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Message Publié : 17 Nov 2019 20:11 
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Jean Mabillon
Jean Mabillon

Inscription : 07 Sep 2008 15:55
Message(s) : 2683
Les historiens essaient de mieux comprendre la cité grecque sous la domination romaine. Vous connaissez sans doute le nom et l'œuvre de Maurice Sartre.

Je voudrais aussi vous signaler cette étude : "La cité grecque d'époque impériale : vers une société d'ordres ?"


"Loin d’être aussi statiques qu’on l’a longtemps pensé, les sociétés civiques grecques de l’époque impériale sont surtout conscientes de leur particularisme et très attachées à l’héritage de leur histoire séculaire, qu’elles continuent à faire vivre au sein d’un monde peut-être moins romanisé que « globalisé ».

Prises dans cette dialectique entre l’échelle globale et l’échelle locale, elles reconnaissent la domination de Rome tout en continuant à se percevoir comme des entités politiques à part entière, et non comme de simples unités administratives au sein d’un empire centralisé. Les textes officiels qu’elles produisent (par le biais des inscriptions, mais aussi des monnaies) peuvent ainsi être étudiés non seulement pour les mécanismes institutionnels et décisionnels qu’ils permettent de reconstituer, mais aussi pour le discours qu’ils véhiculent et les représentations qu’ils construisent.

Certains historiens de l’époque hellénistique ont déjà mis en œuvre une telle approche des sources épigraphiques, dépassant le cadre strict de l’histoire des institutions pour proposer une forme d’histoire totale (sociale, culturelle, politique, idéologique...) 

C’est notamment en appliquant la même démarche aux nombreuses inscriptions provenant de l’Orient romain que l’on peut tenter de renouveler notre connaissance des cités sous le Haut-Empire. La cité grecque n’est pas morte à Actium, et son histoire après l’instauration du principat reste encore en partie à (ré)écrire."

https://www.cairn.info/revue-annales-20 ... m#re89no89


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Message Publié : 17 Nov 2019 21:12 
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Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant
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Inscription : 08 Juin 2009 10:56
Message(s) : 5716
Localisation : Limoges
Je profite de ce sujet intéressant pour partager une lettre de Pline le Jeune qui me semble expliquer en partie la survie en Grèce de ces particularismes à l'époque impériale. Par delà certaines exagérations un peu emphatiques il n'empêche qu'on y devine le respect qu'éprouvaient certains Romains pour l'héritage grec qu'il savait grand et important dans leur propre culture :

Citer :
8,24, XXIV. - Pline à Maxime.
Mon amitié pour vous m'oblige, non pas à vous instruire (car vous n'avez pas besoin de maître), mais à vous avertir de ne pas oublier ce que vous savez déjà, de le pratiquer, ou même de travailler à le savoir encore mieux. Songez que l'on vous envoie dans l'Achaïe, c'est-à-dire dans la véritable, dans la pure Grèce, où, selon l'opinion commune, la civilisation, les lettres, l'agriculture même, ont pris naissance; songez que vous allez gouverner des cités libres, c'est-à-dire des hommes vraiment dignes du nom d'hommes, des hommes libres par excellence, dont les vertus, les bienfaits, les alliances, les traités, la religion ont eu pour principal objet la conservation du plus beau droit que nous tenions de la nature. Respectez les dieux qui ont créé cette contrée, et les noms mêmes de ces dieux; respectez l'ancienne gloire de cette nation, et cette vieillesse des villes, aussi sacrée que celle des hommes est vénérable. Rendez honneur à leur antiquité, à leurs exploits extraordinaires, à leurs fables même. N'entreprenez rien sur la dignité, sur la liberté, ni même sur la vanité de personne. Rappelez-vous toujours que nous avons puisé nos lois chez ce peuple ; qu'il ne nous les a pas imposées en vainqueur, mais qu'il les a cédées à nos prières. C'est dans Athènes que vous allez entrer ; c'est à Lacédémone que vous devez commander. Il y aurait de l'inhumanité, de la cruauté, de la barbarie à leur ôter l'ombre et le nom de liberté qui leur restent. Voyez comment en usent les médecins. Relativement à leur art, il n'y a point de différence entre l'homme libre et l'esclave; cependant ils traitent l'un plus doucement et plus humainement que l'autre. Rappelez-vous ce que fut autrefois chaque ville, mais non pour mépriser ce qu'elle est aujourd'hui.
Soyez sans fierté, sans orgueil, et ne redoutez pas le mépris. Peut-on mépriser celui qui est revêtu du pouvoir et qui porte les faisceaux, s'il ne montre une âme sordide et basse, et s'il ne se méprise pas le premier ? Un magistrat éprouve mal son pouvoir en insultant autrui. La terreur est un mauvais moyen de s'attirer la vénération, et l'on obtient ce qu'on veut bien plus aisément par l'amour que par la crainte. Car, pour peu que vous vous éloigniez, la crainte s'éloigne avec vous, mais l'affection reste; et, comme à la première succède la haine, la seconde se change en respect. Vous devez donc, je le répète, vous rappeler sans cesse le titre de votre charge, et l'importance de vos devoirs quand il s'agit d'organiser des cités libres. Qu'y a-t-il qui exige plus d'humanité que le gouvernement? Qu'y a-t-il de plus précieux que la liberté? Quelle honte serait-ce d'ailleurs de transformer la règle en désordre et la liberté en esclavage !
Je dirai plus : vous avez à vous mesurer avec vous-même. Vous avez à soutenir l'excellente réputation que vous vous êtes acquise dans l'emploi de trésorier de Bithynie, l'estime du prince, l'honneur que vous ont fait les charges de tribun, de préteur, et enfin ce gouvernement même qui est la récompense de tant de travaux. Mettez toute votre gloire à ce qu'on ne puisse pas dire que vous avez été plus humain, plus intègre et plus habile dans une province éloignée, qu'aux portes de Rome; parmi des peuples esclaves, que chez des hommes libres; désigné par le sort, que choisi par nos concitoyens; inconnu et sans expérience, qu'éprouvé et honoré. D'ailleurs n'oubliez pas ce que souvent vous avez lu, ce que vous avez souvent entendu dire, qu'il est bien plus humiliant de perdre l'estime que de n'en pas acquérir.
Veuillez prendre tout ceci, comme je vous l'ai dit d'abord, non pour des leçons, mais pour des conseils, quoiqu'après tout, quand ce seraient des leçons, je ne craindrais pas qu'on me reprochât d'avoir porté l'amitié à l'excès. Car on ne doit point appréhender qu'il y ait de l'excès dans ce qui doit être si grand. Adieu.

