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 Sujet du message : Re: L'image au moyen-âge
Message Publié : 26 Juin 2011 18:00 
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Jean-Pierre Vernant
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Comme promis Calame je fais remonter ce sujet pour que vous nous exprimiez vos axes de réflexion sur les reliefs romans dont j'ai parlé plus haut... ;)

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 Sujet du message : Re: L'image au moyen-âge
Message Publié : 28 Juin 2011 13:13 
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Pédro a écrit :
Excellent, merci beaucoup Calame de cet exposé, véritable point historiographique! ;) Au musée de Limoges nous avons des reliefs roman du XIIe provenant de l'abbaye sainte Marie de la Règle. Elle représentent des scènes très diverses, depuis des animaux communs, (cerfs...) aux créatures mythologiques (sirènes, griffons...), en passant par un chevalier et un bouc jouant de la lyre. Que pouvons nous penser de telles scènes? Est-ce que les représentations "inquiétantes" désignent des manifestations du diable?


Je vais essayer de répondre pour faire remonter le sujet, mais je n'ai pas de document sous la main ;-)

Jérôme Baschet propose de prendre en compte dans l'interprétation la distance par rapport au lieu le plus saint. Une représentation proche du tabernacle n'aura pas le même sens que s'il elle est positionnée sur un portail. Sur un portail on retrouvera certainement l'interprétation d'Alain.g avec le péché qui rôde autour de l'église.
Concernant les animaux, on trouvera une interprétation dans les bestiaires comme le Physiologos ou dans l'Histoire Naturelle de Pline L'Ancien mais cette interprétation dépendra sans doute de leurs relations avec les autres représentations.
Pour le chevalier et le bouc, je crois avoir lu une interprétation - peut-être dans Émile Mâle - où il s'agissait d'une légende locale. J'essayerai de la retrouver.
Je pense qu'il doit être difficile d'interpréter des reliefs si l'on ne dispose pas de leur localisation dans l'ensemble de l'édifice.

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 Sujet du message : Re: L'image au moyen-âge
Message Publié : 28 Juin 2011 16:25 
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Merci Pédro pour l'aide-mémoire ;) Pour compléter les remarques de YetAnotherYves, quelques éléments un peu en vrac, tirés de divers livres.

Tout d'abord, il faut noter que les animaux du bestiaire roman ne sont pas présents seulement dans les sculptures à destination religieuse, mais aussi sur d'autres supports (peinture, arts décoratifs) et dans des oeuvres profanes (peu nous sont conservées, mais on peut citer la bordure de la tapisserie de Bayeux, quand même.). Quelques éléments sur les bestiaires dans des livres : http://expositions.bnf.fr/bestiaire/index.htm

Dans la Bible, les relations sont étroites entre l'homme et l'animal : dans la Genèse, c'est, par exemple, l'homme qui nomme tous les animaux, dans ce qui est, en quelque sorte, un acte de seconde création. Dieu lui donne également le pouvoir sur les animaux. J. Le Goff explique ainsi : "Pour l'homme médiéval, l'animal est en quelque sorte une créature commune de Dieu et de lui-même, ce qui confère à sa relation avec l'animal une espère de caractère religieux et même sacré, un caractère allant bien au-delà du pittoresque des représentations animalières". (Un Moyen-Âge en image, Hazan, 2000, p. 182).
De manière générale, je vous recommande le passage sur l'animal dans ce bouquin, qui s'appuie en partie sur Jacques Voisenet. Un petit résumé à grand traits
- l'intérêt porté aux monstres vient en partie d'une étymologie fantaisiste qui rapproche [i]monstrum
de monstrare, montrer, et même démontrer. Le monstre est un miroir qui, par contraste, fait ressortir les caractères de l'humanité.
- le monde animal est un univers symbolique, que l'on retrouve dans les fables notamment. L'animal est un moyen de connaissance (cf. le traité scientifique et théologique De animalibus d'Albert le Grand) et un outil pédagogique, notamment à travers les exempla.
- Les animaux sont généralement classés en deux catégories, les bons et les mauvais, mais tous restent polysémique, comme le sont les couleurs. Pour ce qui concerne la symbolique précise de certains animaux, il faut se référer aux ouvrages de M. Pastoureau et à ceux de ses élèves. La présence d'un animal dans la Bible lui donne une valeur.

