Bergame a écrit :
Bon, puisque vous en arrivez à dire que je n'avance aucune idée, Phocas, je crois qu'il est temps de conclure. Lire cela à propos de ce topic précisément, je trouve que c'est quand même un peu fort de café, revoyez-en la chronologie.
Vous en venez aux idées et je trouve çà intéressant, si vous souhaitez arrêter-là très bien ; je réponds tout de même à votre message, libre à vous d’en faire ce que vous voulez. Et pour vous prouvez ma bonne volonté, je ne réponds même pas au « fort en café ».
Bergame a écrit :
j'ai aussi tenté de montrer comment et pourquoi Furet, àmha toujours, était critiquable.
Mais vous n’avez pas à le montrer, il est critiquable sur bien des aspects ; ce que j’aimerai c’est qu’il soit plus critiqué en tant qu’historien et non pour ses idées ou son parcours.
Bergame a écrit :
Oh bien sûr, il est critiquable pour être "de droite" si on est "de gauche", la belle affaire ! Et il est défendable pour être "de droite" quand on est "de droite", merveilleux.
Je ne savais pas qu’il était de droite, mais passons sur ce point qui n’a rien à voir avec l’histoire.
Bergame a écrit :
Reprendre les modèles interprétatifs de Tocqueville n'est pas sans conséquence, cela l'incite par exemple à s'intéresser plus particulièrement à la signification des évènements qu'aux faits eux-mêmes. Mais cela, Furet le dit très bien et l'assume très bien, c'est précisément ainsi qu'il veut écrire l'histoire de la Révolution.
C’est exactement ce que je reproche à votre article : critiquer Furet sur ce point alors qu’il a expliqué les atouts et inconvénients de sa méthode. Il rompt avec l’histoire sociale marxiste en s’intéressant à l’idée de Révolution. Cette école a été plus que bénéfique sur le plan de la compréhension sociale de la Révolution, mais Furet veut comprendre l’idée en elle-même, pour cela il remonte en amont et dans cette démarche rencontre les écrits de Tocqueville. Certes sa démarche a de quoi désabusé ses lecteurs. Si on prend son
Penser la Révolution, quel est le rapport entre un article au vitriol sur l’historiographie marxiste, un sur Tocqueville et le dernier sur Cochin ? L’idée de Révolution qu’il cherche à décortiquer dans tous ses écrits, on le voit très bien avec
la gauche et la Révolution au XIXème. Il n’est nullement un idéologue mais un historien des idées comme on en rencontre dans toutes les périodes. Et comme vous le dîtes, cette démarche n’est pas la seule et comporte bien des limites. L’article l’attaque sur le fait qu’il oublie le social et les femmes, là je trouve franchement que c’est du n’importe quoi car Furet en tant qu’historien ne prétend pas à l’exhaustivité et n’y voit d’ailleurs qu’un leurre. Il l’explique parfaitement dans
L’Atelier de l’Histoire :
François Furet a écrit :
Il faut plutôt accepter de réduire les ambitions déraisonnables de l’histoire totale, pour utiliser au maximum, dans notre connaissance du passé, les découvertes sectorielles et les méthodes de quelques analyses, et les hypothèses qui naissent de ce grand remue-ménage contemporain qu’on appelle les sciences de l’homme. Le prix à payer pour cette reconversion, c’est l’éclatement de l'histoire, la renonciation de l'histoire à un magistère social. Mais le gain de connaissance mérite peut-être cette abdication… Le Passé d’une illusion, Flammarion, 1982, P89
Cette position est désormais révolue mais nous parlons 26 ans plus tard. L’article en expliquant qu’il oublie les femmes et le social néglige totalement la méthode revendiquée par Furet. C’est seulement depuis quelques années qu’on retrouve des historiens passant d’une branche à l’autre de l’histoire, on le voit avec Jean-Clément Martin, capable d’écrire sur la violence dans la Révolution, les femmes, la Vendée…
Pour Lefebvre vous avez en grande partie raison, mais encore une fois il souligne les avancées permises par ses travaux, en fait dans le passage que vous citez, Furet lance une pique sur les opinions de Lefebvre mais son désaccord est avant tout historique. Lefebvre parlait de « capitalisme » pour l’aristocratie foncière de la fin XVIIIème, ce que Furet lui reproche c’est d’étudier dans un vaste ensemble le fait que les paysans se soient à la fois soulevés contre la noblesse en 1789 et contre la République en 1793, or Lefebvre ne fournit pas vraiment les causes du soulèvement contre ces deux entités radicalement différentes, il ne sépare pas le phénomène. C’est vraiment le principal reproche qui est ici fait à ce grand historien.
Bergame a écrit :
Et Furet dit très bien, très clairement, qu'il écrit contre la lecture marxisante de la Révolution, on ne peut quand même pas faire l'impasse sur ça.
En ce sens, la critique qui est faite par exemple, par le texte que j'ai cité sur la lecture politisée de l'histoire par Furet, n'est absolument pas illégitime. Au contraire, on peut critiquer Furet sur le fait de proposer une lecture politique particulière de l'histoire, puisque c'est ce qu'il a défini lui-même comme étant son projet.
