus fut à nouveau également repris. Enfin, les restes de la guerre de Troie furent acheminés puis enterrés sous la ville au grand désespoir des habitants de l'Urbs. Ensuite, tout au long de l'histoire byzantine, de nombreuses similarités, principalement protocolaires ont subsisté, entre autres la cérémonie du triomphe et la salutatio. Les codes romains occidentaux furent très largement réinterprétés, tout en conservant les protocoles, comme on peut le voir dans le livre des Cérémonies rédigé sous Constantin Porphyrogénète. Le mode d'entrée dans la ville, de présentation au peuple, de respect vis-à-vis de Dieu, à la place des dieux romains, tous ces éléments étaient empreints de romanisme. Les banquets eux aussi étaient largement inspirés par les rites romains, l'organisation du triclinium se faisant avec des banquettes où les convives étaient allongés. Dans ce sens, la fin de l'empire romain peut être datée de 1453 avec la prise de la ville par les ottomans.
C'est bien plus profond que les simples faits de protocole ou de pratique. La pas orientalis est une partie de l'Empire. Que Rome n'y soit plus comprise est de peu d'importance, elle n'était plus, depuis le IIIe siècle qu'une capitale honoraire, la capitale ou les capitales se trouvant là où résidait l'empereur, que ce soit Trève, Milan, Sirmium, Nicomédie... Les habitants se considèrent assez largement comme des Romainset les seuls dépositaires de la légitimité impériale. La restauration de l'Empire en Occident par Charlemagne est perçue presque comme une singerie barbare. En clair, les pratiques, le protocole, la religion, les codes ne sont pas simplement inspiré de Rome, ils sont totalement romain, dans un esprit de continuité complet. Il n'y a aucune rupture de gouvernance.
Oulligator a écrit :
Quand on dit que l'Empire romain n'en finit pas de mourir c'est un peu la meme idée... Ce n'est pas vraiment «à petit feu», mais par à coups dans des domaines différents et parfois concomitants (ce que vous appelez "aspects"). Faut-il alors appliquer la notion braudelienne de "longue durée" à cette longue mutation ( j'ai failli utiliser le terme d'agonie...mais non finalement ça n'en est pas une) on pourrait meme parler de gestation...
Il y a un biais analytique quand on analyse la fin de l'Empire : on connait la fin de l'Histoire. Or l'Empire est une construction politique en permanente mutation. Qui pourrait prétendre que l'Etat romain de Scipion est le même que sous Auguste et que celui-ci est le même que sous Dioclétien ? Les mutations se sont poursuivis dans la partie orientale d'ailleurs. Mais il est intéressant de souligner que justement, les choses ont évolué certes face aux circonstances extérieures (invasion en particulier ou concurrence commerciale) mais aussi dans les schémas structurant la logique de gouvernance. On retrouve les mêmes fragilités, les mêmes conflits, les mêmes intrigues de l'époque julio-claudienne à la fin de Byzance. Il n'y a pas de règle stable de transmission du pouvoir et l'empereur n'est jamais propriétaire de sa charge, il est le représentant d'un pouvoir délégué et donc révocable. Alors oui, il existe des éléments de continuité, je ne les ferais cependant pas entrer dans le temps long qui l'est bien davantage mais dans ce qu'il définissait comme temps moyen.