Concernant spécifiquement le bouc chevauché, dont on trouve un exemplaire à l'abbatiale Saint-Pierre de Mozac (XIIe s.) (Une image ici), son symbolisme est polysémique : il est à la fois un animal de sacrifice dans la Bible ("bouc émissaire), mais aussi, dans la tradition antique, lié à la luxure et à l'érotisme. Le diable peut-être représenté avec les attributs d'un bouc (cornes, pattes). Son chevauchement peut donc être positif, lorsque c'est un chasseur, mais aussi négatif (chevauchées maléfiques, ou chevauchées des sorcières à la fin du Moyen-Âge)

Les sources d'inspiration pour les représentations monstrueuses sont nombreuses. J'avoue être un peu sèche pour les influences celtes ou scandinaves, mais beaucoup proviennent également des textiles de luxe islamiques ou byzantins, qui voyageaient beaucoup vers l'Occident (beaucoup entourent des reliques). L'expo France romane du Louvre avait ainsi mis en parallèle des représentations d'éléphants ou de senmurv (un monstre spécifiquement iranien, avec une queue de paon, des griffes et une gueule de lion) avec des textiles islamiques, de manière plutôt convaincante.

La représentation de monstres et d'animaux dans une Eglise, si elle correspond donc bien à la mentalité religieuse romane, ne va pas sans opposition néanmoins, essentiellement dans les milieux monastiques. On connaît un célèbre texte de Bernard de Clairvaux, qui stigmatise ces représentations (comme tout art, d'ailleurs) comme ne servant qu'à distraire le moine :
Citer :
Et que signifient, dans les cloîtres, sous les yeux des frères lisant leur bréviaire, ces monstres ridicules, toute cette beauté informe, cette trop belle hideur, ces singes immondes, ces lions féroces, ces centaures, ces êtres à demi-humains, ces tigres tachetés, ces scènes de combat et de chasse ? On voit ici plusieurs corps pour une seule tête, ailleurs plusieurs têtes sur un même corps ; un quadrupère s'achève en queue de serpent, un poisson dresse une tête de quadrupède... De toute part une luxuriance de formes extraordinaires attire notre attention, nous nous prenons à aimer mieux lire sur le marbre plutôt qu'à méditer la loi de Dieu
(Cité dans De pierre, d'or et de feu

Il existe un vrai débat intellectuel, qui déborde du cadre de la querelle Cluny-Cîteaux dans le domaine de l'ornementation des églises, au XIIe s.

(Désolée pour le caractère touffu de cette réponse.)


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 Sujet du message : Re: L'image au moyen-âge
Message Publié : 28 Juin 2011 18:47 
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Jean-Pierre Vernant
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Merci à tous deux! (et ce n'était pas du tout "touffu" calame!)

Je vais suivre vos orientation bibliographique... dès que je trouverais le temps, pour approfondir ce théme.

Par contre je me suis mal exprimé dans la liste rapide des reliefs que j'ai esquissé plus haut ; le bouc n'est pas chevauché (d'ailleurs sur ce point je suis content d'avoir appris que ce type "saugrenu" de représentation existaient!) mais il joue de la lyre et possède encore un partie de son polychrome noir et rouge. J'ai un peu creusé du coté des significations des couleurs au Moyen Âge par le truchement de l'héraldique et je pense que ce n'est guère flatteur ici pour lui. Nous possédons également un loup qui lui est essentiellement en noir.
Le chevalier est lui à part et ressemble bien évidemment beaucoup aux Normands de la tapisserie de Bayeux par exemple. Sa signification, sa présence ici, dans un édifice consacré à des moniales, j'avoue ne guère m'en faire une idée.

