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En explorant une grotte près de Johannesburg en 2008 avec son fils Matthew et son chien Taub, le paléoanthropologue sud-africain Lee Berger ne se doutait sûrement pas qu'il allait faire une découverte exceptionnelle qui est en passe de réécrire l'histoire des origines de l'homme. Pris dans la roche et parfaitement conservés depuis près de 2 millions d'années, les ossements découverts par son fils appartiennent à deux individus, probablement une mère et son fils, victimes d'une chute d'une dizaine de mètres dans l'une des nombreuses failles de cette formation calcaire.
D'après Lee Berger, qui les a baptisés Australopithecus sediba, ces deux fossiles étonnamment complets sont rien de moins que «les meilleurs ancêtres potentiels du genre humain, le genre Homo, bien plus que d'autres découvertes précédentes telles que Homo habilis».
Avant la découverte dans cette grotte de Malapa près de Johannesburg, le consensus voulait que le genre humain soit issu de l'évolution des australopithèques il y a plus de 3 millions d'années, dont la plus célèbre représentante est Lucy, codécouverte par Yves Coppens, puis des Homo habilis, capables d'utiliser des outils, pour arriver à l'ancêtre de l'homme moderne, Homo erectus, il y a 1,9 million d'années.
Pour le découvreur sud-africain, ses australopithèques seraient les ancêtres directs des Homo erectus, jetant aux orties des décennies de travail qui avaient installé Homo habilis à cette même place.
Cette idée révolutionnaire est très loin de faire l'unanimité dans la communauté des paléoanthropologues, mais tous les spécialistes reconnaissent l'importance exceptionnelle de la découverte faite par Lee Berger.
«Le problème de l'australopithèque sediba, c'est son âge, résume Jean-Jacques Hublin, professeur à l'institut Max Planck de Leipzig. Il n'a que 1,9 million d'années, ce qui est à peu près le même âge que les premiers Homo erectus qu'il aurait précédés.»
Synchrotron
«Je ne suis pas sûr que sediba soit le meilleur ancêtre potentiel du genre humain, explique Paul Tafforeau, scientifique au synchrotron ESRF de Grenoble qui a participé à l'étude du crâne, mais il reflète parfaitement la forme de transition entre les australopithèques et le genre Homo. Il a notamment de nombreux caractères évolués qui sont plus proches du genre Homo que des australopithèques. Le crâne est de petite taille, 420 cm3, soit proche de celui d'un chimpanzé, mais il montre en revanche une complexification de sa partie avant qui est remarquable.»
Le crâne du jeune mâle, âgé de 10 à 13 ans, est par chance particulièrement bien conservé, il ne manque que la paroi arrière, et grâce aux techniques mises au point ces dernières années par Paul Tafforeau au synchrotron grenoblois, les chercheurs ont pu travailler sans avoir à le dégager de sa gangue rocheuse, ce qui l'aurait immanquablement fragilisé. «Sans fausse modestie, nous avons avec l'ESRF à Grenoble, le meilleur synchrotron au monde pour l'étude des fossiles», précise le chercheur français.
Utiliser des outils
Les puissants faisceaux de rayons X du synchrotron ont permis de réaliser un scan très précis de l'intérieur du crâne, produisant un moulage virtuel du cerveau en 3D avec une résolution aussi fine que la taille d'un cheveu.
Cette empreinte montre que la structure de l'avant du cerveau, siège des pensées abstraites, est plus évoluée et plus complexe que chez les autres australopithèques, et se rapproche de ce côté de la forme des cerveaux humains.
Si le cerveau est plus évolué, l'agilité manuelle et la bipédie de sediba ne sont pas en reste. Les mains et les pieds des deux individus montrent également des caractères très avancés, jamais vus chez les australopithèques. «Les pouces sont plus longs alors que les autres doigts sont plus courts, explique Jean-Jacques Hublin, ce qui aide pour saisir des objets avec une meilleure précision.» Pour les chercheurs, avec ses pouces opposables, les australopithèques sediba étaient capables d'utiliser des outils, une aptitude que l'on pensait être auparavant l'apanage des Homo habilis.
En revanche, les avant-bras puissants et longs montrent que ces petits bipèdes (ils faisaient tout juste 1,27 m) étaient encore à l'aise pour grimper aux branches des arbres.
Pour la marche et la bipédie, c'est également un mélange de caractères avancés et d'autres plus anciens: les pieds ressemblent à ceux des grands singes, mais l'articulation des os de la cheville est proche de celle de l'homme.
«Par de nombreux aspects, l'australopithèque sediba présente une mosaïque de caractères primitifs et de caractères évolués qui le rendent tout à fait unique» , estime Paul Tafforeau.
Photographie et entrevue avec Coppens sur le lien
http://www.lefigaro.fr/sciences/2011/09 ... -mains.php