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 Sujet du message : Le déboulonnage des statues
Message Publié : 12 Juin 2020 23:21 
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Polybe
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Bonjour,

Je sais que c'est un sujet d'actualité, mais je pense que les ramifications idéologiques qui sous-tendent ces entreprises sont intéressantes à étudier.
Je comprends parfaitement les revendications des militants, mais j'éprouve un certain malaise face à la destruction de certaines, quand bien même elles étaient parfaitement anecdotiques (je n'avais jamais entendu parler du négociant de Bristol avant ces événements).

Toujours est-il que ces actes sont porteurs de beaucoup d'interrogations. Est-on face à une véritable lutte des mémoires, ou à un phénomène tout à fait légitime visant à rééquilibrer le discours national ?


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Message Publié : 12 Juin 2020 23:49 
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Ce soir, j'ai bien aimé une intervention de l'historienne et philosophe Mona Ozouf, ce soir à C à vous, elle rappelait que si on ne veut garder dans nos rues que les noms des personnes les plus vertueuses, il y a de grandes chances que nos rues n'aient plus de nom, mais des numéros. Et nos places seraient vides, car peu de statues auraient le droit d'y rester.

Ensuite, je pense que certains de ces actes dénotent une formidable méconnaissance des réalités des époques passées. J'ai été choqué par la destructions de statues de Victor Schoelcher par des activistes qui lui reprochent d'avoir indemnisé les propriétaires d'esclaves lorsqu'il a fait voter la loi d'abolition. Ce que semblaient ignorer ces activistes, c'est que Schoelcher avait été réduit à cette extrémité pour obtenir que sa loi fut votée. Sans indemnisation, il n'aurait pas obtenu les suffrages nécessaires. Les esclaves auraient été affranchis plus tardivement, peut-être 2 ou 3 décennies plus tard. Alors, effectivement, les riches propriétaires ont reçu de l'argent de l’État en compensation de la perte du capital que représentaient les esclaves. Ces activistes pensent que c'est là l'origine de la richesse des "békés". Mais, si ceux-ci possédaient des esclaves, c'est parce qu'ils possédaient des plantations, donc des terres agricoles exploitables. Bref, ils étaient déjà riches avant cela.

De plus, on s'attaque aux symboles... Et décidément, dans C à vous, hier soir l'historien Pascal Blanchard et l'éditorialiste Eric Naulleau étaient d'accord sur un point : abattre des symboles ne change pas grand chose. C'est les mentalités et les situations qu'il faut changer. On peut retirer toutes les statues de Schoelcher, de Colbert, de Colomb, de ... Si on ne fait que cela, la situation restera identique et les gens qui se révoltent auront toujours autant de raisons de se révolter.

Pour Colbert, on s'arrête au Code Noir. Effectivement, il l'a promulgué en tant que ministre de Louis XIV, sauf qu'avant le Code Noir, il n'y avait rien. Le propriétaire d'un esclave pouvait en disposer selon son bon vouloir comme d'une chaise ou d'une commode, et le détruire comme on peut jeter de vieux meubles au feu pour faire place nette. Le code noir est quelque part l'une des premières marche qui montre que l'esclave n'est pas un objet meuble comme les autres. On ne le considère pas encore comme un sujet plein et entier, mais il a un statut intermédiaire. Le code noir s'est l'Etat qui dit aux maîtres qu'ils doivent respecter des lois aux sujets de leurs esclaves. Quand on le lit "à froid", il fait froid dans le dos, mais c'est un petit progrès. Il en faudra beaucoup d'autres, et la marche pour l'éradication de l’esclavage n'est pas finie, car il y a encore des esclaves. Et la marche pour la reconnaissance de toutes les minorités n'est pas encore terminée. Mais, ce n'est pas en s'attaquant aux symboles qu'on avancera. Et surtout pas en cherchant à effacer la mémoire historique des évènements.