Mais voilà, le problème que j'explique aux visiteurs c'est que justement ces reliefs nous sont parvenus sans le moindre ordre, l'abbaye Sainte Marie de la Règle, l'édifice XIIe siècle a été détruit depuis longtemps. Nous perdons donc une éventuelle cohérence d'ensemble. J'avais lu quelques articles sur les portails d'entrée des édifices romans et effectivement leur sens était plutôt explicite.

Tant que j'en suis à ces reliefs médiévaux, nous possédons également un gisant, gothique cette fois, assez abîmé mais de belle taille où apparait un couple. Au pieds de l'homme nous distinguons un lion dont la signification me semble assez clairement compréhensible ; sans doute symbole de valeur aristocratique du personnage. Par contre au pied de la dame nous voyons plus distinctement un basilic et là, franchement, je ne vois pas trop ce que cela peut signifier, bien que je ne pense pas que cela soit particulièrement sympathique pour elle. :mrgreen:

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 Sujet du message : Re: L'image au moyen-âge
Message Publié : 28 Juin 2011 19:44 
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Votre message appelle à plein de commentaires, j'essaye de le faire en ordre chronologique. Surtout, j'espère que vous ne prendrez pas mal ces diverses remarques, c'est un sujet que j'affectionne, voilà tout.
Pédro a écrit :
Par contre je me suis mal exprimé dans la liste rapide des reliefs que j'ai esquissé plus haut ; le bouc n'est pas chevauché (d'ailleurs sur ce point je suis content d'avoir appris que ce type "saugrenu" de représentation existaient!) mais il joue de la lyre et possède encore un partie de son polychrome noir et rouge.

On connaît énormément de représentation d'animaux exerçant des activités humaines, en contexte religieux ou non. Tout à fait sympathique, dans la même veine : le porc jouant de l'orgue, sur une stalle du musée de Cluny (http://www.musee-moyenage.fr/homes/home ... 1_u1l2.htm). Esprit sarcastique rappelant les fabliaux, idée de l'animal en miroir de l'homme, et donc de la bestialité de l'homme... on peut proposer de nombreuses explication pour ces représentations, que l'on peut retracer depuis l'antiquité. (Au passage, on ne dit pas un polychrome, mais une polychromie ;) ).
Citer :
J'ai un peu creusé du coté des significations des couleurs au Moyen Âge par le truchement de l'héraldique et je pense que ce n'est guère flatteur ici pour lui. Nous possédons également un loup qui lui est essentiellement en noir.

Attention avec la symbolique des couleurs. M. Pastoureau (Dieu le père, pour les intîmes) le rappelle très souvent, les couleurs sont extrêmement polysémiques, et d'ailleurs, une personne du moyen-âge ne voit pas les couleurs de la même manière que nous. Par exemple, pour un homme du moyen-âge, un rouge vif est plus proche d'un bleu vif que d'un rouge pâle. Il existe d'ailleurs plusieurs système de couleurs. Le principal, qui remonte aux temps préhistorique, oppose trois couleurs de base, le rouge, le noir, le blanc (l'ocre, le charbon, la craie, les trois colorants les plus évidents dans la nature) : au moyen âge, on peut jouer aux échec rouge contre noir ou conte blanc, par exemple. Dans les encyclopédies, les auteurs ajoutent des couleurs sur l'échelle, mais le bleu n'existe pas avant le XIIIe siècle, et le violet est une sorte de sous-noir. La place du vert et du jaune peut varier. Enfin, le système héraldique est très particulier, avec une distinction entre métaux et émaux, dont il est assez difficile de comprendre les origines. Toute couleur n'a pas une symbolique unique, loin de là ; au contrainte elle peut se référer à différents systèmes, à différentes références. Le jaune peut être la couleur de Judas ou celle du soleil ! Il est donc nécessaire de prendre en compte beaucoup de facteurs pour avancer une interprétation symbolique des couleurs.

