Kath+, je ne sais pas si vais répondre à votre question, mais je vais évoquer mon expérience perso. (Vous pouvez me contacter par MP, si nécessaire.)
Pour ce qui vous intéresse, je dirais que l'école était transparente aux parents d'élèves, ce n'était pas un milieu fermé, et à l'inverse les parents d'élèves n'avaient pas encore appris à venir faire la leçon aux enseignants.
Pour ma part j'ai été normalien de 78 à 80. (En réalité, Alain venait juste de passer de mode.)
L'enseignement y était encore assez concret, moins que chez les filles, mais enfin on nous donnait vraiment des billes sur ce qu'il fallait faire faire en classe à nos élèves. Et pour plus de véracité dans l'exercice, souvent nous le faisions nous-mêmes. (n'allez pas en conclure que c'était deux années de "glandage", on était plutôt chargés.)
Malgré tout il y avait à peu près 30% de théorie pure, en particulier des cours qui ne s'appelaient pas encore "sciences de l'éducation", mais plus simplement psychopédagogie.
(Pour avoir fréquenté dans les années 2000 un groupe d'élèves "professeurs des écoles" en IUFM, j'ai constaté que la proportion pratique/théorie s'était inversée jusqu'au cauchemar, qu'ils bossaient comme des malades sur les matières théoriques, ce dont ils se plaignaient amèrement, et n'étaient guère préparés concrètement à leur futur métier, au point qu'ils s'en inquiétaient, malgré les stages.)
Avec notre prof de psychopéda, on ne risquait pas d'être à la traîne sur le plan théorique, sachant qu'elle était communiste, donc à l'avant-garde. (j'exagère, mais quand elle a attaqué le matérialisme dialectique, j'ai fermé mon cahier et posé mon crayon, en vertu de ce principe un peu désuet qu'on appelle la laïcité. Elle a eu le bon goût de ne pas en faire un clash.)
Qu'elle nous parle de Bourdieu-Passeron ("les Héritiers") ne me semblait pas sortir du cadre.
Pour ce qui concerne plus spécifiquement la vision de ce qu'est l'enfant, nous avons eu droit dans tous les sens à
Jean Piaget, psychologue du développement de l'enfant, dont la vision m'a toujours semblé sensée et utile. C'était vraiment le gros morceau, Dieu sait qu'on en a bouffé, sachant qu'il n'était pas toujours d'un accès immédiat, et qu'une explication de texte ne faisait pas de mal. (on ne risquait pas de sortir de l'EN en ignorant qu'un jeune enfant portait sur le monde un regard syncrétique - exemples à l'appui, Piaget avait beaucoup expérimenté avec des enfants de tous âges - ou encore que l'accès à l'abstraction ne pouvait se faire qu'à travers des exercices pratiques - ce qui me parait solide, et que mon expérience future n'a pas démenti. Le côté rabâché de certains exemples, et l'obligation de rendre des résumés écrits de tel ou tel de ses bouquins, finissait par lasser. C'est bon merci, on a eu notre dose, en avaler plus serait de la gourmandise.)
D'autres psychologues de l'enfance, dont j'ai oublié les noms. Un en particulier - à la fois très connu et bisontin - dont j'ai également oublié le nom, qui avait beaucoup travaillé en maternelle sur la communication non verbale entre les enfants, et même de l'enfant à l'adulte. (Avec qui j'ai eu l'occasion de discuter, il continuait ce travail dans la classe d'une amie plus âgée, où il avait installé une caméra et un point d'observation. Ah oui : nous avions, élèves masculins, un stage en maternelle, tant pour notre élévation que parce que les postes en maternelle étaient depuis peu ouverts aux enseignants masculins, grosse révolution.)
Et quelques heures consacrées à la psychanalyse et au développement de l'enfant vu par Freud. (sans implications éducatives pratiques, dans mon souvenir, mais simplement à titre d'information.)
Je signale au passage l'excellence des cours d'éducation physique, avec un prof qui avait une vision passionnante de l'enfant en activité. Du style :"ne les emm...ez pas avec la répétition et la perfection d'un geste technique, les enfants s'en tapent ! Ce qu'ils veulent, c'est ga-gner ! - Tenez, si Björn Borg était tombé sur un prof de tennis conventionnel, jamais il n'aurait trouvé lui-même ce revers à deux mains qui lui convient si bien, innovation qui lui a déjà valu x succès en grand shelem." - ça se défendait, comme idée. D'où des mises en situation où même le plus pataud de la classe était assuré de marquer pour son équipe. Par exemple, 9 enfants de CE2 sur 10 étant bien incapables de marquer un panier, entourer un terrain de basket avec des cartons ouverts, 1 point à celui qui met le ballon dans un carton. Comme on le pratiquait nous-mêmes en étudiant des variantes et en regardant comment optimiser le truc, les cours d'EPS n'étaient pas tristes. Beaucoup d'autres choses intéressantes - sur la natation, par exemple - assorties de ce conseil "politique" que j'ai toujours trouvé justifié : "Ne vous laissez pas déposséder de votre rôle éducatif par le moniteur de sport, le moniteur de natation, le moniteur de musique, etc... C'est peut-être la mode et le "progrès", mais c'est vous qui connaissez vos élèves, et ce que vous perdrez sur le plan technique - et ça reste à prouver - vous le compenserez largement par votre pertinence psychologique.