_________________
Scribant reliqua potiores, aetate doctrinisque florentes. quos id, si libuerit, adgressuros, procudere linguas ad maiores moneo stilos. Amm. XXXI, 16, 9.


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Message Publié : 19 Nov 2019 15:48 
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Eginhard
Eginhard

Inscription : 25 Mai 2004 21:35
Message(s) : 806
Localisation : Paris
Sur ce sujet, vous avez aussi la thèse d'A.-V. Pont, Orner la cité : enjeux culturels et politiques du paysage urbain dans l’Asie gréco-romaine, Pessac, Ausonius (coll. Scripta Antiqua), 2010.
Sa thèse est que les cités d'Asie Mineure au Haut-Empire sont engagées dans une sorte de course à la monumentalisation, à la plus belle ville, sous l'impulsion de leurs notables locaux ; elle remarque surtout que, dans les inscriptions célébrant ces travaux, les valeurs invoquées sont les idéaux de la cité classique et ne doivent rien, ou pas grand-chose, aux Romains. On construit des monuments pour la beauté et la pérennité de la cité, pas pour la majesté de l'empire. L'empereur et ses représentants n'interviennent que de manière ponctuelle et n'imposent pas leurs valeurs.

Pour comprendre la vitalité des cités grecques d'époque impériale, l'épigraphie est en effet indispensable, mais il y a également les écrits des auteurs dits de la Seconde Sophistique, comme Dion de Pruse. Celui-ci prononce des discours dans de nombreuses cités grecques en faisant appel à leur passé glorieux et à leurs valeurs civiques.

Par ailleurs, il me semble qu'il faut distinguer aussi selon les espaces. Partout, sans doute, la cité grecque continue de fonctionner, mais la Grèce continentale doit être très dépeuplée à l'époque impériale. A part Athènes, qui connaît encore de beaux jours, notamment grâce à des bienfaiteurs richissimes comme Hérode Atticus, les autres cités qui ont fait la gloire de la Grèce classique devaient faire bien pâle figure.
En revanche, les cités grecques d'Asie et du Levant doivent être extrêmement dynamiques : Pergame, Smyrne, Ephèse, Nicomédie, Antioche sont parmi les plus grandes villes de l'empire romain.


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Message Publié : 19 Nov 2019 16:35 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile
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Inscription : 05 Oct 2005 20:39
Message(s) : 2063
Localisation : Lyon-Vénissieux
Merci cher Pédro de citer cette lettre extraordinaire !
:mrgreen: :mrgreen:

_________________
Le souvenir ne disparait pas, il s'endort seulement.
Epitaphe trouvée dans un cimetière des Alpes

La science de l'histoire est une digue qui s'oppose au torrent du temps.
Anne Comnène, princesse byzantine (1083-1148)

Le passé fait plus de mal que le présent
Proverbe Albanais


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