Citer :
Le chevalier est lui à part et ressemble bien évidemment beaucoup aux Normands de la tapisserie de Bayeux par exemple. Sa signification, sa présence ici, dans un édifice consacré à des moniales, j'avoue ne guère m'en faire une idée.

Mais voilà, le problème que j'explique aux visiteurs c'est que justement ces reliefs nous sont parvenus sans le moindre ordre, l'abbaye Sainte Marie de la Règle, l'édifice XIIe siècle a été détruit depuis longtemps. Nous perdons donc une éventuelle cohérence d'ensemble. J'avais lu quelques articles sur les portails d'entrée des édifices romans et effectivement leur sens était plutôt explicite.

Tout à fait, il peut avoir de nombreuses raisons d'être là, il faudrait prendre en compte le contexte général à plus petite échelle : celle de son support, celle de l'édifice... Une photo, éventuellement ?


Citer :
Tant que j'en suis à ces reliefs médiévaux, nous possédons également un gisant, gothique cette fois, assez abîmé mais de belle taille où apparait un couple. Au pieds de l'homme nous distinguons un lion dont la signification me semble assez clairement compréhensible ; sans doute symbole de valeur aristocratique du personnage. Par contre au pied de la dame nous voyons plus distinctement un basilic et là, franchement, je ne vois pas trop ce que cela peut signifier, bien que je ne pense pas que cela soit particulièrement sympathique pour elle. :mrgreen:

En fait, le lion est une représentation extrêmement fréquente aux pieds des gisants masculins : symbole classique de force, de pouvoir... Le lion est l'animal le plus représenté en héraldique, c'est un animal très commun dans l'imaginaire animal médiéval. sur les gistants féminins, on trouve en général pour les femmes mariées un chien (bonne épouse fidèle), pour les jeunes filles, une licorne (pureté viriginale). Le basilic est étrange, je vais essayer de faire des recherches sur le sujet.


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 Sujet du message : Re: L'image au moyen-âge
Message Publié : 28 Juin 2011 20:02 
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calame a écrit :
Surtout, j'espère que vous ne prendrez pas mal ces diverses remarques, c'est un sujet que j'affectionne, voilà tout.


Bien au contraire! Cela me fait beaucoup apprendre sur ce sujet complexe.

calame a écrit :
on ne dit pas un polychrome, mais une polychromie


Voilà pour quelle raison c'est important pour moi! :mrgreen:

calame a écrit :
Attention avec la symbolique des couleurs. M. Pastoureau (Dieu le père, pour les intîmes) le rappelle très souvent, les couleurs sont extrêmement polysémiques, et d'ailleurs, une personne du moyen-âge ne voit pas les couleurs de la même manière que nous. Par exemple, pour un homme du moyen-âge, un rouge vif est plus proche d'un bleu vif que d'un rouge pâle. Il existe d'ailleurs plusieurs système de couleurs. Le principal, qui remonte aux temps préhistorique, oppose trois couleurs de base, le rouge, le noir, le blanc (l'ocre, le charbon, la craie, les trois colorants les plus évidents dans la nature) : au moyen âge, on peut jouer aux échec rouge contre noir ou conte blanc, par exemple. Dans les encyclopédies, les auteurs ajoutent des couleurs sur l'échelle, mais le bleu n'existe pas avant le XIIIe siècle, et le violet est une sorte de sous-noir. La place du vert et du jaune peut varier. Enfin, le système héraldique est très particulier, avec une distinction entre métaux et émaux, dont il est assez difficile de comprendre les origines. Toute couleur n'a pas une symbolique unique, loin de là ; au contrainte elle peut se référer à différents systèmes, à différentes références. Le jaune peut être la couleur de Judas ou celle du soleil ! Il est donc nécessaire de prendre en compte beaucoup de facteurs pour avancer une interprétation symbolique des couleurs.


Ces précisions sont très intéressante ; j'avais conscience d'une partie de cette polysémie que j'avais abordée en étudiant l'héraldique (j'avais brassé un peu plus large ; c'était trop intéressant et merci monsieur Pastoueau ;) ).

calame a écrit :
Tout à fait, il peut avoir de nombreuses raisons d'être là, il faudrait prendre en compte le contexte général à plus petite échelle : celle de son support, celle de l'édifice... Une photo, éventuellement ?