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Une théorie n'est scientifique que si elle est réfutable.
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Message Publié : 13 Juin 2020 0:26 
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Jean Froissart
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je suppose que ces vandales iconoclastes vénérent une figure comme Toussaint Louverture, enfin si ils connaissent son nom, qu'il faudrait pourtant déboulonner ou débaptiser des rues ou d'établissements à son nom car propriétaire d'esclave, et qui remplace l'esclavage par un travail forcé

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"A moi Auvergne"


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Message Publié : 13 Juin 2020 3:43 
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Les mémoires d'Ange Pitou, qui fut déporté en Guyane par le Directoire, nous apprennent que l'esclavage existait dans cette contrée, mais qu'il n'était pas l'apanage des Blancs, il y avait une frange de Noirs libres qui possédait aussi des esclaves. L'Histoire est toujours plus nuancée que binaire. Mais pour cela il faut l'étudier de façon dépassionnée et sans a priori.

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Message Publié : 13 Juin 2020 7:55 
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Salluste
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L'acte de violence qu'est cette destruction me révulse comme tout acte de violence.

Que cet homme ne fut pas un modèle de vertu, peut-être, je ne sais pas, toujours est-il qu'il fait partie intégrante de l'histoire de la ville de Bristol, tel que je l'ai compris. Et dans ce passé de Bristol, il y a une part liée au commerce esclavagiste. A une certaine époque, cet homme fut honoré par sa ville. La perception de l'histoire évoluant sans cesse, il eut été intelligent et pédagogique de profiter de cette statue pour évoquer ce passé esclavagiste à l'aide par exemple d'une plaque expliquant en quelques lignes les zones d'ombre et de lumière de la vie de ce négociant, ce texte, rédigé par des "historiens reconnus".

D'après ce que j'ai lu, cette statue faisait polémique depuis déjà quelques années et une pétition demandant son déboulonnement avait recueillie 10000 signatures. La municipalité de Bristol aurait sans doute été inspirée de réaliser une telle plaque.

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La classe des sots politiques est, de toutes les classes de sots, la plus sotte (Alexandre Erdan).


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Message Publié : 13 Juin 2020 8:12 
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J'avais lu quelque part, il y a assez longtemps de cela, que Voltaire lui-même aurait eu des parts dans un navire nantais s'adonnant au commerce triangulaire (expression apprise en cours d'Histoire). Si les déboulonneurs l'apprennent, sa statue a du souci à se faire et il faudra peut-être le retirer des programmes et des manuels scolaires...


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Message Publié : 13 Juin 2020 9:33 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

Inscription : 13 Jan 2013 13:11
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Juste pour revenir aux planteurs propriétaires d'esclaves il faut mentionner aussi que beaucoup étaient fortement endettés, il me semble que seule une minorité a pu vraiment accéder à la fortune et au pouvoir. Pour le reste le faste était surtout apparent. Il n'y pas de quoi minimiser la dure réalité de l'esclavage mais cela relativise un peu l'image du gros colon et des ancêtres des békés uniquement enrichis sur le dos des esclaves.

Le fait que les gladiateurs étaient esclaves et que beaucoup n'ai pas eu pas le choix de se produire ne semble pas déranger grand monde (il est parfois fait mention de prisonniers de guerre "livrés" à la gladiature). Entre mener une existence de labeur enchaîné ou une vie courte mais épique on n'hésite peu, surtout pour un guerrier fier. Mais tant qu'à faire on préférerait être libre et combattre pour qui on veut... Doit t'on pour autant interdire la rediffusion de Gladiator et Cie?
Différence de mentalité? Oui exact, tout comme les statues récemment déboulonnées...
C'est une simple fascination pourrait t'on dire? Alors que dire des épouvantables "damnatio at bestia"(la condamnation aux bêtes) Doit on en venir à détruire le Colisée...?

Citer :
Toujours est-il que ces actes sont porteurs de beaucoup d'interrogations. Est-on face à une véritable lutte des mémoires, ou à un phénomène tout à fait légitime visant à rééquilibrer le discours national ?
Si c'est une manière rééquilibrer le discours national alors une bonne partie de nos monuments récents seront détruit dans quelques générations par nos descendant nous reprochant de ne pas avoir anticipé leur propre mentalité. C'est peut être cela l’obsolescence programmée. :mrgreen:

Le problème c'est que les gens se livrant à ce genre d'acte connaissent mal l'histoire. Pour les déboulonnage de statues de Staline par exemple il y a eu le travail de certains historiens sur la réalité des crimes commis, ici c'est la démagogie qui dicte le discours.


