Alain.g a écrit :
Il y a méprise, Montesquieu n' a pas traduit de textes, mais les a inventés car s'il avait critiqué le régime de son époque, il aurait été censuré; alors il a trouvé, comme Voltaire ou La Fontaine, le subterfuge d'imaginer l'action dans un pays lointain, ce qui permettait de critiquer la France en faisant semblant d'évoquer les moeurs de la Perse. Il ne parle évidemment pas le perse, c'est un anglophile ayant fait des études de grec et de latin
Bien entendu, Montesquieu ne parlait pas le persan et restait un Européen avant tout. Son anglophilie est primordiale, vous avez tout à fait raison de le rappeler, Alain.g.
En revanche je ne suis pas du tout d'accord avec l'idée qui pose que notre auteur aurait fait une critique "dissimulée" du régime de son époque "pour éviter la censure". Je sais, c'est un argument que l'on entend de toutes parts, dans la bouche de nombreux professeurs de français... et dans celle de plus en plus d'élèves, hélas !
Pensez-vous sincèrement que les censeurs de l'époque, qui comptaient souvent parmi les hommes de lettre les plus brillants d'Europe, étaient incapables de comprendre ce que nous, puissants esprits, du haut de notre XXIème siècle (avec donc près de 400 ans d'écart...), percevons du premier coup d'oeil ? Je trouve que cet argument manque singulièrement d'humilité. C'est par ailleurs méconnaître - et je suis surpris de lire cela de votre part, Alain.g, quand je sais combien vous connaissez cette période et sa complexité - les positions (qui peuvent nous apparaître contradictoires, peut-être, mais est-ce une raison pour les contredire ?) de l'Ancien Régime vis-à-vis des arts libéraux.
"Eviter la censure" me fait toujours tiquer, vous l'aurez compris, je crois
Le choix de la Perse n'est cependant pas anodin, même si Montesquieu ne parlait pas le persan : il témoigne d'un intérêt qui ne fait qu'aller grandissant au cours du XVIIIème siècle pour les lointaines contrées. C'est un laboratoire formidable pour essayer d'exercer un regard neuf. Le choix de la correspondance imaginaire (Alain.g a parfaitement rappelé que ces lettres se situaient dans le cadre d'une invention) d'un persan est à rapprocher d'une pratique littéraire attestée depuis l'Antiquité : Tacite, déjà, parlait de la Germanie sans jamais y avoir, a priori, mis les pieds. Diderot fera exactement la même chose dans son
Supplément au Voyage de Bougainville, d'ailleurs.
En définitive, il faut se rappeler que les "Lumières" des philosophes européens entendent s'opposer à une conception qu'ils ne rejettent certes pas mais qu'ils cherchent à corriger. Avant d'illuminer le reste du monde (c'est l'idée d'un La Pérouse), l'Europe doit s'éclairer elle-même, mais ce n'est pas en imitant ou en empruntant des traits de culture (par ailleurs souvent
imaginés) propres à d'autres contrées ; il s'agit en réalité de présenter aux élites européennes un miroir déformant de leur réalité (ce que Tacite faisait dans sa
Germanie), miroir qui met en relief leurs défauts. Après s'être corrigée, l'Europe pourra, dans l'optique des Lumières, éclairer le monde. Ainsi, dans les
Lettres Persanes, Montesquieu ne cherche pas tant à "éviter une censure" qui serait atteinte de débilité profonde (si eux ne pouvaient comprendre la "critique", comment les autres lettrés l'auraient-ils comprise ?) que de tendre un miroir qui déforme son regard sur les réalités sociales de l'époque afin de corriger ses défauts.
Pour ma part, si certains passages peuvent être effectivement parfois interprétés comme une critique à l'encontre d'un régime (à mon avis, cette dimension est d'ailleurs totalement absente des
Fables de La Fontaine dont vous parliez, Alain.g), il ne s'agit que de cas minoritaires et particulièrement complexes à analyser.