Bonjour à tous, merci à Ringo pour ses commentaires. Voici la suite des aventures de Marguerite et de ses cousines.
Un autre document précieux sur le déroulement des faits est la « Chronique métrique attribuée à Geoffroi de Paris » . Cette chronique, longue de 8000 vers, commence en 1300 pour s’arrêter à l’automne 1316. L’auteur était sans doute un clerc de la chancellerie ou du parlement, aimant l’autorité et très critique envers ses contemporains. Elles sont narrées dans un langage naïf mais avec un véritable souci de vérité historique. On peut le considérer comme l’interprète fidèle des sentiments et des passions de son temps, c'est-à-dire de ce qui tenait lieu d’opinion publique.
Nous retrouvons ici les principaux faits de l’affaire et ses protagonistes: Marguerite de Bourgogne ‘royne de Navarre’, Blanche de la Marche ‘la fille au conte de bourgogne ‘ , Jeanne ‘la contesse de poitiers’ et les frères d’Aunay :
Dui chevalier joli et gay
Gautier et Phelippe d’Aunay
De pere de mere freres estoient
Deux chevaliers, bien gais et joyeux,
Gautier et Philippe d’Aunay,
Etaient frères par père et par mère.
Par contre C’est le mois de Mai qui est ici retenu comme date de début du scandale et celui-ci est jugé si sérieux par l’auteur qu’il n’hésite pas à dire qu’on en parlera jusqu’à la fin des temps :
En cette année adonc en May
Un temps plein de jolitté
Fu torné en adversité
Au royaume, dont l’em parlera
Tant com tout le monde durera.
Ainsi, c’est au mois de mai de cette année,
mois de la volupté/du plaisir,
que cela tourna au désavantage
du royaume, ce dont on parlera
aussi longtemps que l’humanité existera.
Dans cette chronique on nous dit que Jeanne, la sœur de Blanche ne sait rien à l’affaire car elle n’est pas dans leurs confidences :
La fille au conte si avoit
Une sueur qui rien ne savoit
De la Royne et de sa suer,
Car el n’estoit pas de leur cuer
N’au segré conseil apelee.
La fille du comte avait elle aussi
Une sœur qui ne savait rien
Concernant la reine et sa sœur,
Car elle n’était pas à leur ressemblance
Ni mise à la confidence de ce secret.
Et que même si celle-ci fut témoin de beaucoup de choses qui lui déplurent elle n’osa pas en parler par peur du scandale sur son nom ainsi que de la colère et du dommage que ces révélations pourraient causer.
Si vit ele, mainte jornée,
Maint semblant qui li desplaisoit,
Mes de ce pas parler n’osoit
Por la honte de son lignage
Et pot corrous et pour damage
Elle s’aperçut bien cependant à plusieurs reprises
De choses qui lui déplaisaient,
Mais elle n’osait pas en parler
Afin d’écarter de sa lignée, déshonneur,
Indignation et préjudice,
L’auteur s’étonne aussi que les princesses aient succombé aux charmes des frères d’Aunay, et dit certains y voient l’usage de filtres ou de magie :
Mes en mainte guise en parlerent
Les genz : li uns communement
Distrent que par enchantement
Accorderent , li autre distrent
Que sanz enchantr’entr’euz le firent
Creez lequel vous voudrez,
Et non pas tout ce qu’en orrez.
On y trouve aussi une précision sur la durée de ces amours illicites :
‘Mes voir est, deux ans et demy
furent amies et amy’
Ce qui place le début des relations au début de l’année 1312.
On voit que ni les Princesses ni leurs amants ne nièrent leurs amours :
Car les dames tout témoignèrent
Ce que les hommes confessierent
On retrouve aussi le détail de la sentence du Roy :
Pour les frères d’Aunay ce qui confirme ‘Les Grandes Chroniques’
Si furent jugié sanz doutance
Les dui chevaliers de leurs père
D’une sentence si amère
Por leur traison et pechié ,
Que il furent vif escorchié.
Puis fu lor nature copée,
Aus chiens et aus bestes jetee.
Et puis trainé et pendu.
On apprend aussi que les frères d’Aunay furent jugés par leurs pères meme :
Si furent jugié sanz doutance
Les dui chevaliers de leurs père
La sentence des princesses se trouve aussi confirmée dans ce récit , les deux princesses seront emprisonnées à Château Gaillard, aux Andelys :
Et de Navarre la Royne ,
La fille au conte, sa cousine,
Furent menées aval Sainne,
A Andeli, par bonne estrainne,
De tout noble atour despoillees,
Et puis reses et rooingnees.
Quant à la reine de Navarre et
A la fille du comte, sa nièce,
Elles furent, par chance, emmenées
En aval de la Seine, à Andeli,
Destituées de tout magnifique ornement,
Ainsi que rasées et tondues.
Par contre Jeanne se défend d’être coupable :
Por Dieu, oez moi, sire roy ;
Qui est qui parle contre moy ?
Je di que je sui preudefame
Sanz nul crisme et sanz nul diffarme
Par Dieu, écoutez-moi, messire le roi.
Qui donc peut bien médire sur moi ?
J’assure que je suis une femme probe,
Sans aucuns péchés ni infamie,
.
Le roi, s’il accepte les propos de Jeanne, lui signifie que les faits seront étudiés, mais qu’elle devra néanmoins etre conduite au donjon de Dourdan.
Dame, nous saron
De ce, et droit vous en feron.
Mes par devers nous demorrez
Et droit et raison en orrez »
Adonc fu la chose ordenee
Q’ele fu à Dourdan menee.
Lui dit : « Madame, nous en saurons
La vérité et vous rendrons justice.
Restez donc auprès de nous
Et vous en obtiendrez justice et vérité. »
Il en fut donc ainsi décidé
Si bien qu’elle fut menée à Dourdan.
Elle ne cessa de protester hautement de son innocence. Le parlement, auquel s’étaient joints le comte de Valois et le comte d’Evreux, la déclara »innocente et pure » et elle fut rappelée par son mari (fin 1314)
Le roy enquist
tant et le voir sut qu’il la fist
franche delivrer par sentance
dont l’en mena grant joie en France ;
car partir n’en vot autrement
que par droit et par jugement.
Si fu a phelippe rendue,
Qui volontiers l’a reçue;
Le roi s’enquit de la réalité des événements,
à la suite de quoi il> lui
Fit recouvrer sa liberté par jugement.
Cette nouvelle fut très bien reçue en Fr.
En effet, elle/on ne voulait sa libération
Qu’au moyen de la véritable justice.
Elle fut donc rendue à Philippe,
Qui l’accepta bien volontiers.
Tout le royaume vint à sa rencontre
Et l’accueillit chaleureusement.
A demain!