Un Mark Twain réédité sans le mot «nègre»L’hebdomadaire spécialisé Publishers Weekly vient de révéler que l’éditeur américain NewSouth Books prévoyait de rééditer en février en un seul volume deux des oeuvres les plus connues de Mark Twain, Les Aventures de Tom Sawyer (1876) et Les Aventures de Huckleberry Finn (1884), en remplaçant dans cette dernière le mot «nigger» («nègre» dans les traductions françaises) par «slave» («esclave»).
Huckleberry Finn, qui raconte les aventures de l’ami de Tom Sawyer et de l’esclave en fuite Jim, est considéré comme un des grands classiques de la littérature américaine. «Pendant des décennies, le livre, rélégué dans des listes de lectures optionnelles ou purement et simplement banni, a disparu des programmes scolaires du pays, et est apparu de manière régulière sur les listes des livres les plus controversés, tout cela pour l’usage répété d’un seul mot particulièrement choquant, qui apparaît au total à 219 reprises: “nègre”», explique néanmoins Publishers Weekly. Effectivement, l’Association des bibliothèques américaines (ALA) a classé Huckleberry Finn quatorzième dans une liste des livres les plus souvent interdits ou contestés (dans les bibliothèques, les écoles, les médias...) depuis le début du XXIe siècle.
Initiateur de cette nouvelle version, l’universitaire Alan Gribben se défend de tout politiquement correct:
«Elle ne constitue pas un effort pour effacer la question de la couleur de peau de Tom Sawyer et Huckleberry Finn, car la race est un enjeu de ces livres. Elle concerne la façon dont vous exprimez celui-ci au XXIe siècle. [...] J’espère que les gens seront réceptifs à ce choix, mais je m’attends à ce que les puristes soient horrifiés.»
Un auteur critique envers le racisme
Un autre universitaire spécialiste de Twain, Thomas Wortham, a effectivement déploré auprès de Publishers Weekly que cette nouvelle version «n’incite pas les enfants à se demander: “Pourquoi un enfant comme Huck utilise-t-il un langage si répréhensible?”». Le quotidien britannique The Guardian rappelle que «Twain lui-même était un critique passionné du racisme aux Etats-Unis, et donnait de l’argent à plusieurs organisations de défense des droits civiques».
L’universitaire Sarah Churchwell, qui explique aujourd’hui que cette nouvelle édition la plonge dans une colère «enflammée», critiquait il y a quelques mois dans les mêmes colonnes, au moment de la célébration du centenaire de la mort de l’écrivain, l’attention excessive accordée au mot «nigger»:
«Beaucoup de lecteurs ne savent pas faire la distinction entre un livre raciste et un livre avec des personnages racistes; le fait que la sympathie de l’auteur va clairement vers Huck et Jim, et contre les esclavagistes (qui sont uniquement des adultes blancs), est occulté, pour eux, par l’utilisation ordinaire du mot “nègre” —même si c’était pourtant le seul que des petits campagnards illettrés des années 1840 auraient utilisé pour décrire un esclave.»
Suzanne La Rosa, la cofondatrice de NewSouth Books (société basée à Montgomery, dans l’Alabama), a expliqué au New York Times qu’elle a été «assaillie» d’e-mails et de coups de fil négatifs depuis l’annonce de cette réédition, mais tente néanmoins de rester optimiste:
«Si elle provoque des discussions fructueuses sur la façon dont le vocabulaire affecte l’enseignement et sur les différents types de censure, cette publication probablement compliquée se révélera une bonne chose.»
http://www.slate.fr/lien/32353/twain-hu ... me-censure A chacun son Tintin au Congo ou bien son Voltaire. Ceci est d'un tragique, imaginons une Chanson de Rolland caviardée.