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Message Publié : 13 Juin 2020 10:12 
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Marc Bloch
Marc Bloch

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Je voudrais apporter une mise en perspective historique à ce débat.

Il me semblait que l'intérêt porte au passé était plutôt l'apanage des milieux conservateurs voire réactionnaires. Les progressistes préférant plutôt voir l'avenir. En classe, j'avais appris un slogan : "il vaut mieux avoir des ailes que des racines". Depuis quelques jours on découvre ainsi que des gens plutôt progressistes et égalitaristes se préoccupent énormément de ce qui s'est passé il y a 15o, 200 ou 300 ans.

De façon un peu analogue, voici quelques années que les milieux conservateurs ou réactionnaires défendent ardemment la liberté d'expression alors que les progressistes expliquent que la puissance publique serait légitime à rectifier les "fausses" nouvelles.

Ce renversement des points de vue par rapport aux années 1960 et antérieures est frappant.


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Message Publié : 13 Juin 2020 10:21 
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Je ne suis pas d'accord avec cette affirmation : les vandales iconoclastes de notre temps ne se préoccupent pas le moins du monde de ce qu'il s'est passé il y a 150, 200 ou 300 ans. Ils cherchent uniquement à le réécrire ou le réinterpréter pour que cela colle avec leurs dogmes, leur idéologie ou leurs théories - qui n'ont strictement rien à voir avec l'Histoire.

Ainsi, Colbert méchant esclavagiste : le Code noir, aussi horrible nous apparaisse-t-il aujourd'hui, est un progrès qui empêche les maîtres de faire ce qu'ils veulent de leurs esclaves.
Schoelcher, qui a compensé financièrement l'affranchissement d'esclaves : outre que ce n'est pas l'argent des esclaves mais celui de la République qui a financé cela, c'était une mesure impérative pour obtenir l'affranchissement.
Les 17 milliards (de quelle unité de compte, on ne sait) que la France aurait prélevé sur Haïti au XIXe siècle : Haïti qui occupait militairement Saint-Domingue et la mettait en coupe réglée en doit combien à sa voisine, en cas de compensation ?

Quand même un Churchill - dont le rôle dans l'échec final de l'entreprise la plus raciste et la plus inégalitaire du XXe siècle est décisif - fait l'objet de la fureur destructrice de ces furieux, on peut vraiment se dire que l'on marche sur la tête...

Le passé peut être jugé positivement ou négativement. Mais il est et on ne peut le changer. Sauf à vivre dans un totalitarisme abject digne d'une utopie orwellienne. Ce que je refuse absolument. On en revient toujours au même problème : la subjectivisation de l'Histoire, son enrôlement dans les entreprises idéologiques et identitaires, est un non-sens. L'Histoire est un corps froid, mort, qu'il faut analyser avec le scalpel du clinicien, pas avec le fanatisme du zélote. Les passions doivent lui rester étrangères au risque qu'elle soit prise en otage pour des causes dont elle n'a que faire. C'est le moindre service que des gens qui professent aimer l'Histoire puissent lui rendre.

CEN EMB

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Message Publié : 13 Juin 2020 10:29 
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C'est une tentative idéologique de réécrire l'histoire en faisant fi de toutes les règles qui permettent d'étudier celle-ci en fonction des mentalités de l'époque. C'est tenter d'imposer une version manichéenne qui marche auprès de gens qui ne connaissent rien ou pas grand chose. Mais les raisonnements simplistes et simplificateurs touchent parce qu'ils sont propagande, et ce n'est pas acceptable.

