J'adore l'uchronie, même si l'exercice a d'évidentes limites.
Cependant, je me dois de contester les iimplications de la question initiale sous 2 dimensions.
1 - Ce que je conteste avant tout, c'est l'image d'Epinal d'une défaite de l'empire romain face aux barbares. L'empire romain n'a pas disparu des suites d'un enchaînement de défaites face aux barbares. L'empire romain n'a pas été conquis militairement.
Je vous renvoie notamment à l'ouvrage de Karl Ferdinand Werner "
Naissance de la noblesse".
Les barbares n'ont pas envahi l'empire romain ni défait l'armée romaine. Les barbares dont on parle
étaient l'armée romaine.
Rome a toujours utilisé des barbares comme auxiliaires. Simplement, au fil des siècles, et surtout sous l'empire, la part des barbares a fini par deveninr majoritaire. Si elle est devenue majoritaire, c'est à la fois pour des raisons d'efficacité et pour des problèmes d'attractivité.
Si Rome a pu recruter facilement des soldats, c'est parce que le service militaire était un moyen de promotion sociale et juridique. Les soldats avaient de fortes chances de devenir citoyens romains.
Or, avec l'édit de Caracalla qui, accordant la citoyenneté romaine à l'ensemble des hommes libres de l'empire, n'a certes fait que parachever un processus multi-séculaire (remontant au moins à César et si on y réfléchit aux origines de la cité romaine), le service militaire a perdu sa fonction de promotion dans l'ordre juridique.
Les hommes libres sont citoyens et voient moins d'avantages à endurer pendant une vingtaine d'années les rudes et tristes conditions de la vie militaire.
Deuxième élément, l'armée romaine est une armée professionnelle où le souci d'efficacité et de performance a été poussé à un niveau jusque là jamais atteint. Si César a recruté des cavaliers germains, c'est parce que ceux-ci étaient particulièrement réputés, bien meilleurs que les italiens ou les gaulois. Le processus a continué.
Et quand Rome a eu du mal à recruter de bons soldats parmi les citoyens, eh bien elle a recruté des pérégrins, et puis quand il n'y avait plus vraiment de pérégrins dans l'empire, eh bien la part des fédérés barbares est devenue la plus importante.
Les chefs de ces fédérés barbares étaient romanisés et citoyens romains. Mais quand la situation s'est délitée, et quand s'est structurellement fait sentir la nécessité d'une défense beaucoup plus localisée (faire face à une multiplicité d'ennemis mobiles et peu nombreux attaquant sur de pultiples fronts et non plus à 2 grands ennemis stables), eh bien la fonction impériale centrale a perdu de son importance.
Ce sont les nécessités du gouvernement au plus près du terrain qui ont rencontré le jeu naturel des ambitions et conduit à la partition de fait (et seulement plus tard de droit) du territoire romain.
Or dans l'empire romain comme dans la plupart des sociétés antiques, c'est l'armée qui était la principale source du pouvoir. Face à des empereurs devenus fantoches (surtout à partir des enfants de Théodose qui n'étaient plus des chefs de guerre), les vrais chefs étaient les chefs militaires goths, francs ou autres.
On voit là les inconvénients d'une politique d'outsourcing poussée à l'excès : la recherche de l'efficacité a conduit à perdre de vue le besoin de stabilité.
2 - Ce que je conteste aussi, c'est l'idée selon laquelle la crise de l'empire était évitable parce qu'elle n'aurait eu qu'une dimension politique (les fameuses invasions barbares), alors que les tribus barbares n'ont jamais représenté que quelques centaines de milliers de personnes (femmes et enfants compris) sur un empire de 65 millions d'habitants.
Et là, c'est à l'ouvrage d'Aldo Schiavone que je vous renvoie : "
l'histoire brisée, la Rome antique et l'occident moderne".
Ce que Schiavone montre de manière particulièrement convaincante et talentueuse, c'est que l'empire romain était en réalité dans une impasse sur le plan de l'évolution de la société. En raison des valeurs mêmes de la société antique, il s'était engagé dans une impasse. Une impasse brillante, mais une impasse au bout de laquelle il était arrivé.
Les valeurs mêmes de la société antique où le travail était dénigré et où la sphère économique ne faisait pas l'objet d'une pensée autonome ne permettaient pas le développement.
2 voies s'offraient alors au monde romain :
- une glaciation/stagnation multi-séculaire comme la Chine a pu en connaître. Il est vrai que comme la Chine, le monde romain aurait alors pu en ressortir sous la forme d'un Etat-nation-continent unitaire.
- ou un éclatement s'accompagnant d'abord d'une phase de régression, au cours de laquelle étaient posées les bases de nouvelles conceptions/valeurs, d'un nouveau mode de développement moins parasitaire ou inefficace, qui a conduit au mode de développement polycentrique qu'a connu l'Europe.