Dans la matinée du 11 janvier 1923, des contingents de soldats belges et français prennent, depuis Düsseldorf, en Allemagne, le route d'Essen, la capitale de la Ruhr. Le déploiement de forces est impressionnant : près de 40 000 hommes, avec du matériel lourd, des chars et des blindés.

Six mois plus tard, ils sont 90 000. Et, contrairement aux premières déclarations des autorités françaises et belges, ce n'est pas seulement une occupation d'ordre politique qui commence, mais une occupation militaire.

Les Français ont pris conscience d'une réticence de plus en plus affirmée du voisin allemand à s'acquitter des réparations prévues dans le Traité de Versailles. Si le gouvernement de Rathenau s'était déclaré prêt à payer les réparations fixées par l'accord de Londres en 1921, il n'en est pas de même de celui de Wilhelm Cuno. Dès sa prise de fonctions, en 1922, cet industriel de tendance nationaliste fait savoir que son pays compte désormais payer les réparations avec ses « excédents budgétaires » , mais que l'essentiel de ses efforts portera sur la « préservation de la nation et l'affermissement de l'industrie allemande » .

Pour le gouvernement français, ces déclarations sont inacceptables. Poincaré décide, le 27 novembre 1922, de procéder à la saisie d'un gage productif : la région de la Ruhr, riche en industries de la houille, de la métallurgie, de la chimie. Pour une telle opération, le président du Conseil a néanmoins besoin d'alliés. L'Angleterre refuse, la Belgique se laisse convaincre.

Seul baroud de la France pour obliger l'Allemagne à payer, cette occupation qui soulève l'hostilité des anglo-saxons traduit l'isolement diplomatique de la France, coincée entre le paiement des dettes, auxquelles les américains refusent de renoncer, alors qu'ils plaident ( avec les anglais)pour une réduction des réparations...

_________________
Le passé change parce que nous changeons

Plus encore que l'isolement diplomatique français, cet événement illustre déjà que les anciens alliés de l'Entente ne souhaitent pas appliquer le traité de Versailles de la même manière.
Cuno - adepte de la "résistance passive" - laissera même le mark s'envoler (la fameuse "hyperinflation") pour bien montrer aux Français que l'Allemagne n'est pas en mesure de payer.

_________________
Un peuple sans âme n'est qu'une vaste foule
Alphonse de Lamartine

Le mark ne va pas s'envoler mais s'effondrer...ce sont les prix qui vont s'envoler. Lapsus je pense.

Oui, effectivement, c'était plutôt s'"effondrer" qu'il fallait lire, mais vous l'aviez également compris.

_________________
Un peuple sans âme n'est qu'une vaste foule
Alphonse de Lamartine

Si seulement un Poincaré ou un Clemenceau avaient été en vie au moment de Munich...

Les données géopolitiques et militaires ont changé à cette époque. L'Allemagne a une armée par exemple... En 1936, Gamelin a dissuadé le gouvernement de se lancer dans une aventure militaire lors de la remilitarisation de la Rhénanie, ne croyant pas l'armée française prête pour cela...

_________________
Le passé change parce que nous changeons

C'est Gamelin qui a tenu tête à Albert Sarraut? Intéressant. On pense à l'aphorisme de Clémenceau "la guerre est une affaire trop sérieuse...".
Je pensais que c'était surtout Albion qui nous avait fait faux bond sur ce coup. Il me semble qu'en 36 la France pouvait encore compter sur une supériorité militaire sur l'armée allemande.

L'ensemble des états-major a dissuadé le gouvernement d'intervenir. Mais le fait est que l'isolement diplomatique de la France n'a pas rendu la tâche des Gamelin, Pujo et autres trop difficile !

_________________
Le passé change parce que nous changeons

Enfin, le chef c'est le Président du Conseil. L'Etat-Major exécute. cf comment Clémenceau parlait à un Foch. Ce qui est surprenant, c'est la différence entre Weygand, forte personnalité, et Gamelin, qui, quand il arrive Chef d'Etat Major de l'Armée de Terre, est décrit comme manquant de fermeté et d'esprit de décision. Comment quelqu'un qui manque de fermeté et d'esprit de décision a-t-il pu dissuader son patron, sinon parce que son patron était encore plus dépourvu de cet esprit?

Quid des autres à l'Etat-Major? Weygand avait été partisan de la fermeté.

Tous le chefs d'Etat-Major sont unanimes sur l'inopportunité d'agir. L'opinion est majoritairement pacifiste et l'esprit "ligne Maginot" domine...

_________________
Le passé change parce que nous changeons

La réalité est un peu différente. Gamelin, suivant les indications de son 2e Bureau, transmises par le colonel Gaucher (ou Gauché ?), a fait savoir qu'on ne pouvait se lancer dans cette aventure sans mobiliser.
Comme on était très proche d'élections législatives, Sarraute a préféré éviter cette mobilisation et n'a rien fait. (Après avoir clamé "qu'il ne laisserait pas Strasbourg sous le feu des canons allemands" ! )
Sur ce coup, les services français - qui vont rapidement s'améliorer - se sont à mon avis laissés intoxiquer par les Allemands. (il faut par exemple repérer que le chiffre des effectifs allemands inclut plus de 1 millions de SA versés en bloc dans la Wehrmacht après la Nuit des Longs Couteaux, soit une cohue de militants mal encadrée et mal entraînée. De même Hitler a déclaré en 1935 la conscription obligatoire, mais si ça gonfle les chiffres de façon spectaculaire, ça ne fait pas une armée capable d'agir en masse.) En réalité les effectifs allemands entrés en Rhénanie étaient très faibles, et Hitler avait prévu de se retirer en cas de réaction française.

_________________
Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. (Chamfort)

D'après Peter Jackson (in La France et la menace nazie 1933-1939), les services de renseignements français, sous couvert de l'EM avaient plutôt pris l'habitude de surévaluer à dessein la puissance de l'armée allemande dans les rapports destinés au gouvernement. Gamelin a volontairement exagéré le potentiel militaire allemand pour dissuader le gouvernement Sarraut de réagir. En fait, l'EM ne voulait pas intervenir en Rhénanie, et surtout exagérait la puissance allemande afin d'obtenir un plan de réarmement massif en France.

_________________
Le passé change parce que nous changeons

merci pour ces précisions.

Pour avoir des chiffres exagérés, à ce stade de démarrage de la Wehrmacht, il suffit de prendre les chiffres allemands comme du bon pain !

Où on voit Gamelin en dégonflé complet, qui s'imagine en plus que la France va réarmer plus vite et mieux que l'Allemagne !
Un Clemenceau se serait étranglé de rage, et aurait exigé une action immédiate avant toute mobilisation. (Sans parler du remplacement de Gamelin...)

_________________
Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. (Chamfort)

C'est pire que dégonflé... Les militaires français savaient depuis longtemps (plusieurs mois) que la remilitarisation allait se produire. Et le but de Gamelin était de laisser faire (sûrement pour pousser au réarmement...).

_________________
Le passé change parce que nous changeons

Cf le Gamelin de l'excellent Max Schiavon (2021):

“Le 2e bureau sait que les chiffres avancés par le général sont faux, mais le gouvernement, dans le cas présent, n’a pas accès à ces analyses, filtrées ou arrêtées par Gamelin. Il n’y a donc aucun doute qu’il a volontairement menti. ”