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Message Publié : 13 Juin 2020 12:34 
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Loïc a écrit :
je suppose que ces vandales iconoclastes vénérent une figure comme Toussaint Louverture, enfin si ils connaissent son nom, qu'il faudrait pourtant déboulonner ou débaptiser des rues ou d'établissements à son nom car propriétaire d'esclave, et qui remplace l'esclavage par un travail forcé



Je respecte tout à fait les participants de ce débats, mais il faudrait cesser de répéter à satiété "vandales iconoclastes" dans le feu de cette discussion. Je ne vois pas quel serait le rapport avec la méthode historique et la main ferme tenant le froid scalpel de l'histoire. Il ne s'agit pas de polémique, mais d'une contradiction flagrante dans ce débat.
Par notre attachement et notre connaissance des faits historiques ces actes nous révulsent car ils sont négateurs de sens. Cependant quand on veut en discuter dans le forum "historiographie et épistémologie", il s'agirait de clarifier un peu les termes.
D'abord, qu'ont à voir :
- le vandalisme
- l'iconoclasme
-(une dernière pratique qui n'a pas été définie) le déboulonnage. Lui-même est tantôt le fait de personnes isolées, soit d'une association, soit d'une décision étatique.
Je pense que même si vandalisme et iconoclasme appartiennent à des contextes historiques qu'il faut avoir en tête, on aurait tort de s'en passer en histoire car ils ont tout leur sens dans la langue française. Là n'est pas la question.

En revanche nous savons tous, comme vous le faites bien remarquer que rien n'est aussi simple. L'exemple le plus fameux : destruction de la colonne vendôme pendant la Commune. On a beaucoup débattu du sens de cet acte, vandalisme ou iconoclasme. C'est qu'entre 1814 et 1870 (pour faire gros), les changements incessants de régimes s'accompagnent assez systématiquement de telles pratiques qui jouent sur les symboles, les drapeaux, les insignes et les "éléments de mobilier urbain" plus ou moins signifiants. Au point que chez certains, on ne se souciait plus de leur sens, témoins ces maires qui gardaient un buste de Marianne, un autre de l'Empereur puis un du roi... au cas où.
Il faut citer aussi le mouvement en cours depuis début 1991 dans les ex-républiques soviétiques de déboulonnage des statues exaltant les bienfait du soviétisme et de la grande guerre patriotique. Une véritable guerre avec des enjeux politiques importants motive les gouvernements de Pologne et République-Tchèque contre les répliques diplomatiques de Moscou, dont la ligne vis à vis de l'armée Rouge est on ne peut plus chatouilleuse. Qui de l'un ou de l'autre a raison ?
C'est le cas dernièrement pour le déboulonnage de la statue du maréchal Koniev à Prague. En Russie on le retient pour son rôle dans la libération de cette ville et en tant que héros de la guerre de libération. Mais en Tchéquie, on s'en souvient comme le chef du district militaire et le sabre de la répression de 1956 en Hongrie.
La statue avait déjà fait l'objet d'actes de vandalisme, mais l'enlèvement relève d'une volonté beaucoup plus forte. A noter que la statue de Koniev ne sera pas renvoyée à la mère patrie mais exposée dans le musée "Mémorial du XXe siècle". Une décision assez mesurée.
Ce phénomène est intéressant parce que l'on assiste à un déboulonnage en continu depuis début 90' dans certains de ces pays et qu'il est vivement encouragée et acté par l'Etat. Comme en ex-RDA, on a l'impression que tout ce qui s'est passé entre 1945 et 1990 est bon pour la revente sur e-bay ou le confinement dans des musées. C'est le "pays sur l'étagère" pour reprendre le mot de N. Offenstadt dans ses écrits sur la RDA.
Il faut aussi juger le processus inverse: quand on reboulonne en grande pompe les statues ou que l'on en donne des copies ou qu'on en ajoute. Le Paris de la restauration, puis celui de la IIIè naissante a beaucoup fait pour redonner leur place à certaines, puis "toutes les gloires de la France". Dans le paysage urbain, on voit beaucoup plus le Sacré Cœur que le pauvre monument délabré du mur des fédérés et la colonne vendôme a de nouveau tout son sens tandis que celle de juillet ne raisonne plus dans les mémoires (puisque la crypte aux morts des Journées est close).

