Excusez-moi de titrer mon message par une telle affirmation volontairement provocatrice, mais je viens de redécouvrir un article que j’avais lu il y a deux ans lorsque je préparais l’agreg et je dois dire que je lui trouve aujourd’hui encore plus de force. Peut-être n’avais-je pas assez réfléchi en le lisant lorsque j’avais « la tête dans le guidon »…
Il s’agit d’un article d’un des grands spécialistes de la vie religieuse au Haut Moyen-Age, Johannes Fried. Il s’intitule « Le passé à la merci de l’oralité et du souvenir. Le baptême de Clovis et la vie de Benoît de Nursie », dans Les tendances actuelles de l’histoire médiévale, 1997-1998, p.71 et suiv.
Après une première partie assez banale sur le baptême de Clovis, Fried vient mettre me doute dans l’esprit du lecteur concernant l’existence même de saint Benoît de Nursie. La seule source documentée sur sa vie sont en effet les Dialogues de Grégoire le Grand, pape de 590 à 604 et dernier des Pères de l’Eglise. Selon certains auteurs comme l’Anglais Francis Clark, ces Dialogues ne sont pas de Grégoire, mais ont été écrit 80 ans après sa mort. Fried rappelle que jamais Grégoire le Grand ne parla dans sa correspondance de ses Dialogues, alors même qu’il le faisait pour ses autres œuvres. Mais, au-delà de ce premier indice, des traces d’une « impostures » se retrouvent dans le texte lui-même. Selon Fried, les Dialogues seraient en réalité un livre facile à lire, destiné aux fidèles « de base » et voulant donner des exemples faciles à comprendre. Benoît de Nursie serait en réalité une sorte de « saint idéal », dont les caractéristiques seraient une sorte de mélange de récits hagiographiques préexistants. Son nom même, signifiant « béni » et celui de sa sœur (Scolastique, c’est-à-dire « la lettrée ») tendraient à prouver que cette intuition est vraie.
De plus, aucune trace archéologique du Mont Cassin ne peut être datée d’avant la période lombarde, soit après la période supposée de la vie de Benoît. Enfin, la Règle de saint Benoît n’a laissé aucune trace avant le VIIIe siècle et aucun culte de saint Benoît n’est à relever à Subiacco ou au Mont Cassin, pourtant supposés être des fondations bénédictines. La Règle, écrite en théorie en 534 selon les Dialogues, n’a pas de manuscrit antérieur au VIIIe siècle et emprunte beaucoup à la Règle du Maître, antérieure.
Il faut pour terminer préciser que, bien évidemment, tout le monde n’est pas d’accord avec cette version de l’histoire, bien au contraire. L’éditeur des textes de saint Benoît de Nursie, le Père Adalbert de Vogüé, s’est violemment opposé à cet article dans les comptes-rendus qu’il en a fait. Mais, à mon sens, il a été moins convaincant que Fried.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Nous aurait-on manipulés à ce point ?
Bonne soirée en tout cas et merci à ceux qui m’ont lu.
_________________ «L'humanité est comme un paysan ivre à cheval: quand on la relève d'un côté, elle tombe de l'autre.» (Martin Luther)
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