Pour resituer l'oeuvre dans son contexte, voici une présentation de cette école du Palais de Charlemagne...
Deux reliures de manuscrits dont la date et la provenance ont pu être précisées, celles du Psautier de Dagulf (Paris, Louvre) et des Evagiles de Lorsch (Londres, Victoria and Albert Museum et Rome, Vatican), forment la base de l'école du Palais de Charlemagne, désignée autrefois sous le nom d'école Ada.
La première de ces reliures protégeait le psautier écrit par le scribe Dagulf sur l'ordre de Charlemagne, pour le pape Adrien Ier. Le manuscrit, postérieur au célèbre Evangéliaire de Godescalc (781-783), n'était probablement pas terminé lors de la mort d'Adrien (en 795), puisqu'il resta dans le trésor royal ; les deux superbes plaques d'ivoire qui le recouvrirent jusqu'au début du XVIIe siècle peuvent donc être attribuées aux ateliers travaillant pour Charlemagne, entre 783 et 795, et constituent en fait notre seule certitude absolue en ce qui concerne les ivoires de tout ce groupe. Les scènes, d'une composition dense, sculptées en haut relief dans un ivoire épais, au grain blanc et serré, réunissent sur fond d'architectures, des personnages à la tête ronde, au canon assez court ; ceux-ci sont vêtus de draperies à l'antique dont la savante et complexe ordonnance ne parvient pas tout à fait à faire oublier le caractère statique de l'ensemble d'où émane, pourtant, une certaine sérénité. Le classicisme appuyé de ces reliefs laisse transparaître l'influence de bons modèles de la basse Antiquité, peut-être de la fin du IVe siècle. Il est étonnant que le sculpteur qui sut suivre avec tant de bonheur les exemples dont il s'inspirait, ait échoué dans le travail des bordures : les médaillons contenant les portraits des évangélistes et leurs symboles qui cantonnent chaque plaque, de même que les deux rectangles contenant l'Agnus Dei et la main de Dieu qui marquent le centre, sont encore d'un style acceptable, mais les acanthes du bandeau qui entourent chaque scène sont tassées et mollement recroquevillées sur elles-mêmes, comme si le motif avait été mal compris.
La reliure des Evangiles de Lorsch, qui provient d'un manuscrit dont la date est fixée, par les paléographes, vers 800 ou 810, paraît au premier regard assez éloignée de celle du Psautier de Dagulf. Les deux ivoires qui ornaient à l'origine les ais du codex sont composés de cinq éléments assemblés comme les diptyques impériaux du Bas-Empire. Comme sur les diptyques impériaux encore, du type de l'ivoire Barberini, les bandeaux supérieurs sont occupés par des figures volantes, tenant un médaillon encadrant le buste du Christ et la crux gemmata; les bandeaux inférieurs représentent de petites scènes narratives, tandis que les éléments latéraux portent des figures debout, de part et d'autre du personnage central. L'élégance des anges volants dans la partie supérieure, le canon allongé des figures centrales, leurs drapés tumultueux, retombant en cascades, formant des plis "en poche", dessinant sur les corps une sorte de résille, la richesse des architectures qui les abritent, tout trahit cette fois un modèle byzantin du VIe siècle, du style du devant de la chaire de Ravenne. Malgré la diversité des mains qui y ont travaillé, l'ensemble de la reliure est impressionnant et a fort grande allure.
On serait donc tenté de voir l'évolution de l'école palatine de Charlemagne se dérouler entre ces deux pôles, passer du classicisme sereien du Psautier de Dagulf au style plus grandiose et plus agité de la reliure de Lorsch.
Informations extraites de l'ouvrage de Danielle Gaborit-Chopin mentionné ci-dessus
_________________ Il n'est pas sur notre sol une chose qui soit plus utile que ces sublimes monuments qui ne servent à rien (Emile Mâle).
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