Il n'en reste rien malheureusement ; le dernier édifice datait du XVIIIe siècle et il a été détruit dans les années 1960. Donc je crois que pour l'interprétation cela sera compliqué...

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 Sujet du message : Re: L'image au moyen-âge
Message Publié : 28 Juin 2011 21:18 
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Pédro a écrit :
Merci à tous deux! (et ce n'était pas du tout "touffu" calame!)

Je vais suivre vos orientation bibliographique... dès que je trouverais le temps, pour approfondir ce théme.

Par contre je me suis mal exprimé dans la liste rapide des reliefs que j'ai esquissé plus haut ; le bouc n'est pas chevauché (d'ailleurs sur ce point je suis content d'avoir appris que ce type "saugrenu" de représentation existaient!) mais il joue de la lyre et possède encore un partie de son polychrome noir et rouge. J'ai un peu creusé du coté des significations des couleurs au Moyen Âge par le truchement de l'héraldique et je pense que ce n'est guère flatteur ici pour lui. Nous possédons également un loup qui lui est essentiellement en noir.
Le chevalier est lui à part et ressemble bien évidemment beaucoup aux Normands de la tapisserie de Bayeux par exemple. Sa signification, sa présence ici, dans un édifice consacré à des moniales, j'avoue ne guère m'en faire une idée.


J'ai eu le temps de fouiller L'art religieux du XIIème siècle de EM et j'ai retrouvé une interprétation du chevalier "normand" face au diable. Pour Émile Mâle c'est une représentation d'une vertue (la force sans doute). Il a retrouvé des illustrations de la Psychomachie de Prudence en particulier dans un manuscrit du XIème de la bibliothèque de Bruxelles (édition de 66, texte de 53).

Pour la lyre, j'ai trouvé toujours dans EM une fable de Phèdre où âne trouve une lyre abandonnée, essaye d'en tirer quelques accords et dit "si quelqu'un d'autre avait trouvé cette lyre, il charmerait les oreilles par des accords divins" et donc une mauvaise destinée empêche le génie de se produire.
Une variante plus probable viendrait de Boèce où la Philosophie dit avec sévérité à sont auditeur qui ne l'a pas compris : "es-tu comme l'âne devant la lyre?".
Il y a apparemment beaucoup de représentations sur des chapiteaux ou portails du XIIème.


Pédro a écrit :
Tant que j'en suis à ces reliefs médiévaux, nous possédons également un gisant, gothique cette fois, assez abîmé mais de belle taille où apparait un couple. Au pieds de l'homme nous distinguons un lion dont la signification me semble assez clairement compréhensible ; sans doute symbole de valeur aristocratique du personnage. Par contre au pied de la dame nous voyons plus distinctement un basilic et là, franchement, je ne vois pas trop ce que cela peut signifier, bien que je ne pense pas que cela soit particulièrement sympathique pour elle. :mrgreen:


Ici j'ai trouvé dans l'art du XIIIème un extrait d'un sermon d'Honorius d'Autun : "Tu marcheras sur l'aspic et le basilic, et tu fouleras aux pieds le lion et le dragon". Il s'agit de Jésus qui triomphe de tous ses ennemis. On retrouve ces représentations à Amiens.
C'est donc plutôt élogieux pour la dame :mrgreen:

Y a moyen d'avoir des photos ?

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 Sujet du message : Re: L'image au moyen-âge
Message Publié : 28 Juin 2011 22:00 
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Il faut que je pense à en prendre, mais oui c'est tout à fait possible. ;) Merci.

