Duc de Raguse a écrit :
N'oublions pas le retard pris par les Allemands quant à la quête de l'Est pour venir en aide aux Italiens, totalement empêtrés en Grèce.
J'ai évolué sur cette question en effet. Alors qu'avant je considérais que "Marita" et "25" n'avaient eu que peu d'impact sur "Barbarossa", force est de se rendre à l'avis des intéressés : la marine allemande (le journal de la Seekriegsleitung, entrée du 3 avril 1941 - avant que les opérations ne débutent donc) parle d'un retard de cinq semaines, l'état-major de la Panzergruppe 1 de Kleist (JMO, entrée du 12 avril 1941) d'un retard de quatre à six semaines. Ce qui corrobore la donnée d'entrée de la directive d'Hitler n°21 du 18 décembre 1940 (initiant "Barbarossa") qui évoque la date du 15 mai 1941.
Mais si jamais les données de la guerre en Méditerranée sont bouleversées par le maintien dans la guerre de la France, il est vraiment improbable pour le coup que l'Italie ait cherché des crosses à la Grèce en octobre 1940.
Duc de Raguse a écrit :
Les faits d'armes de l'Etat fasciste sont tout de même parfois proches du ridicule. Si les armées de Mussolini ont eu tellement de difficulté face aux Ethiopiens, je les vois mal disputer la Tunisie ou une autre partie de l'AFN aux Français et/ou aux britanniques.
Oui et non.
Oui parce que, vu les forces françaises déployées en Tunisie, sur la position de Mareth et sur le littoral, je doute que les Italiens aient les moyens - sans même parler de l'allant et de la qualité - de s'emparer de la Tunisie. Les Français y sont forts (cf. mes messages ci-dessus).
Non parce que l'armée allemande est le "game-changer" de l'analyse stratégique. Il suffit d'un corps mécanisé allemand avec appui aérien pour qu'une armée italienne incapable de créer la décision soit capable de ramener les Britanniques du golfe de Syrte à l’Égypte en un mois. Il est hors de doute pour moi que les positions françaises auraient été bréchées, et aisément, par un tel corps d'armée capable de déborder la ligne "Mareth" par le Sud.
Ne pas oublier que la question essentielle de cette uchronie, c'est bien de savoir si avec le maintien dans la guerre d'une France, même réduite à son empire, Hitler aurait persévéré dans son intention d'agresser l'URSS ou alors aurait consacré le temps nécessaire à sécuriser le flanc méridional de l'Europe allemande. Dans le premier cas, une intervention aéroterrestre allemande en Tunisie est peu probable ; dans le second, elle est très plausible (même si avec Mussolini, il aurait d'abord fallu que les Italiens se cassent les dents pour qu'une telle intervention soit sollicitée).
Duc de Raguse a écrit :
Quant aux Espagnols, ils sont sortis exsangues d'une guerre civile dont les plaies ne sont pas encore cicatrisées.
Franco n'a aucun intérêt à entrer en guerre contre le Royaume-Uni seul, alors avec l'Empire français en embuscade, la question ne se pose même pas.
Je partage le constat, mais de facto, Franco a été à deux doigts de se déclarer pour l'Axe en juin 1940. Il est bien moins chaud lors de l'entrevue d'Hendaye fin octobre, mais fin juin 1940, il frôle l'incandescence.
L'intérêt espagnol à une guerre contre le Royaume-Uni est limité à Gibraltar. Il est loin d'être insignifiant, mais de toute évidence cela ne fut pas suffisant pour inciter Franco à rentrer dans le conflit.
Mais si cet intérêt est renforcé par la promesse de se tailler un protectorat marocain au détriment de la France, est-ce que la balance n'aurait pas penché en faveur d'une entrée en guerre ? Car Gibraltar et le Maroc (et pourquoi pas l'Oranais, tant qu'à faire) sont des proies tentantes et vulnérables, pour peu que l'armée espagnole bénéficie du concours allemand (qui est prévu dès juillet 1940 pour "Felix").
