Robert Courteheuse a écrit :
Bien entendu l'époque féodale ne s'est pas arrêtée, brutalement, du jour au lendemain, mais s'il fallait retenir une date, un fait significatif, je choisirai l'année 1259, plus précisément la date de la condamnation du Sire de Coucy (pas un mince seigneur) par Louis IX, pour avoir pendu sans aucune forme de procès 3 étudiants, suspectés d'avoir braconné. Dans cette affaire exemplaire, la notion de justice primait sur le droit d'un haut baron du royaume, apparenté à la plupart des familles régnantes de l'époque.
Cette justice royale qui s'impose sur les terres d'un grand feudataire, voilà bien un signe que l'époque féodale est révolue. Surtout si l'on y ajoute que le privilège de battre monnaie est à présent réservé au roi seul (sauf quelques rares exceptions).
PS. Le Sire de Coucy a été condamné, entre autres, à ériger un monument à l'endroit où il fit exécuter les trois étudiants. Ce monument, appelé tantôt Croix Césinne ou Cézainne, existe toujours. On peut le découvrir en forêt de Saint Gobain (02), à l'occasion d'une randonnée pédestre d'environ 3 à 4 heures (Circuit des trois abbayes).
Sur ce sujet, voici ce que j'ai recopié sur un livre ancien que je possède :
On trouvera le texte complet ici :
http://barisis.free.fr/castelaisne/Ulauss.PDFà la page 54 et suivantes.Citer :
ENGUERRAND IV.
1250-1311.
Meurtre de trois étudiants. La Croix Coesine ou Seizaine.
Enguerrand IV, encore dans la fleur de la jeunesse, possédait déjà de
brillants talents militaire, mais malheureusement un orgueil des plus
démesurés et des plus tyranniques fit tort en lui à la grande expérience qu'il
avait des armes. C'est d'ailleurs avec tristesse que l'histoire enregistre une
aventure déplorable qui vint, au grand regret du roi et de son baronnage,
ternir ce nom de Coucy, un des plus beaux de la monarchie (1256-1259).
L'abbé de Saint-Nicolas-aux-bois, près de Laon, avait sous sa tutelle
trois jeunes gentilshommes de Flandre, ses parents, alliés au connétable
Gilles-le-Brun, et venus en France pour apprendre la langue, les moeurs et les
coutumes.
« Folâtres comme jouvencels en qui la passion de la chasse commençoist
à poindre, les écoliers, l'arc au poing, armés de flèches, mais sans lévriers ni
faucons, s'égarèrent un jour dans les épaisses forêts du Laonnais, limitrophes
des bois et du manoir des sires châtelains de Coucy, où résidait Enguerrand
IV. Pensant se trouver dans les domaines de l'oncle abbé, ils firent lever force
gibier de venaison, daims et sangliers, et s'esbattirent joyeusesment à les
poursuivre, sans se doubter de rien. » Mais les forestiers du sire de Coucy,
inexorables comme leur maître quand il s'agissait de chasse, étaient là au
guet, et arrêtant les étudiants, les conduisirent aussitôt vers Enguerrand. Leur
jeunesse, leurs larmes, supplièrent en vain pour eux, la sentence ne se fit pas
attendre, et le lendemain les corps de ces malheureux pendaient sens vie aux
plus hautes tourelles du donjon féodal, «chose moult fascheuse et piteuse à
veoir "22 ! D'après les prérogatives des grands vassaux suzerains en leurs
fiefs, le monarque n'avait nul droit de s'immiscer dans les actes judiciaires
émanés d'eux
- « Tout, gentilhomme qui a voirie, pend larron, de quelque larrecin que il
ait faict en leur terre ; il peult les tenir en prison, soit à tort, soit à droit. Il
n'en est tenu à repondre fors à Dieu. Telle était la coutume immémoriale, et
d'ordinaire, brascormiers esprouvaient chastiment à l'égard des robbeurs. »
Toutefois , en apprenant cette étrange aventure, l'abbé de Saint-Nicolas
accourut en instruire le roi de France implorer son appui ; Louis partagea son
indignation, bien décidé à faire subir la peine du talion à messire Enguerrand,
et ordonna de le saisir sur l'heure.
Conduit, mais sans être enchaîné, en la grosse tour du Louvre, Coucy
déclina d'abord toute juridiction supérieure, et se refusa à répondre.
Néanmoins, il s'en désista plus tard, et, se bornant à nier sa participation
personnelle au crime dont on l'accusait, il fit agir vivement auprès du
parlement convoqué à ce sujet, et composé en grande partie de princes et de
hauts barons, tous ses alliés ou ses amis.
Aussi, le roi de Navarre, le duc de Bourgogne, le comte-duc de Bretagne,
la comtesse de Flandre les comtes de Bar, de Blois, de Soissons, de Guines,
Thomas, archevêque de Reims, fils d'une Coucy, une foule d'autres
personnages de haut lignage, ou puissants dans la prélature, arrivèrent à
Paris, résolus de sauver Enguerrand en appuyant son inviolabilité. Des
souverains étrangers vinrent également s'intéresser à sa cause.
................(suit son procès)...
Plusieurs historiens ont prétendu qu'un petit monument avait été érigé, au
milieu de la forêt de Saint-Gobain, sur la place même où étaient morts les
trois jeunes gens, monument qui se dresse encore aujourd'hui en témoignage
du châtiment du meurtrier et de la justice de Saint-Louis, car, suivant eux, les
étudiants auraient été pendus aux arbres qui formaient la lisière des bois
appartenant à Enguerrand IV. Les uns ont appelé Croix Cœsine la croix de
pierre en quoi consistait ce faible édifice (du mot latin casus, tué, croix du
meurtre), et d'autres Croix Seizaine en souvenir d'une prétendue pénitence de
seize jours qu'Enguerrand aurait été contraint d'accomplir lui-même ou de
faire faire par procuration.
Bonne lecture,
Cordialement.