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 Sujet du message : Re: L'image au moyen-âge
Message Publié : 01 Août 2011 21:46 
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A Grégoire de Tours

Le livre "elements de mythologie médiévale en France au XII et XIIIe siècle en France" de Christian Montesinos
n'est pas un ouvrage traitant de l'histoire de l'art ou de l'art religieux. A ce titre il ne peut être comparé aux ouvrages d'Emile Mâle. En ce sens il n'est ni "inférieur" ni "supérieur" aux livres de Mâle. Il aborde le sujet de la perception de personnages à caractères parfois fortement légendaires, par les clercs ou laïcs. Comment sont nées ces légendes, comment se sont elles transmises, augmentées ou modifiées, jusqu'à la perception médiévale. Voila le sujet, sujet se rattachant au symbolisme et à la transmission des traditions. En ce sens toute comparaison avec Mâle est non seulement inutile, mais fort maladroite.

Je suis un admirateur de Mâle, même si quelques fois, certaines de ses inteprétations sont aujourd'hui remises en cause, ne serait-ce que par de nouvelles découvertes épigraphiques, ou chromatiques, ce dont on ne peut blamer le grand historien de l'art.

Nos propres écrits seront tous dépassés et critiqués, mais la démarche qui conduit les hommes à l'écriture et à la transmission du savoir ne le sera jamais.

Emile Mâle a ouvert en grand des portes qui étaient jusque là fermées et c'est ce qui est admirable dans son oeuvre.

Mais d'autres portes restent à ouvrir et je crois que l'étude des légendes chrétiennes et de leurs sources peut nous aider à comprendre les pensées d'autrefois, et nous aider à nous défier des apparences. C'est une de tâches à laquelle s'est attelée la Société de Mythologie Française .


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 Sujet du message : Re: L'image au moyen-âge
Message Publié : 10 Août 2011 21:46 
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Alors voici enfin les reliefs dont je parlais :

Le fameux bouc
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Un loup de la même couleur
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Des griffons
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Des sirènes
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Un étrange capricorne
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 Sujet du message : Re: L'image au moyen-âge
Message Publié : 11 Août 2011 9:06 
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C'est mignon tout plein, tout cela. On est parfaitement dans le bestiaire médiéval, réel et fantastique. Période romane, je suppose ? Des indices de provenance ou de datation plus précise ? En tout cas, visiblement des artistes différents.

Vous ai-je déjà donné ce lien ? http://expositions.bnf.fr/bestiaire/index.htm
Il existe aussi un dossier de l'art sur le sujet du bestiaire sculpté (dec. 2003-jan. 2004, n°103), et vous pouvez consulter avec profit le chapitre "Animal" du livre de Jacques le Goff, Un Moyen-Âge en images (qui s'appuie en grande partie sur les travaux de Jacques Voisenet sur le bestiaire chrétien, l'un des grands spécialistes du sujet)

Je vous donne quelques éléments qui me traversent l'esprit comme cela, mais si vous avez des questions plus précises, n'hésitez pas.

Tout d'abord, comme je l'avais dit dans un précédent message, ne sautez pas à une analyse des couleurs sur la seule foi de la polychromie restante. Celle-ci est plutôt bien conservée, c'est très intéressant, mais elle n'a pas forcément une symbolique négative/positive particulière. L'artiste a peut-être simplement voulu rendre une forme de réalité, ce que pourrait indiquer l'usage du rouge dans l'oreille du loup. D'ailleurs, la représentation conventionnelle du loup est d'avoir le pelage noir : c'est souvent la seule manière de le différencier du renard (voir l'article "Animal" du Dictionnaire d'histoire de l'art du Moyen-Âge). Il faut rester vraiment très prudent sur ce point, et l'analyse chromatique ne peut se mener qu'à large échelle. (pensez aussi qu'il peut y avoir eu des repeints postérieurs)
De manière générale, il faut toujours se méfier avec ce genre d'oeuvres, détachées de leur contexte : le risque de la surinterprétation n'est jamais loin.

