Bonjour à tous,
J'ai lu ce matin dans la revue "Histoire et images médiévales" numéro 3 (août-septembre 2005) un petit article consacré à l'iconographie du portail sud de l'église Saint-Pierre d'Aulnay. Cet article est signé Lionel Dieu, notamment président d'Apemutam.
On y lit son interprétation, basée selon lui sur les travaux d'Olivier Beigbeder (transmis dans le Lexique des symboles, paru chez Zodiaque) et sur ses propres recherches.
J'aimerais avoir l'avis des personnes qui auraient lu cet article, et de manière plus générale, discuter du sens qu'il conviendrait d'accorder à cet extraordinaire portail roman. Pour ceux qui ne connaissent pas du tout cette oeuvre, je vous renvoie notamment à l'excellent site :
http://www.art-roman.net/aulnay/aulnay.htm
et à celui-ci pour des photos du-dit portail sud :
http://pmarecha.free.fr/roman/aulnay.htm
J'avoue que c'est la première tentative d'explication globale de ce portail que j'ai l'occasion de lire. Je ne sais pas s'il existait des essais préalables. J'ai vérifié qu'Emile Mâle, référence incontournable pour l'iconographie religieuse médiévale, par exemple, ne s'y risquait pas. S'il parle bien de quelques scènes aisément identifiables (une voussure de vieillards de l'apocalypse, par exemple, sur ce portail), il ne donne pas de "programme iconographique" cohérent pour ce portail.
Pour résumer (et pour permettre à ceux qui n'auraient pas lu l'article dont je parle mais qui souhaiteraient intervenir ici pour donner leur avis), voici le programme présenté par Lionel Dieu.
Le programme correspond, selon lui, à la vision chrétienne du monde, depuis la Création jusqu'au jugement, et centrée sur le choix dualiste que doit faire l'homme, entre le Bien et le Mal, et qui détermine son destin final lors du Jugement.
La voussure interne du portail présente "sept masques qui vomisssent des rinceaux qui entourent six animaux hybrides", et représente selon lui la création en six jours par Dieu. J'avoue que c'est la première fois que je lis une explication de ce type pour ce genre de motifs, et pour le moment, je suis assez sceptique à ce sujet. Il étaye son hypothèse par la présence d'un "omega" présent sur cette voussure, qui marquerait la fin de l'oeuvre de création (personnellement, je ne trouve pas cet oméga sur la figure, mais ceci est p-ê du a la mauvaise qualité de la reproduction photographique, et je suis prèt à lui accorder la présence d'un hypothétique oméga au milieu des rinceaux... Mais ne conviendrait-il pas d'y chercher un "alpha" alors ?).
Les deux voussures suivantes sont plus classiques : un étage de 24 personnages (12 apôtres et 12 prophètes), l'autre présentant 31 vieillards de l'apocalypse... Lionel Dieu y voit une symbolique dans les nombres de personnages, il est vrai inhabituel pour les vieillards ; 24 = 12 + 12 (à rapprocher de la phrase de Zénon de Vérone "Le Christ est le jour éternel et sans fin : à son service, il a les douzes heures dans les apôtres, les douze mois dans les prophètes". Pour les 31 vieillards (normalement aussi au nombre de 24), l'augmentation évoquerait le nombre de jours des mois. Que penser de cette interprétation numérologique... ? Si la phrase de Zénon pourrait me convaincre (ce type de traces, gravées dans la pierre, des textes patristiques et bibliques est tout à fait dans l'esprit d'Emile Mâle), j'avoue ne voir aucune justification basée sur les textes patristiques pour associer les Vieillards aux jours. Et que faire des mois de 30 jours ? Cela ne me semble guère harmonieux...
L'interprétation de la dernière voussure mène aux conjectures les plus hardies. Je ne peux détailler ici toutes ces hypothèses, mais l'idée générale en est une organisation articulée sur un "choix" de l'homme entre le Bien et le mal (choix représenté par deux lionnes aux cous entrecroisés, formant un X), le mal se situant dans la partie droite de la voussure (quand on est face au portail), le bien à gauche.
Si cette interprétation générale de la dernière voussure ne me pose pas de problème, j'avoue rester perplexe devant certaines explications de petites scènes données dans cet article. Je ne les conteste évidemment pas, mais j'aimerais avoir d'autres avis sur la question. Par exemple, le thème de la chasse (le centaure poursuivant un ou des animaux, un classique de l'art roman) est ici expliqué, mais d'une façon que je juge confuse : ce thème est situé du "bon" côté (celui du bien), et selon l'auteur correspond au combat contre les tempéraments à vaincre définis par Hippocrate et galien (le cerf peureux, le bouc coléreux et luxurieux, l'âne paresseux...). Mais le centaure chasseur est lui même "fortement sexué", selon l'auteur... Où est donc la victoire de la morale de ce côté ? j'avoue que je suis perplexe.. Et que faire des dizaines de scènes analogues où le centaure ne pourchasse qu'un seul animal (souvent un cerf) ? Les sirènes sont aussi présentes des deux côtés de la voussure, ce qui me semble étrange du côté du Bien. Enfin, je reste aussi fort étonné de la mention d'un personnage présentant, au milieu du front (et du côté du bien !), un troisième oeil, "symbole de clairvoyance surhumaine". C'est la première fois que je rencontre ce détail dans l'art roman. Il est vrai qu'il est incontestable, celui là, même sur les photos de qualité moyenne de la revue. Connaissez-vous d'autres églises où ce personnage apparaît ? Et une interprétation plus plausible de sa signification ?
Bien, voici pour une première entrée en matière, si des réponses me parviennent je serais ravi de continuer à discuter de cet article et surtout du sens général à donner à ce chef d'oeuvre sculptural, si tant est qu'il faille lui accorder un sens pédagogique. Bref, vos avis sont attendus impatiemment,
à bientôt.