Du coup, c'est exactement le contraire, à mon avis : là où il n'y a que peu d'intérêt à rentrer en guerre avec le Royaume-Uni, il y en a un, et fort, à rentrer en guerre contre la France au moment où elle est à terre et la frontière pyrénéenne en mains allemandes.
Duc de Raguse a écrit :
Il y a des moments où les kriegspiel et l'uchronie se heurtent à certaines réalités géopolitiques, qui dépendent également de la propension des peuples eux-mêmes à supporter les conséquences d'une guerre, même dans une dictature. L'Espagne ne l'aurait pu. Franco enverra quelques divisions et s'estimera quitte envers l'Axe.
Une seule division, la 250. Infanterie-Division qui combattra avec brio dans le secteur de Leningrad de novembre 1941 à octobre 1943.
L'Espagne est largement en mesure de se permettre une guerre de quelques semaines, qui a tout l'air d'une promenade, au Maroc et à Gibraltar (cf. le volume de forces espagnoles déployées dans le Nord-Maroc, par rapport à celles des Français : ceux-ci sont surclassés). Elle est certes conditionnée par l'importance de l'aide allemande, directe (forces aéroterrestres) et indirecte (Franco demande ainsi des garanties sur la livraison de céréales, dans des quantités extraordinaires, à Hendaye - ce que Hitler est bien en peine de lui promettre, vu que la pénurie guette l'Allemagne).
Pour moi, du coup, Franco aurait pu se laisser tenter par une entrée en guerre justement
parce que la France vaincue à plate couture sur le continent en était encore belligérante - ce que l'armistice a rendu caduc. Si la France sort de la guerre, on l'a vu, l'Espagne n'y prend pas part, parce que les territoires contrôlés par Vichy sont garantis par l'Allemagne en vertu de l'armistice. Mais qu'en est-il si elle en reste un acteur direct que l'Allemagne n'a aucune raison de ménager, au contraire ?
Duc de Raguse a écrit :
Quant à l'exportation du blitzkrieg en AFN je n'y crois pas trop. Même si les troupes françaises n'avaient pas été très nombreuses, manquant de matériel adapté, les armées de l'Axe auraient eu beaucoup de mal à maîtriser le terrain et se seraient autant enlisées que l'Afrikacorps de Rommel au final.
Alors là, hélas, je crains que c'est à la fois s'illusionner sur la capacité française à résister, et sur l'incapacité allemande à s'y imposer.
Vu les moyens aéroterrestres qui auraient pu être mis en oeuvre en AFN, l'armée française n'avait aucune chance d'y résister à une attaque résolue, menée avec des forces même limitées en volume. La ligne "Mareth" aurait pu résister un temps à une attaque frontale, mais les forces françaises en AFN sont absolument incapables d'empêcher son contournement par le Sud : elles n'ont aucune unité à la mobilité opérationnelle et à la puissance suffisantes pour éviter à un corps mobile de mener un raid blindé dans la profondeur, puis de se rabattre sur le coeur de la Tunisie. La Panzergruppe "Afrika" se jouera à plusieurs reprises des Britanniques pourtant bien plus manœuvriers dans les confins libyo-égyptiens. Et que dire de l'incroyable célérité avec laquelle la 12. Armee s'empare de la Grèce continentale en trois semaines (malgré la ligne "Metaxas", malgré un terrain très favorable à la défense, malgré un renfort britannique qui ne fut pas dérisoire) ?
Une position défensive intéressante, une fois la Tunisie perdue, aurait été la dorsale tunisienne, qui arrêtera d'ailleurs les Allemands en 1942-1943. Mais il ne faut pas rêver : là où il a été difficile d'arrêter des forces de bric et de broc hâtivement aérotransportées et sans guère de matériel lourd fin 1942, et où ce sont les forces conjointes américano-britanniques qui le firent en février-mars 1943 face à un corps de bataille mécanisé allemand, les forces françaises d'AFN, au premier semestre 1941, en auraient été vraisemblablement incapables.
Par la suite, à part le fait que l'espace dont il faut s'emparer est vaste, ce n'est qu'une plaisanterie : il n'y a guère d'obstacle d'Est en Ouest, l'Atlas faisant une barrière Nord-Sud.
