Oeuvre extraordinaire, en effet, qui a fait et qui fait encore beaucoup parler et écrire.
Francisco Goya a écrit :
Ils sont en train d'échanger des voeux , ce qui à l'époque se faisait en privé , sans prêtre . Pas d'éléments religieux explicites dans le tableau . Mais les nombreux éléments symboliques (miroir , chandelle , petit chien , pantoufles) renvoient au Moyen-Age , alors que l'intérêt pour la figure humaine est davantage propre de la Renaissance
Pour Panovsky, le tableau est même plus que cela : c’est un véritable certificat de mariage (E. Panovsky, Les Primitifs flamands, Hazan, 1992). Dans le droit canon, le mariage est une prestation de serment en 2 temps : la jonction des mains, puis le geste de l’avant-bras levé effectué par l’homme ; ici, van Eyck a représenté les deux temps en un seul.
Rien n’empêchait les époux d’être seuls pour ce serment, sans avoir besoin de prêtre, et cela jusqu’au Concile de Trente, qui a imposé le prêtre et deux témoins pour mettre fin aux nombreuses contestations provoquées par cette procédure.
Ce « certificat » est paraphé comme un contrat par le peintre lui-même, qui a servi de témoin : « Johannes van Eyck fuit hic 1434 », (« Jan van Eyck fut ici ») écrit sur le mur du fond, et qui signe en même temps ici son oeuvre.
Une difficulté cependant : le fait que les mariés se donnent la main gauche, ce qui signifierait un mariage morganatique, entre un homme et une femme de condition inégale (sans droit à l’héritage, même pour d’éventuels enfants), ce qui n’est pas le cas ici car Giovanna Cenami est de très bonne bourgeoisie lucquoise comme son mari (voir J. Darriulat, Métaphores du regard, essai sur la formation des images en Europe depuis Giotto, Ed. lagune, 1993).
Goya a écrit :
Ici le symbolisme est religieux . La chandelle allumée représenterait l'omniprésence du Christ , le petit chien la fidélité , et la robe ramenée sur le ventre la fécondité
Beaucoup de symboles chrétiens effectivement :
A commencer par la mariée elle-même, qui est pratiquement copiée par van Eyck pour la Sainte-Catherine du Triptyque de Dresde (panneau droit)
Elle paraît enceinte, mais cela ne semble pas être le cas : d’abord parce qu’elle relève en fait un pan de sa robe, ce qui crée une illusion de ventre rond (voir encore Ste Catherine) ensuite parce les jeunes filles prennent fréquemment cette pose, avec ce ventre proéminent, dans l’iconographie de cette époque, enfin parce qu’on sait de façon certaine que le couple n’a pas eu d’enfant (il reste une possibilité de fausse couche...).
La chandelle qui luit sur le lustre, inutile en plein jour, est une flamme nuptiale : en Flandre à cette époque, les cortèges nuptiaux était ouvert par un cierge allumé (brautkerze).
La statuette qui couronne le dossier du grand fauteuil, est sans conteste une représentation de Ste Marguerite (sur la légende de Marguerite et du dragon, voir ici
http://www.imageson.org/document511.html?format=print On peut interpréter sa présence ici comme une promesse d’enfantement, car elle était invoquée par les femmes désirant un enfant.
Il y a deux paires de chaussures sur le sol alors que les mariés n’en ont pas, du moins Arnolfini. Celles du fond, de couleur rouge sont de délicates mules d’intérieur, les autres sont des « socques » de bois qu’on enfilait par-dessus les premières, par exemple pour sortir pour un court moment ; elles appartiennent donc probablement à la même personne. On retrouve ces mêmes socques dans de nombreux tableaux religieux de la même époque :
Elles signifient qu’on se trouve dans un espace sacré qu’il faut respecter, en relation avec ce que Dieu ordonne à Moïse sur le Mont Sinaï, selon l’interprétation de Panovsky.
Le chapelet de verre ou de cristal (ce ne sont pas des perles) représenterait selon J.L. Ferrier (Les aventures du regard, Lattès, 1996) une allusion à la « copula carnalis » (inutile de traduire je pense), qui devait contribuer, selon la doctrine chrétienne, à la perfection du lien conjugal.
Le chien est un symbole bien connu de la fidélité en amour. La présence de ces deux derniers symboles pourrait faire penser à un mariage d’amour idyllique, ce qui n’est pas le cas, loin de là... La conduite de Giovanni Arnolfini en amour a été abjecte, comme le révèle M. Greilsammer (L’envers du tableau, mariage et maternité en Flandre médiévale, Colin, 1990) : vers 60 ans, ce barbon tomba amoureux de Christina Van de Wijk, venue lui demander son intervention pour annuler le bannissement de son mari ; Arnolfini était en effet à cette époque un membre influent du Conseil du duc de Bourgogne. Il voulut conditionner son aide à certaines faveurs, qu’elle lui refusa à plusieurs reprises ; alors il feignit une maladie, l’appela à son chevet, et la fit immobiliser par ses serviteurs, puis il la viola...
Van Eyck a peint un autre portrait de cet homme, 3 ans plus tard, en 1437 ; il a toujours ce regard reptilien, rusé et fuyant, cette allure fourbe...(enfin, jugement de valeur personnel)
Quant à sa femme Giovanna Celami, c’est l’image même de la vierge sage, juvénile, innocente, les yeux modestement baissés. On peut remarquer que les époux ne se regardent pas au moment pourtant du serment.
MA a écrit :
..le miroir est magnifique..!
Il reflète plusss qu'on ne peut voir sur le tableau en tant que tel...sorry, c'est ptet pas clair ce que je dis...
je veux dire: on y voit 4 personnes..!..le plafond..!..le ciel..!..un bout du jardin...enfin plus que dans la pièce même..!
Très finement observé, MA...
Le miroir est lui aussi un élément religieux, comme le montrent les dix petites scènes de la Passion qui l’entourent, mais il est bien plus que cela.
On y voit toute la pièce, mais aussi plusieurs personnages (combien ? c’est difficile) dont Van Eyck, un couloir qui se termine probablement par une petite fenêtre, et une autre fenêtre sur la droite ouvrant sur la nature. Cette mise en abyme est vertigineuse, non seulement sur le plan visuel, mais aussi conceptuel.
D’abord parce que cette portion minuscule du tableau représente une réalité plus vaste que le champ pictural lui-même : l’infinitésimal exprime le gigantesque.
Ensuite parce que Van Eyck, si soucieux de la réalité du détail, donne ici volontairement une image déformée de la réalité, mais pourtant plus réelle que la scène représentée.
Enfin intervient une dimension religieuse dans ce « speculum sine macula » (miroir sans tache) ; techniquement, il était presque impossible d’obtenir une surface sans défaut : on les fabriquaient en soufflant une boule de verre en la tournant très rapidement, puis on l’étamait à froid en appliquant du plomb ou de l’étain sur sa partie concave ; on utilisera du mercure à partir du XVIème siècle. Ce miroir parfait est donc un miracle, un idéal presque impossible à atteindre, symbole de la pureté mariale dans l’iconographie médiévale. Signification donc très différente des « miroirs de sorcière » (d’autant que personne, vous le remarquez, ne se regarde dans ce miroir...) :
Ce thème du miroir sera encore utilisé au XVIème siècle par Q. Metsys :