Karolvs a écrit :
Tout ce qu'on m'a opposé, c'est justement le non-argument genre "c'était pas possible à l'époque parce que ça n'a pas été possible plus tard".
Mais c'est complètement faux, et vous le savez très bien.
J'ai répété à de très nombreuses reprises les arguments qui militaient pour une large exagération de César :
1) il a un mobile pour le faire (son intention est politique quand il rédige les Commentaires après coup, et il souhaite y apparaître comme le vainqueur glorieux d'un peuple craint par Rome depuis Brennus dont il a tout intérêt à accréditer les preuves de la puissance) ;
2) il est suspect de le faire, il a fréquemment exagéré les descriptions qu'il a faites afin de susciter la plus large admiration possible (ou alors trouvez-moi des élans à une corne qu'on capture en faisant tomber l'arbre sur lequel ils s'appuient et un animal de la taille d'un éléphant qu'on appelle l'urus, en Germanie, au Ier siècle avant Jésus-Christ) ;
3) ce n'est absolument pas parce que les chefs gaulois exigent tant d'hommes de chaque tribu que celles-ci les fournissent, ni s'ils les fournissent que cela signifie que ces hommes se sont retrouvés sous les palissades romaines qui enserrent Alésia ; or c'est tout ce que l'on a, ce qu'ils ont demandé, mais ça n'en fait nullement le chiffre des présents compte tenu des nombreuses possibilités pour que lesdits guerriers, s'ils ont été fournis (ce que l'exemple des Bellovaques rend douteux), ne soient pas au rendez-vous (délais, attrition). Afin d'illustrer ce point : dans un contexte similaire, Hitler exige la levée du Volkssturm à l'automne 1944 et espère en tirer deux millions de combattants sous quinze jours, il en aura dix fois moins ;
4) de la plume de César lui-même, il est reconnu qu'au moins un des peuples sollicités n'a donné qu'un-cinquième du contingent exigé, ce qui devrait a minima obliger à un peu de prudence (puisque le chiffre initialement annoncé, déjà, est amputé avant même que les contingents s'organisent de 8 000 unités) ;
5) des sources archéologiques (numismatiques en l'occurrence) soulignent que des contingents pourtant sollicités ne semblent avoir été présents que de manière épisodique (Rutènes, Atrébates, Nerviens, Lémovices, comptant pour 31 000 combattants = huit occurrences monétaires), contrairement à d'autres (Arvernes, Séquanes, Eduens, Senons, représentant 94 000 combattants, c'est-à-dire trois fois plus = 375 occurrences monétaires, c'est-à-dire 47 fois plus). On notera que les Bellovaques, qui ne participent selon César que symboliquement, n'ont semble-t-il laissé aucune pièce sur le champ de bataille. Si ce n'est pas une preuve en soi puisque les monnaies des grands peuples avaient peut-être plus cours que celles des tribus plus modestes, cela laisse entendre que les contingents n'étaient peut-être pas si exacts que cela à obtempérer, ou en capacité de le faire.
En outre, vous corrélez le chiffre de 250 000 (ou 200 000 ? Ou 240 000 ? On ne sait plus bien) a un savant calcul gaulois du volume de forces nécessaire pour perforer les défenses élaborées des Romains, alors qu'il est hautement improbable que ce soit de cette manière qu'ils réfléchissaient (non, il n'y avait pas d'abaque à cette époque), et que ça ne peut donc servir, en tout état de cause, d'argument pour justifier les volumes demandés. Ceux-ci, prosaïquement, ont été vraisemblablement indexés sur la vigueur du soutien et la puissance résiduelle supposées (et éventuellement les sacrifices déjà consentis) des peuples sollicités.
J'y ajoute l'intuition que les chiffres de César, comme une infinité de chiffres antiques, étaient exagérés car c'est un procédé littéraire commun à l'époque (les Huns de Jordanès, les Perses de Pausanias, etc.), et que l'existence d'une armée d'un tel volume, nécessairement incommandable et insoutenable, était plus que douteuse. J'appuie cette intuition sur le fait qu'aucune armée avant le XIXe siècle n'atteindra de tels volumes, et de très loin, et que même des Romains capables de planification, dotés d'une organisation militaire très élaborée et à même de soutenir leurs forces dans la durée, seront bien incapables de mettre sur pied de telles armées (on parle de 100 à 120 000 hommes, légionnaires et auxiliaires, pour mater la grande révolte illyrienne entre 6 et 9, par exemple, sachant que la réaction romaine a frappé les esprits des contemporains par sa violence et son intensité). Sans compter les difficultés extraordinaires à lever une telle armée dans l'urgence, à la rassembler dans un temps très court pour la faire entrer en action en un mois et demi (délai qui pourrait laisser supposer que les contingents les plus éloignés n'ont pu rejoindre à temps), qui plaident pour que le volume espéré ait été drastiquement réduit sous les contraintes conjuguées du temps, de l'espace et de la volonté hétérogène des tribus.
Un historien dont je n'avais pas connaissance des travaux a en outre orienté ses recherches dans cette direction, et en conclut que l'armée de secours comprenait au maximum 178 000 hommes (69% du volume avancé par César), vraisemblablement moins, dont une bonne partie n'était pas des combattants, et qu'elle fut fort logiquement, à la vue du contexte de sa mise sur pied "[a]ccablée de privations et de fatigue, au terme d’une semaine de marche, (…) battue par l’espace et le temps autant que par les armes". C'est-à-dire qu'il met en avant des raisons logistiques.
Si vous ne voyez que les arguments logistiques qui ne sont qu'une confirmation d'autres arguments facilement démontrables, et bien je suis désolé mais je ne peux rien faire de plus, car je crains fort que mon raisonnement ne soit bien plus complet que cela et je ne vais pas le répéter éternellement.
En outre, vous vous gardez bien de répondre aux véritables questions qui sont :
a) quelle confiance peut-on avoir dans les affirmations de César ? ;
b) est-on certain de la cohésion de la confédération pour affirmer que toutes les tribus obtempèrent sans rechigner ? Autrement formulé sinon : quelle est la capacité de contrainte des chefs gaulois, alors même que la campagne tourne mal, pour obliger l'ensemble des tribus à fournir les contingents demandés ?
c) quelle est la capacité des tribus à obtempérer, quand bien même ce serait leur volonté unanime, alors même que l'on voit que certaines d'entre elles ont déjà subi de lourdes pertes et sont largement mises à contribution une nouvelle fois (j'ai pris l'exemple des Sénons, Aulerques et Parisii, qui ont subi de lourdes pertes sous Camulogène et sont sommés de fournir 10% de l'effectif total, mais il y en a d'autres bien entendu) ?
Je comprends pourquoi : vous en faites une affaire personnelle. Mais n'y ajoutez pas la mauvaise foi, elle ne crédibilise pas vos positions. Au contraire.
LCL EMB