Car la Panzergruppe "Afrika" ne s'enlise justement pas. Elle est arrêtée pour des raisons logistiques, impréparée à ses succès du printemps et de l'été, à bout d'allonge et gênée par Tobrouk, en novembre 1941. Elle est bloquée par une position incontournable en juillet 1942. Mais jamais le terrain seul ne l'a empêché de manœuvrer, c'est tout le contraire.
Duc de Raguse a écrit :
Et puis, il faut s'y rendre : avec quelle flotte ? L'italienne ? Contre celle des franco-britanniques ? Cela ne me semble pas sérieux un instant.
Sous le parapluie du X. Fliegerkorps, le franchissement de la Méditerranée de Sicile ou de Naples vers Tripoli n'est qu'une formalité en 1940-1941. Jamais la Force "H" de Gibraltar ou la Mediterranean Fleet d'Alexandrie n'auraient pris le risque de s'engager à fond dans un secteur maritime où la Luftwaffe exerçait la suprématie aérienne. Elles ne le feront pas de 1940 à 1943, elles laisseront l'Afrikakorps se mettre en place en Libye, elles n'interrompront jamais les flux logistiques entre l'Italie et la colonie italienne du conflit (même si les avions et les sous-marins de Malte coulèrent de nombreux bateaux, surtout en 1942), elles ne purent empêcher la mise en place de la 5. Panzerarmee en Tunisie en novembre-décembre 1942 ; il n'y a aucune raison de penser qu'elles auraient empêché une génération de force germano-italienne en Libye. Tout au plus auraient-elles pu la gêner, un peu.
Même la puissante Grand Fleet de Scapa Flow ne s'aventure pas à portée des avions allemands, et on sait que les Allemands comme les Britanniques considéraient que le "Bismarck" aurait été sauvé s'il avait pu rejoindre la zone couverte par le rayon d'action des avions de la Luftwaffe le 28 mai 1941, car jamais les unités de surface qui le poursuivent, pas plus que les "Swordfish" de l'aéronavale britannique, ne se seraient risqués à l'y chasser.
Duc de Raguse a écrit :
C'est ce que je ne parviens à saisir.
Le fait que la Méditerranée occidentale soit "neutralisée" par les clauses de la Convention d'armistice n'a rien à voir avec l'état d'esprit de ses rédacteurs. Encore que, Hitler laisse faire, parce qu'au final il s'en fiche.
Son but est l'attaque de l'URSS et rien d'autre, il n'a cure de l'AFN et même lorsque l'Afrikacorps s'y trouve il ne cessera de considérer ce front comme secondaire, juste bon à occuper les Anglais pendant que l'élite de l'armée allemande tentera, en vain, de faire tomber Moscou et Léningrad. A titre d'exemple lorsque Rommel demande des troupes supplémentaires pour faire face aux Anglais plusieurs semaines avant El Alamein, ses suppliques demeureront lettres mortes. Encore une fois, Hitler se fiche de ce coin du monde.
C'est pathétique chez lui, au même titre que la destruction de la "juiverie internationale", à tel point qu'il néglige tout ce qui ne sert pas directement son projet
Je suis désolé mais là on verse dans le déterminisme. Oui, éliminer l'URSS est au coeur du projet hitlérien. Mais encore une fois, il ne dit rien du calendrier, nulle part. Tout ce qu'on sait, c'est qu'il l'inscrit à l'agenda en juillet 1940, pour le printemps 1941.
Si jamais la situation stratégique de fin juin 1940 est changée - et le maintien dans le conflit de la France la change très certainement - rien ne prouve qu'il aurait pris une telle décision le mois suivant. Au contraire, c'est typiquement le genre de données géostratégiques qui aurait pu l'amener à une analyse totalement différente de la situation, et je pense qu'il aurait été incité à poursuivre les opérations à l'Ouest et au Sud avant de se retourner à l'Est, ce que le maintien du seul Royaume-Uni dans le conflit ne justifiait apparemment pas (mais ce fut une erreur énorme de sa part de le penser). Du coup, non, si la France reste dans la guerre, je pense qu'il aurait pu décider de consacrer l'année 1941 à éliminer la présence française en Afrique septentrionale, à prendre Gibraltar et sans doute l’Égypte.