Je crois aussi que l'on perd toujours quand on veut ainsi effacer des pans entiers de l'histoire d'une nation. Cependant, l'historien n'est pas un gardien de musé. Comme on dit maintenant - et ça se discute aussi - tout objet d'histoire, toute pratique humaine est sienne. Y compris donc ces déboulonnages qu'il s'agit de remettre en perspective et auxquels redonner sens. Cela se révèle d'autant plus difficile que ce sujet nous concerne aujourd'hui et nous implique politiquement, dans une certaine mesure.
Le débat sur les statues du général Lee aux Etats-Unis durent depuis 1960 et l'on se bat autour des socles bien souvent.
Mais je me méfie de ceux qui ont pour maxime de tout conserver et de ne rien toucher : nos villes ne sont pas des galeries d'histoire, elle sont l'histoire que nous faisons. En soi rien n'est intouchable, mais on se leurre aussi quand on pense que la destruction et les révolutions culturelles suffisent à éliminer la nécrose du corps de l'histoire...

Je terminerai sur un cas qui nous a tous fait mal : la dégradation de l'Arc de triomphe. On a eu beau jeu de monter sur nos grands chevaux et de moduler sur la honte jetée aux manifestants. Déjà tous n'ont pas écrits des choses dénuées de sens (il y a même eu du Léon Daudet ! véridique), d'autre part il aurait été bon de réfléchir un peu plus sérieusement sur le sens de l'acte : simple vandalisme ou volonté iconoclaste - ou "vandalisme iconoclaste" ? Il suffisait d'aller sur le site de l'Action Française à ce moment pour comprendre que de leur point de vue, l'acte avait nécessairement du sens.
En dernière analyse, le geste trouve pleinement sa place dans la tradition de l'insurrection parisienne française.

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Þat skal at minnum manna
meðan menn lifa


Cela restera dans la mémoire des hommes
tant qu'ils vivront (pierre de Runby, Upland)


Dernière édition par Champollion le 13 Juin 2020 12:40, édité 1 fois.

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Message Publié : 13 Juin 2020 12:37 
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Localisation : Alsace, Zillisheim
CEN_EMB a écrit :
Je ne suis pas d'accord avec cette affirmation : les vandales iconoclastes de notre temps ne se préoccupent pas le moins du monde de ce qu'il s'est passé il y a 150, 200 ou 300 ans. Ils cherchent uniquement à le réécrire ou le réinterpréter pour que cela colle avec leurs dogmes, leur idéologie ou leurs théories - qui n'ont strictement rien à voir avec l'Histoire.


Je ne suis pas sûr que Jérôme parlait des vandales iconoclastes...

Depuis quelques jours, je note la présence sur de nombreux plateaux de gens de gauche ou apparentés qui viennent dire qu'il ne faut pas déboulonner les statues. Ils rappellent que l'histoire n'est pas binaire. Ils rappellent que l'on doit recontextualiser les hommes et les évènements. Ils dénoncent le fait que cette contextualisation n'a pas été faite. Ils expriment que l'école serait l'endroit parfait pour une première entrée en matière, mais qu'il faudrait aussi des musées et des lieux de mémoires. Et ils remarquent que sur les bancs des classes des quartiers populaires, ils y a des enfants issus de toutes les immigrations qui se croisent et que ceux-ci n'ont pas la même vision des pays des Droits de l'Homme. Les noirs africains furent souvent emmenés en esclavage dans les pays arabes. Dans la bande sahélienne, l'esclavagiste, c'est l'arabe. Les noirs africains de la bande Atlantique sont les descendants de ceux qui réduisirent en esclavage durant leurs guerres intestines les ancêtres des antillais d'aujourd'hui. Il y a encore des descendants de pieds noirs qui vivent dans les mêmes quartiers. Bref, des enfants qui ont des brides divergentes d'histoires communes. Il faut leur fournir une histoire commune qui parle de ce qui avait de bien et de ce qui avait de mal.

Dans l'intervention de Mona Ozouf que j'ai vue, celle-ci a évoqué la figure de Ferry. Il est actuellement perçu comme un colonisateur. Or, il a été en lutte contre les colons, car il voulait éduquer les petits enfants de toutes les régions colonisées par les français pour en faire de parfaits citoyens. Et elle a cité des anecdotes qui montrent qu'il n'était pas trop favorable à "nos ancêtres les gaulois", mais qu'il voulait que les petits arabes ou les petits noirs apprennent l'histoire de leurs régions. Elle a cité Tocqueville, il rapporte la situation des noirs en Amérique, et cette situation le choque, mais en homme de son époque, il parle de nègres, et pas d'hommes noirs ou d'hommes de couleur.

