Pierma a écrit :
... Il pouvait même s'informer au niveau local, pour anticiper, un peu comme on collecte les rapports des préfets.
S'informer au niveau local aurait été une excellent initiative en effet. Par quels canaux ? Comment voyez-vous ceci sous Louis XVI ?
Citer :
... Frappant aussi, le fait qu'il n'ait pas de "relais" dans le Tiers, autrement dit des interlocuteurs privilégiés avec qui il puisse évoquer les discussions en cours. (On s'apercevra plus tard que Mirabeau le faisait, mais j'ignore à quel moment cela a commencé.)
Il y aura de la part des députés des demandes d'audition semble-t-il (post du 18 Août 2022 22:05) ; ceci sera géré par Barentin.
Les « relais » existent. La communication directe non. Noblesse et Clergé sont en ceci à la même aune. Il existe une hiérarchie tout en haut de la pyramide une étiquette. A chaque étage un protocole. Il est donc malaisé parfois de bien se comprendre.
Je vais prendre un exemple aisé.
Vous êtes invité à un repas où le service est "à la russe" ou "à la "place" : comment allez-vous faire ? A moins d'avoir les codes, vous devez attendre et scruter les personnes qui vous semblent à l'aise avec ces codes (se pencher à gauche, à droite, la place des couverts, comment boire, comment et quand utiliser sa serviette etc.). Si vous passez à côté de ces codes vous allez non seulement poser problème à votre voisin de gauche à celui de droite mais aussi et surtout à la personne qui vous sert. En faisant fi de ces codes, peut-être même en voyant que la personne qui vous sert "n'est pas un larbin" et bien vous gênez son service. Vous lui posez problème dans ce qui est son métier et dans lequel il s'est investi.
C'est la même chose avec le protocole et l'étiquette à Versailles. On est "invité", on ne peut voir ceci ou cela comme autant de vexations. Que l'on ignore les codes et que ceci "
gêne" : c'est autre chose. D'où le geste du roi qui se découvre afin de se mettre au niveau du Tiers et non de le "
gêner".
Cette approche me parait être la vision d'historiens assez marqués "politiquement". Ceci tient aussi peut-être d'une certaine tradition française qui vise à se présenter en opposition à tout protocole : je l'ignore dans la mesure où Versailles est encore vu comme le top pour recevoir. Allez comprendre...
Citer :
Comment a-t-il pu passer à côté du fait que les députés du Tiers allaient lui causer des soucis ? L'année qui venait de s'écouler avait démontré l'effervescence du peuple, et il était évident que ces députés ne manqueraient pas de combativité...
Le roi n'est pas passé à côté puisqu'il évoque d'emblée écarter toutes «
nouveautés » autres que la consultation concernant la dette et les ajustements afin d'arriver à un consensus. On peut estimer sans trop d'erreurs que le roi est partiellement au courant.
La refonte fiscale oui, la refonte du système de gouvernement, non.
L'absolutisme est vu comme une « nouveauté » ; une discussion à la mode dans une frange de la société, frange nommée « Lumières » et vue comme détestable par la roi.
Louis XVI n'est pas sot. Le doublement du Tiers soit mais -il a dû justement avoir un juste topo du contenu des cahiers- pas le vote par tête.
En ceci, il protège les deux autres ordres piliers du trône. Il n'est pas totalement hors de toute compréhension, Montesquieu en son temps et pourtant souvent cité, n'envisageait pas autre chose qu'une société d'ordres, hiérarchisée.
Ceci a été discuté dans ce fil plus en amont.
Un roi absolu n'a pas à avoir de «
sens politique » puisqu'il peut agir de manière arbitraire. Outre ceci dont Louis XVI n'abusera pas, le souverain ne peut comprendre le blocage «
politique » des Parlements. Son entourage l'a pourtant prévenu : redonner pouvoir aux Parlements était une erreur. Il a trouvé ceci «
libéral ». On ne peut nier qu'au début de son règne, Louis XVI a pris des positions libérales.
Maintenant le problème est la dette.
La consultation des EG ne devrait pas avoir d'autre sujet et d'autre travail via ses représentants. Qu'il y ait des doléances, c'est dans la normalité. Que les doléances montrent une refonte fiscale profonde à faire au plus vite, le roi y était préparé.
Que l'on arrive difficilement à mettre à l'ordre du jour certaines des idées de Turgot et -avec du mal- finalement obtenir une négociation, c'est très bien.