Enfin il faut expliquer que tous ces cours sur Piaget et consorts n'auraient pas eu de justification pratique (sauf dans l'enseignement du calcul, évidemment) si ces années-là n'avaient été marquées par l'enseignement de l'éveil. (jusqu'en CE2) Perso, ça me paraissait sensé, et je regrette que depuis on ait tout jeté.
L'idée de base est qu'il est inutile de parler de Charlemagne à un enfant de six ans qui se représente mal si le père de son grand-père a connu les rois ou hommes préhistoriques ? (je sais que je parle à des historiens incrédules, mais posez quelques questions à un enfant en grande section de maternelle, vous allez être édifiés.) Donc on travaillait en histoire sur les souvenirs et les récits familiaux, ce qui permettait en gros - en 1978 - de situer la SGM et d'en parler. Evidemment, dans l'approche du temps, on apprenait aussi à lire l'heure et le calendrier, ce qui va sans dire mais ne fait pas de mal. On commençait à y ajouter des repères chronologiques plus lointains, ne serait-ce que pour savoir ce que signifie l'expression av J.C.
En géographie, on partait du plan de la classe, puis du quartier, pour aboutir au plan de ville (en ville !) et à la lecture de carte. Il n'était pas interdit d'utiliser des cartes routières dans des "situations-problèmes" mathématiques, ces exercices ouverts et concrets qu'on faisait plutôt en groupe. Du style : calculer le coût d'un voyage en voiture pour partir en vacances. (Distances, carburant, péages... Et oui, la calculette était autorisée dans ce cas. Ce qui ne simplifie le pb qu'en apparence.) J'ai eu la chance de faire bosser sur la carte IGN des CE2-CM1 à qui j'avais fait faire une mini course d'orientation - hyper bordée à l'avance question sécurité. 14 élèves dans une école à 200 m des premiers sapins, un rêve d'instit.
Soyons clair, l'introduction de l'éveil, évidente et amusante pour nous - et pour ma part, il aurait fallu me passer sur le corps pour que j'en oublie de leur donner des notions d'histoire et de chronologie - a mis un souk pénible chez les instits plus anciens. Les plus sensés ont adopté à l'aveuglette les quelques exemples d'exercices donnés par les inspecteurs, en saupoudrant le tout avec l'apprentissage classique de l'histoire, mais allégé. ça c'était le cas favorable. Puis les inspecteurs ont rappelé qu'il ne fallait pas oublier les repères chronologiques et le récit classique de l'histoire (peut-être déjà avec la critique du roman national et la consigne de partir de documents concrets, photos d'objets ou de vestiges ?) et là, ça a été un foutoir dans lequel chacun faisait un peu comme il l'entendait, et où on a vu de tout. J'avais déjà divergé vers d'autres études, et un autre métier, mais j'ai failli péter un câble le jour où mon garçon, en CE1, m'a demandé de lui faire réciter "les trois fils de Clovis" ! (Non mais allo, Daumier, quoi !)
Bref, le bordel ambiant a été tel que l'enseignement de l'éveil a été supprimé - je ne saurais dire, pour ce qui concerne les IO, au profit de quelle pratique (ésotérique ?) de l'enseignement de l'histoire - ce que je trouve dommage, mais la loi du balancier finira bien par en réintroduire une certaine dose. (Les enfants de 5 ans sont persuadés que les poilus avaient des smartphones, ... les hommes préhistoriques gambadent au milieu des dinosaures...
Pas de panique ! Une autre chose qu'on m'a apprise : ils ont le temps de grandir, de vivre leur enfance, et la compétition vitale viendra bien assez tôt.)
Une dernière chose : j'ai vu passer à la télé ces dernières années une critique surréaliste de l'enseignement de la lecture par la méthode globale, qui serait généralisée et fabriquerait actuellement des millions d'illettrés... J'ignore ce qu'il en est. Lorsque j'étais à l'EN, on nous briefait sur les méthodes de lecture, sans insister spécialement sur l'une d'elle, à chacun de faire son choix, mais en signalant que l'enseignement de la méthode globale n'était pas un exercice facile et demandait à être mené avec beaucoup de rigueur.
(De même il n'y avait pas d'opposition de principe à la pratique de la méthode Freinet - qui n'était que rapidement décrite - mais assortie du conseil de prendre d'abord un peu d'expérience du métier, et de ne pas le faire seul, sans conseils ou soutien disponible.)
j'ignore si ces pages vécues ne sont pas HS, considérez cela comme du "renseignement d'ambiance". (Ce terme vient de l'espionnage.)