Sans vouloir polémiquer, il faut tout de même rappeler que Luther était tout sauf une douce colombe éprise d'ouverture et tournée vers le dialogue.
Un rappel donné par ... Le nouvel Obs
" Le problème se niche peut-être plutôt dans cette capacité de violence et de colère du réformateur, dans sa véhémente affirmation d’une parole persuadée de détenir la vérité et de devoir abolir l’erreur. Concernant les Juifs, cela conduit Luther à remettre en cause les équilibres anciens trouvés par l’Église romaine et, plus généralement, à attaquer la tradition de tolérance (avec toutes les ambiguïtés de ce mot) de l’Occident, qui, depuis plus de mille ans, puisait à la fois au droit romain, à la politique des papes et aux principaux textes chrétiens.
Pour autant, peut-on inscrire Luther dans la succession des penseurs qui, à force d’universalisme «facile», ont fini par fabriquer le «problème juif» et ouvert la voie à la «solution finale» ? Circonstance aggravante pour le réformateur, c’est dans les années 1930-1940 que ses textes antisémites ont été le plus souvent cités – en un sens favorable, puisqu’il s’agit de récupérations par les nazis. L’une des plus célèbres récupérations est celle de Julius Streicher, directeur de «Der Stürmer» et vieux compagnon de Hitler, lorsqu’il déclara au procès de Nuremberg (1946) :
en fin de compte, [Luther] serait aujourd’hui à [sa] place au banc des accusés si ["Des Juifs et de leurs mensonges"] avait été versé au dossier du procès.
Autre indice frappant : la carte du vote nazi et celle du protestantisme au début des années 1930 se recoupent parfaitement, et, pourrait-on dire, terriblement. Pour autant, il paraît injuste de voir là de véritables effets de l’œuvre de Luther. Dans la tradition antisémite de l’Allemagne, aujourd’hui bien évidemment interrompue, Luther joue un rôle, sans doute, mais il est difficile d’en faire la pesée.
L’historien Marc Bloch prononça une mise en garde fameuse contre l’«idole des origines», ce commencement «qui suffit à expliquer». Dans une généalogie, les crimes des générations postérieures ne sont pas imputables aux ancêtres. Bien responsable de ce qu’il a écrit, et qui l’accable, Luther ne l’est pas de la suite de l’histoire, surtout si cinq siècles le séparent de cette «suite» dramatique.
Recueilli par Eric Aeschimann
Des Juifs et de leurs mensonges, par Martin Luther,
édition critique, traduit de l’allemand par Johannes Honigmann"
http://bibliobs.nouvelobs.com/idees/201 ... emite.html