Il écrit contre l’école marxiste, non pas parce qu’elle est marxiste, mais parce qu’elle n’explique pas l’idée de Révolution. C’est une lecture politique de la Révolution qu’il propose et non une lecture politisée. Les méthodes historiques de l’école marxiste ne lui convenaient plus. Je suis entièrement d’accord pour la lecture politique mais pas pour la lecture politisée. C’est une opposition plus historique que politique. Plutôt que de s’intéresser à son profil politique, il vaut mieux s’attarder sur ce qu’il pense de lé Révolution:
François Furet a écrit :
Au lieu de fixer le temps, la Révolution française l’accélère et le morcelle. C’est qu’elle ne parvient jamais à créer d’institutions. Elle est un principe et une politique, une idée de souveraineté autour de laquelle s’engendrent des conflits sans règles… La Révolution en débat, Folio, 1999, P76
La Révolution en tant que phénomène politique reste pour lui une énigme qu’il faut décortiquer, c’est pour cela qu’il la compare aux révolutions anglaise et américaine, c’est pour cela qu’il recourt à des auteurs qui n’ont strictement rien à voir : Quinet, Burke, Tocqueville, Cochin,…, c’est pour cela qu’il adopte une chronologie large, car l’idée de Révolution dépasse l’évènement aussi bien en amont qu’en aval.
François Furet a écrit :
l’extraordinaire pouvoir de contrainte de la Révolution française sur la politique française du XIXème siècle, id, P79
Bergame a écrit :
mais il assume aussi que sa lecture de l'histoire n'est aucunement ni la seule possible ni la seule vraie.
Je ne peux que vous approuver.
Bergame a écrit :
Le rôle assigné à l'idéologie, cette fois en tant que principe explicatif aux évènements historiques. Et c'est -parmi d'autres choses beaucoup plus anecdotiques, il est vrai- la critique que j'ai retrouvée dans le texte cité : Furet explique tout, en dernier ressort, par l'idéologie. C'est clairement ce qu'il a retenu de Tocqueville, et cela aussi, il le dit explicitement.
Là, je ne peux pas approuver. Il n’explique pas tout par l’idéologie, il cherche à comprendre l’idée. Il ne cherche pas à comprendre les soulèvements paysans en tant que tels, le rôle des femmes,… mais il veut savoir ce qu’est la Révolution, comment a-t-elle été pensée ? D’où vient cette idée ? Où va-t-elle ? Comme nous l’avons dit tout les deux : il ne prétend pas tout expliquer, il se concentre sur l’idée de Révolution et la suit pour mieux la comprendre ; la lecture est peut-être exclusivement politique mais elle n’est pas celle d’un idéologue. Je vois bien le reproche sous-jacent que fait l’article à Furet : il lit la Révolution comme un libéral. Non, son approche est celle d’un historien s’appuyant sur des sources qui comme toutes les sources sont critiquables. Il sait que sa démarche est plus fragile que l’histoire sérielle et l’assume, mais c’est une démarche fondamentalement historique avec ses forces et ses inconvénients.
Tous les travaux de Furet vont dans ce sens. Prenons le dictionnaire critique avec ses cinq entrées, le but est de comprendre cette idée de Révolution. Bien sûr, il comporte de très nombreuses lacunes par exemple dans le chapitre "acteurs" on ne trouve pas une entrée "femmes" ce qui bien sûr est une faiblesse et montre les lacunes en termes sociaux de cette approche mais nous sommes tous les deux du même avis : Furet l’assume parfaitement. Mais prenons son cinquième chapitre, on y retrouve tous ceux qui ont pensé la Révolution de Tocqueville à Jaurès, d’Aulard à Mathiez en passant par Michelet et là nous avons une incroyable avancée. L’histoire de Furet n’a certes pas les mêmes atouts que l’historiographie marxiste, elle apporte une nouvelle lecture : une histoire politique centrée sur l’idée de Révolution, cette démarche a ses atouts et ses faiblesses mais elle est bien une démarche d’historien.
Bergame a écrit :
Mais enfin, il y a maintenant presque 20 ans (20 ans !) que le Mur est tombé et on a changé d'époque -évidemment, lorsqu'on lit certaines réactions sur ce forum, on pourrait presque en douter, mais je continue de penser que ce sont avant tout des réflexes acquis de vieille garde.
Il fallait que vous balanciez une pique, je ne me sens pas visé et je ne sais pas à qui cela s’adresse mais c’est vraiment dommage de terminer votre intervention de la sorte.
Que retenir de Furet ? Je crois d’abord que je retiendrai un auteur extraordinairement compliqué à lire. On ne lit pas du Furet en diagonale, il faut le lire et le relire avant de bien le comprendre. C’est un homme du XXème siècle avec ses doutes et ses idées, mais il faut bien distinguer deux profils chez Furet : le "libéral mélancolique" (Pierre Hassner) et non le "libéral bon teint" comme vous le qualifiez, qui a regardé son siècle avec un regard particulier, puis l’historien de la Révolution et non l’idéologue de la Révolution. On peut critiquer son travail d’historien mais je crois que pour cela il faut aller lire ses travaux en profondeur. Or cet article montre de grosses lacunes dans la lecture de Furet, disons même que ses auteurs n’ont pas compris grand-chose à sa démarche historique.
Il est vrai que le social reste la principale lacune de son approche de la Révolution, mais nous disons cela dans le cadre historiographique actuel en oubliant le contexte du moment où il a commencé à publier ses travaux. Les auteurs de l’article fustigent Furet comme participant à toutes les rencontres et projets sur la Révolution en 1991, mais ils oublient de souligner l’accueil qu’il a reçu dans les années 60-70, lui l'ancien communiste osant parler de Révolution alors qu’il n’avait même pas écrit de thèse… Mazauric lui-même regrette ces attaques.
Voilà Bergame, faîtes ce que vous voulez de cette intervention. Concluez, reprenez, mais restez-en aux idées et évitez les piques et préjugés à mon encontre. Essayons d'en rester au débat, sinon arrêtons-là.