Pierma a écrit :
Déjà Chapoutot semble ne parler que du management des hommes : comment les choisir, les gérer, et surtout les motiver, etc... J'ignore s'il parle du management des organisations, autrement dit de la façon de les construire et d'y distribuer les rôles, d'affecter aux dirigeants de tous niveaux un périmètre de décision et des règles de fonctionnement.
Je me cite, parce que tous les cabinets de conseil et tous les managers savent faire la différence entre management des hommes, et celui des organisations.
Mais Chapoutot en parle, dans l'interview ci-jointe. (C'est sur France Culture, il y a également un podcast que je vais écouter.)
Il en parle pour dire que si les nazis ont pensé en terme de "Menschenführung" - "management des hommes", en gros, et DRH est une traduction acceptable) en revanche ils étaient d'une incapacité crasse sur le management des organisations. Où plutôt il le transformaient en lutte à mort, darwinienne, entre organisations et services dont les attributions se recouvraient, soit la copie à tous les niveaux de ce que Hitler faisait avec ses sbires du premier cercle.
Chapoutot a écrit :
Nous sommes aussi influencés par les discours que les nazis ont tenu sur eux-mêmes : l'organisation impeccable, les trains qui arrivent à l'heure, etc. Dans la pratique, à partir de 1933, on observe que l’administration nazie, c’est une cacophonie permanente, un gigantesque maelström entropique, consommateur de temps, d'énergie et d'argent. Le nazisme est une "polycratie", une multitude de centres de pouvoir qui sont autant de petites féodalités, autour de services et d'agences multiples. A tous les niveaux surgissent des initiatives, des petits chefs. Cette polycratie a longtemps été considérée comme une pratique spontanée, non réfléchie. Mais en fait elle a été théorisée par des spécialistes de droit public et des organisations, comme Reinard Höhn, qui vont en faire une forme de darwinisme administratif consistant à placer sur le même champ de compétences une multiplicité d'institutions comme la police, l'armée, le parti, les ministères, plus les agences ad hoc, qui se multiplient sous le Troisième Reich. Ce qui engendre une concurrence absolument démentielle et une lutte quasi à mort entre ces différentes instances.
Et mon tout est un gaspillage insensé des énergies. Dans un combat "tout le monde contre tout le monde". C'est typiquement quelque chose que des responsables ou consultants en
organisation (et pas en DRH) chassent systématiquement.
Perso, quand je tombais sur une simple ébauche de ce genre de cirque, je mettais la clarification en préalable de tout changement d'organisation. Faire évoluer une usine, typiquement, quand on ne sait pas qui est responsable de quoi, avec des cadres qui défendent ou étendent leur pré carré, c'est impossible.
Les barons qui se battent, c'est humain, et si le patron ne cadre pas ou ne borne pas, ça crée des blocages partout.
En fait les problèmes d'organisation surgissent très souvent aux interfaces entre services ou domaines d'activité. Par exemple, toutes les entreprises du monde connaissent le conflit ancestral entre le commercial et la production, qu'il s'agisse de biens ou de services :
Production : "les commerciaux se f...tent de nos contraintes, il vendent tout et n'importe quoi avec des délais irréalistes, et ils nous fichent le bazar : impossible de lisser ou d'optimiser la production dans ces conditions."
Commercial :"Les gens de la prod n'ont aucune souplesse, on ne peut leur demander aucun effort même pour une vente super importante..."
Donc l'anarchie nazie, qui multiplie les interfaces conflictuelles, est meurtrière... pour leur efficacité !
Il faudra quand même que je parle du sociologue Philippe d'Iribarne, parce que sa vision de la façon dont les Français se managent, liée à notre culture, est très différente de ce qu'en voit Chapoutot. Elle est même complètement opposée, il me semble.
Le lien en attendant, pour l'interview et le podcast :
https://www.franceculture.fr/histoire/johann-chapoutot-le-nazisme-une-multitude-de-centres-de-pouvoir-qui-sont-autant-de-petites?fbclid=IwAR0o6HF6eaaTOnibcEtoEYuidPlyXpmyOSklOoVJaJ-cb3wp_18AAmucvXoEdit : je m'aperçois à l'écoute du podcast qu'il s'agit du dialogue déjà mis en ligne. (par Duc de Raguse, je crois.) En revanche l'interview est à lire.