Les animaux musiciens que je connais sont en général dans des postures plus "humaines", posés sur leur derrière, parfois sur une chaise, ou debout sur les pattes de derrière. Sa position peut s'expliquer, évidemment, pas la contrainte du cadre, mais (c'est toujours difficile à voir sur une photo), les raies ne pourraient-elle pas être un simple motif ornemental, séparant deux éléments d'une frise. Quoiqu'il en soit, voici une page qui vous montrera pas mal d'animaux musiciens (souvent des ânes, car ceux-ci font référence à des oeuvres littéraires antiques - une fable de Phèdre et un passage de la Consolation de Philosophie de Boèce) : http://web.me.com/joel.jalladeau/images ... age10.html

Le loup est en général un animal négatif pour le Moyen-Âge. Le bouc prend aussi souvent une connotation de luxure (qui provient directement de l'Antiquité).

L'image qui me parle le plus ici est bien sûr celle des griffons, car ils sont un vivant exemple des passages entre Orient et Occident par le biais des textiles et des oeuvres de luxe. Ce n'est pas la meilleure comparaison possible, mais c'est celle qui me vient à l'esprit présentement : ce fond de plat Egyptien des VIIIe-IXe s. (MAO 337 du Louvre) http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visi ... &flag=true
Voici ici (http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/m ... 0747_p.jpg) un exemple de peinture murale au Puy-en-Velay qui reprend exactement un tissu oriental à décor de griffon (l'organisation est tout à fait caractéristique). Malheureusement, ces tissus,qui souvent étaient utilisés, de par leur caractère précieux, pour envelopper des reliques, sont rarement conservés. Voici un détail du tissu au griffon consrvé dans le trésor de l'église de Le Monastier sur Gazeilles http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/m ... 0535_p.jpg
Dans la symbolique médiévale occidentale, le griffon a un statut ambigu : on le trouve dans les bestiaire décrit soit comme une créateur maléfique, soit comme un symbole christique, son caractère hybride permettant un rapprochement avec la double nature, humaine et divine, du Christ, dogme chrétien fondamental.

Pour les sirènes, j'avoue être plus sèche. Pour la période médiévale, on parle encore (en tout cas les historiens de l'art, j'ignore s'il en et de même dans les sources) souvent de sirène pour désigner, comme dans l'antiquité, des monstres à tête féminine et à corps d'oiseau. L'origine de la sirène femme-poisson est nordique, il me semble, et l'image s'installe au cours du Moyen-Âge.
J'aime beaucoup comme l'artiste qui a réalisé ces sirènes a pris soin de couvrir leurs bras de manches tout à fait à la mode. Vous notez, ce qui est assez typique de la période romane, la disproportion des mains, l'artiste insistant sur le signifiant plutôt que cherchant une quelconque représentation naturaliste.

Le capricorne, enfin, doit être remis, il me semble, dans la vogue des décors astrologique, qui se multiplient au cours de la période romane. C'est une iconographie directement issue de l'antiquité classique : vous le trouvez par exemple sur le rebord cet autel du IIe s. conservé au Louvre : http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visi ... &langue=fr
Il est fort possible que le votre ait fait partie d'un cycle regroupant les signes astrologiques.


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 Sujet du message : Re: L'image au moyen-âge
Message Publié : 11 Août 2011 11:36 
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Merci beaucoup calame pour ces précieux renseignements. Je vais pouvoir défricher la thématique plus efficacement. ;)

Pour la datation de ces reliefs, c'est le XIIe siècle ; ils proviennent de l'abbaye aujourd'hui disparut de Sainte Marie de la Règle qui se trouvait à proximité des actuels jardins de l'Evêché. C'est une vieille fondation de Louis le Pieux qui est détruite et reconstruite au XIIe.

calame a écrit :
l'artiste insistant sur le signifiant plutôt que cherchant une quelconque représentation naturaliste.


C'est sans doute le point que je met le plus en avant pour cette époque. D'ailleurs dans l'art romain tardif que je connais un peu mieux c'est une tendance assez explicite et qui bat en brèche l'ancienne tradition gréco-romaine, la tête colossale de Constantin en étant sans doute le meilleur symbole puisqu'elle ne figure plus l'empereur lui-même mais sa dignité, avec des yeux exorbités par exemple. Mais pour l'époque romane je ne sais pas où cette tradition prend ses racines? Art germanique? Survivance de cet art tardif romain?