Ce qui ne signifie pas qu'il n'aurait pas pris des mesures contre l'URSS - les éléments qui déclenchent le glissement stratégique de l'Ouest vers l'Est en juillet 1940 sont bien connus : le fait que l'URSS se soit emparée dans la seconde quinzaine de juin 1940 d'une partie de la sphère d'influence allemande (le district de Mariampoljé en Sudovie lituanienne) et surtout de la Bessarabie, menaçant les champs pétrolifères roumains vitaux à l'effort de guerre allemand. Mais des mesures de protection auraient suffi à se prémunir d'une pression soviétique, elles ont d'ailleurs été prises : envoi d'un groupe d'armées à l'Est, avec 35 divisions, en septembre 1940, déploiement d'une mission militaire en Roumanie avec comme objectif d'en protéger les ressources stratégiques. Il n'était pas nécessaire de faire beaucoup plus, et la visite de Molotov à Berlin le 12 novembre 1940 aurait peut-être été bien plus cordiale.
Duc de Raguse a écrit :
Il sait que le temps joue contre lui - tout comme le déséquilibre humain qui ne cesse de s'accentuer - et il lui faut impérativement aller vite, tout retard peut être fatal.
Il a peut-être pensé cela, mais si c'est le cas il avait tort, selon moi.
1) mieux vaut un bon retard qu'une mauvaise ponctualité : si ce retard a permis de sortir du conflit le Royaume-Uni et de sécuriser durablement les arrières du Reich pour qu'il se retourne avec toute sa puissance (c'est-à-dire sans laisser cinquante divisions sur 200 à l'Ouest ou au Sud, ainsi qu'un quart de la Luftwaffe) contre l'URSS, alors ce retard aurait été éminemment bénéfique pour l'Allemagne nazie ;
2) on parle des possibilités de renforcement de l'Armée rouge, sans penser que ce délai aurait été mis à profit par la Wehrmacht. On oublie que celle-ci a explosé en seulement cinq ans, et que cette croissance exponentielle et démesurée s'est faite en créant des vulnérabilités et des faiblesses dans l'appareil militaire allemand. Sa motorisation est insuffisante, ses chars et ses canons antichar sont trop peu puissants, etc., etc. Du coup, un an de répit pour se mettre en ordre de bataille en n'ayant à mener que des batailles échantillonnaires mettant en jeu quelques divisions en Libye, en Égypte, en Tunisie, en Andalousie, au Maroc, honnêtement, c'est plutôt un avantage qu'un inconvénient.
Le T-34 aurait-il été une mauvaise surprise en 1942, si chaque division avait eu une batterie antichar de Pak 40 de 75mm voire de 88mm ? "Barbarossa" avec 850 000 véhicules à moteur au lieu de 600 000 aurait-elle été un échec ? Avec 200 divisions au lieu de 150 ? Et avec l'incorporation de la classe 1922 (anticipée le 5 septembre 1941) en plus de la conscription des précédentes, l'Allemagne n'aurait-elle pas eu la possibilité de pousser jusqu'à 235 ou 250 grandes unités, de quoi écraser l'Armée rouge ?
Bref, c'est compliqué, mais l'Histoire a tranché : en attaquant l'URSS en juin 1941 en ayant toujours un ennemi à l'Ouest, Hitler a commis une faute stratégique décisive qui lui coûtera son empire et sa vie. Il aurait donc été logique pour lui d'attendre une occasion plus favorable, soit parce que ses armes auraient été plus fortes qu'elles ne l'étaient, soit parce que sa situation stratégique aurait été améliorée (par exemple avec la sortie du conflit du Royaume-Uni).
Et le maintien de la France dans la guerre l'aurait peut-être incité à des actions capables de s'en assurer : prise de Gibraltar, éviction des Alliés d'Afrique septentrionale, donc rupture de la route des Indes, avec ce que ça aurait eu comme incidence sur la bataille de l'Atlantique et la situation intérieure du Royaume-Uni.
CEN EMB