Nous avons parlé de ce livre il y a quelque temps, sur Passion Histoire, dans le sujet
J'en reprends ci-après un extrait, à partir duquel on peut poursuivre la discussion si on veut...
jeannedarc a écrit :
Pardon, Karolvs, mais c'est qui, Jeanne des Armoises ? C'est Jeanne d'Arc ?
Les "survivistes" disent que Jeanne des Armoises -qui prétendait être Jeanne d'Arc et que certains, dont les frères de la fille de Domrémy, ont reconnu comme telle- était la pucelle rescapée du bûcher.
Régine Pernoud réduit cette théorie à néant.
Je t'expliquerai cette affaire dans un message à venir, Jeannedarc
Fabien de Stenay a écrit :
Allez, à mon tour de participer à cette intéressante discussion (je suis moi-même assez passionné par Jeanne, d'ailleurs le seul autocollant qui orne ma voiture est son blason).
Avez-vous vu la série documentaire de 13 épisodes avec Henri Guillemin ? Elle fut diffusée récemment sur Histoire.
Je n'ai pas pu voir cette série sur Jeanne d'Arc. Malheureusement.
Que pense Henri Guillemin du personnage et du phénomène Jeanne d'Arc ?
Fabien de Stenay a écrit :
Sur l'intervention divine : l'interprétation de Lamy est intéressante, et je l'ai déjà lue sous une autre plume ailleurs.
Lamy pense que les «anges » qui sont « apparus » à Jeanne d'Arc pouvaient être des moines du tiers ordre des franciscains. Ces moines avaient pour formule de salut « Jésus-Maria » (invocation brodée sur l'étendard de Jeanne) et faisaient précéder leur nom par «Saint» : entre eux, ils ne s'appelaient pas frère Jacques ou frère Michel, mais saint Jacques ou saint Michel.
A propos de l'archange Saint Michel qui était apparu à Jeanne : il était le patron officiel de Charles VII.
P.S. : si quelqu'un en sait davantege sur ce qu'était ce tiers ordre des franciscains, ses éclaircissements seront les bienvenus...
Fabien de Stenay a écrit :
Toutefois, je crois qu'on peut en trouver une plus simple : c'étaient les Anglais qui avaient envahi la France, non l'inverse. Or la mission de Jeanne consistait simplement à bouter les Anglais hors de France, pas à les exterminer ou à envahir leur île !
On peut imaginer une bergère (au fait, Jeanne ne gardait pas des troupeaux de moutons mais de vaches : elle était donc plutôt vachère que bergère) anglaise se lever contre une invasion française !
Jeanne devait très probablement garder les vaches de ses parents, comme le faisaient tous les enfants, depuis toujours et jusqu'à une époque récente. Votre serviteur Karolvs lui-même a accompli cette tâche pendant quelques années de sa prime jeunesse...
... ah le temps béni, que celui où les enfants allaient garder les vaches...
Mais revenons à la mission divine de la bergère Jeanne : ce n'était pas la première fois que des « bergers » ou des « pastouraux » se voyaient investis d'une mission divine : croisade ou autre. Il semble bien que Jeanne d'Arc elle-même avait des « concurrentes » : d'autres personnes « illuminées » prétendaient entendre des voix et accomplissaient des prodiges : Catherine de La Rochelle, d'autres Jeanne ...
Fabien de Stenay a écrit :
Sur le mot pucelle : Henri Guillemin souligne qu'il ne signifie pas "vierge" mais plutôt "jeune fille de condition modeste". Toutefois, cette interprétation ne remet pas en cause la virginité de jeanne, prouvée par des examens. D'ailleurs en certains endroits, Jeanne est qualifiée de "vierge et pucelle".
Pucelle vient du latin « Puella », qui signifie jeune fille qui n'a pas atteint l'âge de se marier. Dans les textes en latin, Jeanne était d'aileurs appelée « Puella de Anglia » : pucelle d'Angleterre.
Fabien de Stenay a écrit :
Enfin, parlons de la thèse de l'origine royale ; j'y ai cru par un temps (ce genre de théorie est toujours séduisant...).
Théorie séduisante, en effet. Et Michel Lamy se donne beaucoup de mal pour défendre cette théorie, dite « bâtardisante ». Il le fait fort habilement, sans en avoir l'air : il n'affirme jamais rien, agrémente chacun de ses arguments par un «ceci, quoique troublant, serait insuffisant pour légitimer la thèse...», ce qui lui permet d'introduire un « mais... » prélude à un nouveau « fait troublant » qui vient s'ajouter au précédent... etc.
Rappelons que cette thèse « bâtardisante » repose sur une prétendue histoire de substitution d'enfants.
