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sous l’Ancien Régime, ni sous la Révolution ; il a refusé les normes sociales de ces deux sociétés. Conséquence : il a passé une grande partie de sa vie en prison, ses livres furent interdits et conspués, jusqu’au XX° siècle. Si Sade n’est pas subversif, qui l’est ? Chateaubriand peut-être ?...
C'est une bonne défense, vallès, et il y a beaucoup de points de votre analyse qui sont justes: son affirmation individualiste radicale, son refus de toutes les limites, conventions et devoirs qui empêchent l'assouvissement total des pulsions, sa totale absence de prise en compte de l'autre etc etc.
Son style est minimal, sans fioritures, coupant comme un rasoir, brutal comme un coup de poing (un coup de fouet devrais-je dire
, et il a l'art de trouver des formules d'autant plus fortes qu'elles sont extrêment concises et ramassées, et j'apprécie cela. Ma citation favorite quand j'étais jeune et en pleine crise d'adolescence était (je cite de mémoire, je n'ai pas réussi à la retrouver sur le net): "si le monde entier dit une chose, et moi une autre, c'est moi qui ai raison et le monde entier qui a tort..." Excusez du peu...
Ce que j'apprécie chez Sade c'est sa lucidité absolue, son dévoilement impitoyable de la prédation universelle qui est le fondement de la loi naturelle; il ne fait pas de quartier, pas d'illusions consolantes avec lui, il pulverise toutes les hypocrisies, toutes les rationalisations, toutes les précautions oratoires, et après lui il ne reste plus rien des croyances religieuses, principes moraux, liens sociaux et affectifs qui nous empêchent de voir la réalité dans toute son horrrible et nue vérité.
C'est un grand iconoclaste, un grand nettoyeur qui met à bas toutes les fictions qui ne tiennent debout que par le consensus social, donc il y a un (petit) quelque chose de sain et d'utile dans la philosophie qu'il développe, ça désencombre, ça allège, ça secoue tous les cocotiers.
Là où vous je ne vous suis plus, c'est quand vous posez un certain nombre d'affirmations contestables, provenant parfois d'une perception anachronique de certaines réalités sociales du XVIIIe siècle.
Ainsi, vous dites que Sade a passé une grande partie de sa vie en prison à cause de ses écrits; non: il a été mis en prison à cause de sa vie scandaleuse, et toujours sur la demande de sa famille, éffrayée par ses pratiques sexuelles criminelles et par la dilapidation extravagante de la fortune familiale.
Je rappelle par ailleurs que ces pratiques de sexualité hors mariage et non reproductive dont vous lui savez gré d'avoir fait l'éloge incluent l'enlèvement de petites filles, ensuite violentées et torturées de diverses façons, en particulier entaillées par tout le corps à coup de couteau.
Mais surtout qu'est ce que ça a de révolutionnaire d'être mis en prison par lettre de cachet sur la demande de ses parents? C'était ce qui arrivait typiquement à beaucoup de fils de familles nobles appartenant à l'espèce des brebis galeuses qui, par leurs conduite déréglée, risquaient d'attirer le déshonneur et la ruine sur leur famille. Ca n'en faisait pas pour autant des révolutionnaires.
D'une façon générale, le fait d'être mis en prison ne fait pas automatiquement de vous un rebelle, les escrocs, les politiciens corrompus, les trafiquants de drogue ne sont pas des rebelles, et en général il n'y a rien de plus conformiste, de plus conservateur--et de plus politiquement à droite--- que les truands.
Et en fait, Sade a essentiellement commencé à écrire après être entré en prison, pour se distraire et occuper son esprit, donc ses écrits ne sont pas à l'origine de ses séjours à la Bastille et autre geoles--où d'ailleurs les conditions de détention des gens riches étaient loin d'être pénibles: petits plats fins apportés par des traiteurs, bonnes bouteilles, appartements clairs et bien aérés, possibilité de décorer avec des meubles personnels; il suffisait d'avoir les moyens.
Ensuite vous considérez que faire l'éloge de l'onanisme, de la sodomie etc représente une subversion de l'ordre sexuel. Ca représente sans aucun doute une attaque majeure contre le mur d'hypocrisie et de silence derrière lequel étaient pratiquées certaines formes de sexualité, mais ces formes de sexualité, si elles étaient officiellement réprouvées par la religion et la société, étaient néanmoins assez courantes, au moins dans le milieu des riches débauchés et clients de la prostitution.
Quant à la sexualité hors mariage, elle était assez largement pratiquée dans les hautes classes, et bien d'autres auteurs à part Sade et Laclos s'en sont fait les peintres et même les avocats: par exemple dans "Point de lendemain", de Vivant Denon, les "Mémoires du chevalier de Faublas" de Louvet de Couvray, "Les égarements du coeur et de l'esprit", de Crébillon, et j'en passe. Le XVIIIe siècle a été celui du libertinage sexuel (qu'on ne doit cependant pas imaginer comme ayant concerné toutes les classes sociales, loin de là), et Sade n'a pas été le seul à écrire sur ce thème de la sexualité extra-conjugale.
Enfin, vous dites que le fait que Sade ait intéressé de grands écrivains, et les surréalistes, est la preuve qu'il était une "figure de liberté". En fait, il se pourrait que certains de ces écrivains aient lu les écrits de Sade uniquement ou en partie pour leur caractère pornographique (et aient prétendu hypocritement que c'était ses idées qui les intéressaient). Vous savez qu'à la fin de sa vie, Sade ruiné survivait grâce à la vente de ses textes pornographiques.
Et même si c'était pour ses idées, qu'est ce que vous entendez exactement par "figure de liberté? Flaubert, Baudelaire étaient socialement et politiquement des conservateurs qui avaient assez horreur du peuple. Les surréalistes (la plupart) étaient des petits bourgeois machos qui se voulaient révolutionnaires mais dont les communistes se défiaient comme de la peste, Breton "Déroulède du rêve" (Prévert je crois) pontifiait, excluait tous ceux qui n'adhéraient pas à ses diktats et stigmatisait les homosexuels.
La liberté qui les intéressait sans doute chez Sade, c'était uniquement la liberté individuelle, ce fantasme infantile d'omnipuissance et de complète irresponsabilité: se croire tout permis, faire tout ce qui vous plait sans se soucier des conséquences, plier les autres à sa volonté, les instrumentaliser et nier leur humanité, en bref être un tyran .
Encore une fois, je ne vois pas en quoi cette complète amoralité a quoi que ce soit de révolutionnaire ou de subversif car elle est depuis toujours la règle de conduite de la majorité des hommes de pouvoir. A ce compte là, et plus encore que Sade, Hitler et Staline, les serial killers et ces types qui "s'achètent une cave et fondent une famille" sont de grandes "figures de liberté".