EN fat de nombreux érudits, de droite, de gauche ou sans couleurs politiques affichées, se retrouvent pour dire que le seul moyen d’apaiser certaines tensions est de raconter une histoire réelle où on dit ce qui est bien, mais aussi ce qui est mal. Un Jules Ferry redorerait sûrement un peu son image, d'autres ...

Dernier point, à l'époque de Jules ferry certains intellectuels prônait l'abandon pur et simple des colonies. Sur le plan moral, ils avaient sans doute raison, sur le plan formel si la France avait abandonné son empire dans l'état, d'autres s'en seraient emparés (et avec la bénédiction des colons français). La seule solution aurait été de mieux former les élites, mais cela aurait signifier les modeler à notre image. Je ne sais pas si cela aurait été mieux. Et on a des exemples contemporains qui montrent que parfois ce sont les anciens colonisés qui sollicitent l'aide ou la médiation de l'ancien colonisateur car ils n'arrivent pas à trouver dans leurs sociétés les éléments de stabilités nécessaires.

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Message Publié : 13 Juin 2020 12:53 
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Marc Bloch
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Localisation : Versailles
Narduccio a raison me semble t il de rappeler que l histoire est complexe et qu on doit la contextualiser.

Mais je pense qu on peut compléter son propos par une remarque de détail : déboulonner une statue c est simplement aussi copier une revendication américaine. On le fait aux usa donc on doit le faire en France.


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Message Publié : 13 Juin 2020 13:35 
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Localisation : Bourgogne
Je persiste : des gens qui vandalisent la statue de Churchill au nom de la lutte contre le racisme sont des vandales - si c'est pour le plaisir de dégrader - ou des iconoclastes - s'ils entendent faire passer un message politique par la destruction d'une image statuaire, quoi que je pense de ce message.
Il est vrai que l'adjonction des deux termes peut paraître incongrue, mais elle me semble parfaitement refléter les paradoxes et contradictions de cette mode désastreuse, qui n'a aucune véritable direction, uniquement une volonté de détruire pour faire place nette en vue de réaliser un agenda idéologique.

Que l'on discute du rôle de Colbert ou de Churchill, j'y suis tout à fait favorable. C'est même l'objet de ce forum. Que l'on détruise dans un réflexe rageur ces statues qui les honorent, c'est justement anéantir toute discussion ou tout débat à ce sujet, c'est réduire l'opposition à celle de deux passions opposées, sans nuance. C'est donc à rejeter absolument, puisque cela constitue une abrogation de la raison et de la mesure.

Je ne défendrai jamais les vandales iconoclastes - bis repetita placent - qui cherchent à inhiber tout débat et à imposer par la violence - fut-elle orientée sur des morceaux de pierre - leurs propres conceptions aux autres.

CEN EMB

PS : je précise du coup que j'adopte ici les acceptions modernes des termes vandale et iconoclaste, en rien leurs acceptions ethnique ou religieuse.

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Message Publié : 13 Juin 2020 14:35 
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Jean Froissart
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Inscription : 26 Août 2008 7:11
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Localisation : Corsica
Les historiens qui ont contribué à la perception des responsabilités historiques ont une grande part de responsabilité dans la situation actuelle.
La présentation de l'esclavage en occultant totalement l'esclavage des blancs et des noirs par les noirs est une erreur fondamentale tout comme la présentation de la colonisation comme une exclusivité de certain blancs.

Il y a un objectif global de détruire et de soumettre une partie de l'humanité en tordant le passé.

Cela déplait aux historiens qui ne parlent que de dettes d'une partie de l'humanité vis à vis de l'autre partie, nous y sommes parvenus, déboulonnons, payons !

Je n'ai jamais compris en quoi je serais redevable de ce que mes ancêtres ont fait .... certains ont probablement été aussi des esclaves des musulmans ? et alors ?
On va passer l'éternité à faire les comptes et à s'étriper ?
La dette ! on n'a pas fini


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