Que cette négociation tout à coup s'agrège avec l'idée d'une révision de l'absolutisme, Louis XVI ne peut pas comprendre : ceci entre dans ce qu'il nomme «
nouveautés ». En discuter, s'échauffer etc. dans les salons, au sein même de la cour, dans les régions peut-être ; que l'on en fasse un sujet non négociable en corrélation avec la résolution de la dette, ceci est impensable.
Il se trouve soudain face à certain membre de sa famille (Orléans on peut imaginer que la leçon lui a été faite que rien de bon ne peut arriver des Orléans ;
cf. : la Régence et les Parlements). Orléans se présente comme se positionnant sur une légalité très discutable. Il est évident que le roi ne peut avoir que des paroles d'humeur. Ces mêmes Orléans se retrouveront parmi les émigrés... Ce n'est pas franchement une position assumée mais une position opportuniste, le roi ne s'y trompe pas. Comme il voit bien l'opportunisme d'un Necker. Il rappelle Necker ce qui est vu comme une énième tergiversation mais rappeler Necker est faire un geste vis à vis de "
son" peuple. Il ne se fait pas plaisir avec Necker bien conscient du marasme qu'il lui doit.
Les gestes du roi ne sont pas compris du Tiers et les demandes du Tiers sont hermétiques pour le roi. L'essentiel des uns était vu comme un HS pour l'autre. Avec ceci en préambule, on ne risquait pas "d'aboutir" sans dommages.
Supposer, sans texte, sans écrit, sans rien à présenter que le roi ceci, le roi cela (toujours à charge sans évaluer la marge de manœuvre dont il dispose) reste très discutable. Que ce roi ne soit pas celui qui aurait été souhaitable à ce moment peut-être et encore ceci dépend pour qui. Qu'il se soit montré piètre calculateur : certainement mais tout calcul ne visait pas à amoindrir le Tiers.
Rien qui n'ait déjà été évoqué dans le fil :
[url]viewtopic.php?f=55&t=41724[/url]
[url]viewtopic.php?f=55&t=21233[/url]
[url]viewtopic.php?f=55&t=28833[/url]
[url]viewtopic.php?f=55&t=39328[/url]
Je cite un intervenant concernant ce qui est «
l'opinion publique » que l'on trouve comme force incontournable à ce moment :
Citer :
... mais pour travailler sur les sources de la presse, j'ai toujours en tête les remarques de Durand Echeverria, qui mettait en garde contre la tentation d'imaginer qu'une synthèse des documents littéraires, livres ou articles parus dans les périodiques représentait l'opinion. Ou Jacques Ozouf, qui écrivait en 1966 : "Certains auteurs, sans doute, continuent d'exprimer à l'égard des sources classiques - et singulièrement la presse - une confiance immédiate. Mais de plus en plus on se refuse à croire qu'une histoire de l'opinion se fabrique en cousant les unes aux autres des déclarations disparates. Même ingénieuse, toute revue se presse est un rapiéçage ; entre les citations retenues se creusent des trous vertigineux. A travers absences et présences, c'est en définitive la personnalité de l'historien qui se lit, et non l'état de l'opinion".
Bref, je crains que pour 1789-1815, l'état de l'opinion publique demeure inaccessible.
Si l'opinion publique ou ce qui est rendu comme telle est une erreur, il faut se tenir à un «
échauffement » de certains esprits, échauffement très contenu dans le temps et loin d'être un relais qui ne puisse être apaisé voire un tour de passe passe de certains historiens.
Certains mettent l'opinion publique au centre du procédé qui aboutit aux doléances de 1789 (à noter que
les campagnes ne voient pas plus loin que l'abolition des droits féodaux...) : je ne suis pas seule à m'interroger sur le monde rural.
Nous avons un recul de plus de 200 ans : comment attribuer à un homme (Louis XVI) une correcte lisibilité des faits qui le mettent très vite en mode « passif » ce qui lui est étranger ? C'est là que je ne comprends plus : comment charger un homme qui voit non pas un système mais une vision du monde (chez les voisins c'est quasi-identique, outre-Manche excepté) d'un monde remise en cause en prenant comme base les écrits de quelques "
utopistes" ? Il suffit de constater les angoisses qui vont aussitôt se succéder au niveau du peuple et son incapacité à se "discipliner" sur une ligne. Ceci n'était pas inévitable pour Louis XVI qui en a sans doute retour : il suffisait de garder la monarchie en l'état et un état monarchique.
Et zut ! Je constate que je n'ai toujours pas compris comment sélectionner les liens !
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