1°/ Diverses chroniques du tout début du XVème siècle disent que le 10 novembre 1407 Isabeau de Bavière accouche d'un garçon qui décède après avoir été baptisé du nom de Philippe. En réalité, Isabeau aurait accouché d'une fille, à laquelle on aurait substitué un garçon mort-né ou qu'on aurait aidé à mourir.
Et M. Lamy nous explique que le remplacement d'un enfant par un autre n'a pas de quoi nous étonner ; que cette pratique n'était pas si exceptionnelle qu'on pourrait le penser (il nous renvoie... aux « Rois Maudits » de Maurice Druon. Sic !!!) ; qu'il n'y a aucune mention de messe d'enterrement ; que certaines feuilles d'un certain registre ont été arrachées, et d'autres « faits troublants » comme un tombeau vide (celui de l'enfant Philippe). Mon avis est que tout cela ferait de bons ingrédients pour un excellent roman ; Shakespeare lui-même l'a très bien vu : il s'est servi de la thèse bâtardisante pour pimenter sa pièce de théâtre "Henry V", où il fait dire à Jeanne d'Arc elle-même qu'elle est princesse de sang royal...
2°/ le père de la petite fille qui vient de naître ne pouvait être Charles VI le roi fou. Le vrai père, c'était l'amant d'Isabeau, le duc Louis d'Orléans. Et cela expliquerait pourquoi Jeanne était appelée « la Pucelle d'Orléans» : rien à voir avec la libération de la ville d'Orléans ; on appelait Jeanne «d'Orléans » parce qu'elle était fille du duc d'Orléans.
3°/ suite du « roman » de M. Lamy : il fallait vite mettre l'enfant adultérain à l'abri, car Charles VI faisait des colères terribles pendant ses phases de lucidité, lorsqu'il découvrait les écarts de conduite de la reine. Et justement, le roi était précisément en période de rémission. M. Lamy nous démontre que la petite Jeanne a été mise en sûreté entre le 10 et le 23 novembre. La preuve ? le 23 Isabeau soupa joyeusement avec Louis d'Orléans alors qu'elle avait été triste jusque là.
Et là, M. Lamy nous gratifie d'un beau conte de Noël : l'équipée réunit sans doute quelques hommes d'armes assez discrets et une nourrice ; il fait très froid (66 jours de gel cet hiver-là), il y a des loups dans les bois et des brigands sur les chemins ; on arrive à Domrémy le 6 janvier 1408 au petit matin ; les coqs chantent ; l'escorte dépose l'enfant et repart aussitôt ; les gens de Domrémy se demandent ce qui se passe : un bébé ? Mais on ne savait pas qu'Isabelle Romée était enceinte !...
Mais comme M. Lamy n'est pas homme à croire au Père Noël, il conclut le chapitre II ainsi : « Scénario de fiction ? Peut-être ! Sans doute, si les seuls éléments étaient ceux dont nous avons fait état jusqu'à maintenant. Mais nous verrons au fil de l'histoire de Jeanne que cette thèse a parfois de quoi séduire ».
Une belle histoire, en laquelle on aimerait bien croire, en effet. Mais ce n'est pas de l'histoire.
Fabien de Stenay a écrit :
Mais l'argument basé sur la reconnaissance du roi à Chinon est bien faible : en effet, si on ne croit pas au miracle, il faut tout de mettre admettre que Jeanne a pu voir un portrait du roi chez Baudricourt.
Peut-être. Mais je ne sais pas si à cette époque-là on accrochait le portrait du roi au-dessus de la cheminée comme on suspend aujourd'hui le portrait officiel du président le république dans la salle de la mairie...
Une autre explication la reconnaissance du roi à Chinon est possible : Jeanne a pu se prêter à une mise en scène et avoir été « brieffée » avant cette rencontre. Toute cette affaire pouvait être un coup monté, de A à Z. sans que Jeanne soit la demi-soeur de Charles VII.
Ou bien le récit de la rencontre du roi a-t-il été enjolivé a posteriori, après la libération d'Orléans ou après le sacre de Charles VII, une fois la légende en route, pour accentuer l'aspect merveilleux de l'épopée et pour «finir le travail» ?
Fabien de Stenay a écrit :
Enfin, il est tout à fait juste de rappeler qu'à aucun moment on ne lui a confié d'armée ; tout au plus avait-elle une poignée de fidèles à ses ordres. Sa seule offensive (assez prodigieuse d'ailleurs) fut celle de l'attaque des Tourelles à Orléans, mais par la suite les capitaines royaux (La Hire, Gilles de Rais, le bâtard d'Orléans (futur Dunois)) prirent bien garde de ne lui laisser aucune responsabilité de comandement.
Oui.
Et cela rend caduc un autre argument des « bâtardisants », selon lesquels seule une fille de noble naissance, une fille de naissance royale, pouvait obtenir le commandement d'une armée.
D'ailleurs, une fille pouvait-elle jamais commander sur le champ de bataille, princesse ou pas ?