On possède d'autres exemples de sculptures romanes :

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Scribant reliqua potiores, aetate doctrinisque florentes. quos id, si libuerit, adgressuros, procudere linguas ad maiores moneo stilos. Amm. XXXI, 16, 9.


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 Sujet du message : Re: L'image au moyen-âge
Message Publié : 11 Août 2011 12:22 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile
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Inscription : 09 Juin 2010 14:22
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ils font la gueule ou c'est moi ? :mrgreen:

Bien à vous

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et tout le reste n'est que littérature


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 Sujet du message : Re: L'image au moyen-âge
Message Publié : 11 Août 2011 15:40 
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Polybe
Polybe

Inscription : 15 Mai 2007 8:38
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C'est ce qu'on appelle avoir la gueule de pierre ...ils ne crachaient pas sur le vin à l'époque !! :mrgreen: :mrgreen: :mrgreen:


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 Sujet du message : Re: L'image au moyen-âge
Message Publié : 11 Août 2011 19:19 
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Inscription : 23 Jan 2009 15:49
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Ils ne tirent pas la tronche, c'est la moustache. :mrgreen: Plus sérieusement, ce côté hiératique est tout à fait roman ; le sourire n'apparaît que dans la sculpture gothique. (Même si ce sont là des appellations qui mériteraient d'être discutées).

Pédro a écrit :
C'est sans doute le point que je met le plus en avant pour cette époque. D'ailleurs dans l'art romain tardif que je connais un peu mieux c'est une tendance assez explicite et qui bat en brèche l'ancienne tradition gréco-romaine, la tête colossale de Constantin en étant sans doute le meilleur symbole puisqu'elle ne figure plus l'empereur lui-même mais sa dignité, avec des yeux exorbités par exemple. Mais pour l'époque romane je ne sais pas où cette tradition prend ses racines? Art germanique? Survivance de cet art tardif romain?


Je ne sais pas s'il est juste de parler de "tradition" : c'est la conception de l'art dans son ensemble par l'artiste roman qui entraîne ces particularités de représentation, pas le rattachement à des prédécesseurs, il me semble.

Mais en effet, cette idée de l'art non pas comme une reproduction due la nature, mais comme une manière de la transcender, de montrer plus que la nature apparaît dans l'antiquité tardive, et doit être mise en lien, aussi avec la rupture du christianisme.
Si j'en crois A. Erlande-Brandenbourg (De pierre d'or et de feu, toujours), c'est Plotin (205–270), qui indique que le beau n’est tel que parce qu’il participe de la pensée qui émane du divin, et que, donc, l'art doit transcender et non copier la nature. Saint Augustin (354–430) s’inscrit dans sa filiation, affirme à la fois la puissance de l’image et le fait que l’image ne représente pas la réalité mais l’idée. (Sur cette notion d'Idée à la source de l'art, il faut voir l'ouvrage fondamental de Panovsky, Idea, mais il est assez compliqué). Le christianisme entraîne des contraintes nouvelles, puisque l'image doit être compréhensible au fidèle.

L'insistance sur le signifiant se retrouve ensuite dans l'art "barbare" (même si on trouve aussi, apporté par la culture nomade et notamment l'orfèvrerie, un goût pour le décoratif, le remplissage des surfaces par des motifs sans sens - on trouve cela aussi dans le monde celtique irlandais).
L'art carolingien marque une certaine rupture, avec la volonté de retour à l'antique, l'intérêt pour l'art byzantin et la représentation en perspective. Mais la fin de l'empire en est une autre ; la place prépondérante de l’Église, le retour de l'art dans la sphère du religieux (les clercs définissent les modèles, commandent les œuvres et les exécutent) changent encore une fois la conception de l'image. La force de l'image tient dans sa force de conviction, elle doit emporter l'adhésion du fidèle. C'est ce qui explique à mon sens la forme particulière de l'art à la période romane.


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