Et bien personnellement j'ai acquis la certitude que sur cette question bien des choses sont mises en parallèles, les unes à coté des autres comme on monte un dossier à charge sans que pour autant les dites preuves aient un rapport direct entre elles. Je m'explique ; la dilution de l'idée de romanité dans la partie orientale au VIe-VIIe siècle n'a pas grand chose à voir avec les sentiments plus ou moins xénophobiques grecs. Sur ce point je tient à vous rappelez que dans l'Empire il n'y a pas que les Grecs qui se fendent de ce genre de sympathiques qualificatifs, qu'ils en sont aussi affublé par les habitant de l'Italie comme par les Gaulois (est-il besoin de rappeler ce que les soldats gaulois murmurent délicatement à l'attention de Julien lorsqu'il arrive en Gaule et que nous transmet Ammien?). On croit rêver face à ce genre d'argument et on érige un particularisme grec comme on en construit un africain, un gaulois au grès de ses sensibilités. Or jusqu'à preuve du contraire les sécessions n'ont pas été légion et elles n'ont en aucun cas été de nature "nationaliste" ; elles se sont coulées dans le moule romain, dans le système impérial qui était finalement le seul liant à cet ensemble où tout le monde avait un qualificatif aimable pour l'Autre mais qui préféraient largement cet Autre intérieur à l'Autre qui gambade hors des frontières.
Alain.g a écrit :
Jean-Claude Cheynet spécialiste de Byzance à la Sorbonne, incite aussi à le croire. Il rappelle que les barbares ont pris l'occident avec l'accord de Constantinople
Bien sûr ; on s'est débarrassé du bébé parce qu'on avait pas tellement les moyens de faire autrement. Avec les troupes barbares qui essaimaient dans les provinces il valait mieux les avoir loin, quitte à ce que ce loin soit chez le camarade d'à coté. Je rappelle en aparté que Gallien s'est gentiment contenté de regarder les Princes de Palmyre prendre la partie Orientale parce qu'il n'avait pas les moyens de réagir. Ce qui choque et permet de construire toutes les analyses c'est que dans la partie occidentale il y avait Rome, le symbole, la Ville, le centre du monde, l'endroit d'où tout avait commencé. Or cela faisait quelque temps tout de même que Rome était une capitale honoraire ; les réalités du pouvoir impliquaient d'autres centres décisionnels. L'idée de Rome s'est fondue dans l'Empire et ce encore plus complètement après 212 et la constitution antonine ; il n'y a plus dès lors d'étrangers libre dans l'Empire, il n'y a plus la cité Etat qui domine les Province, il y a l'idée d'une unité qui fait son chemin au milieu des considérables divergences locales comme la conscience d'appartenance à des cultures, des langues... locales. Mais la machinerie impériale est demeuré la même, inchangée avant longtemps. Juridiquement c'est le même tableau et du code Théodosien à celui de Justinien on reprend avec un certain esprit de continuité les lois des empereurs du passé qui structurent la société dite byzantine.
Alain.g a écrit :
En 395, les grecs considéraient qu'il y avait sécession, ils s'en réjouissaient. Il y avait deux empires, "les grecs se retrouvent chez eux", et en plus ils " recueillent l' héritage romain", ils vont progressivement "oublier la langue de Rome, sa littérature et même son histoire. Ils sont devenus les maitres d'une Rome grecque."
Faudrait-il encore qu'ils l'aient massivement apprise, faudrait-il encore que le grec soit une langue universelle en Orient sortie des milieux cultivés... Je vous rappelle également que c'est en latin qu'au début du Ve siècle un certain Ammien écrit une histoire de Rome en continuateur de Tacite et que c'est en latin également que Claudien compose ses poèmes à la même époque. C'est aussi à cette époque que Libanios déplore la pénétration dans les écoles orientale de la langue latine. Les deux parties de l'Empire n'ont pas coupé tout liens. On n'a pas accroché unanimement les guirlande de la libération après la chute de Rome.
Alain.g a écrit :
Je doute par ailleurs de plus en plus que Justinien ait pensé en cherchant à reprendre notamment l'Italie, un peu d'Espagne et l'Afrique du Nord à reconstituer l'empire romain de Constantin.
C'est probable en effet puisqu'il avait tout de même un peu de raison. Il venait tout de même de conquérir presque un million de kilomètres carré (à la louche) avec une armée en lambeau rongée par la peste et la rudesse des combats en Italie. Il n'avait pas les moyens d'aller plus loin et défier les Francs à ce moment ne me semble pas tout à fait à sa portée. Mais c'est tout de même troublant ; pourquoi aller vers de coté-ci après avoir signé la paix avec la Perse qui est je le rappelle l'ennemi mortel d'une certaine grécité? Si Justinien n'avait pas la moindre prétention universelle de pouvoir sur l'ancienne domination romaine pourquoi pousser jusqu'en Espagne?
En somme je crois qu'atour de cette question on se débat encore et toujours avec un point central ; celui de l'identité et tant que les gens continueront à croire que l'on ne peut en avoir qu'une seule, comme l'identité française de l'époque du nationalisme triomphant on se sera pas sorti du sable. Les identités dans l'Empire sont bien plus instables que vous le pensez. Même quelqu'un d'aussi cultivé que Julien se conscientisait Thrace et Grec (ce qui n'est certainement pas la même chose...) tout en se sentant proche des Gaulois avec qui il avait tant partagé pendant 6 ans. Enfin je rappelle que l'oeuvre de Procope comme celle de Zosime établissent la continuité entre l'histoire romaine et l'histoire dite byzantine.
Yughurtha a écrit :
D'où ma question : Ne devrait-on pas plutôt parler dans le cas de l'empire d'orient de civilisation helléniste plutôt que de civilisation grecque ? Il me semble que ces deux concepts sont différents (un peu comme la romanité est différente de la latinité). Par ailleurs, en orient (et ce depuis Alexandre) l’hellénisme concerne des populations ethniquement et culturellement très diverses (syriens, coptes...) qui ne peuvent pas être qualifiées de grecques.
Vous avez plainement raison, c'est pour cela que je rappelais plus haut que l'orient dit grec n'a jamais fait cause commune face au péril arabe. On a l'impression à lire certains qu'il existait une sorte de collusion unanime de l'Orient entier, fier de son appartenance à l'aire grecque, créant dès lors un nouveau monde hellénistique après un petit hiatus causé par de turbulents Romains.