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Message Publié : 13 Juin 2020 14:48 
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CEN_EMB a écrit :
Je persiste : des gens qui vandalisent la statue de Churchill au nom de la lutte contre le racisme sont des vandales - si c'est pour le plaisir de dégrader - ou des iconoclastes - s'ils entendent faire passer un message politique par la destruction d'une image statuaire, quoi que je pense de ce message.
Il est vrai que l'adjonction des deux termes peut paraître incongrue, mais elle me semble parfaitement refléter les paradoxes et contradictions de cette mode désastreuse, qui n'a aucune véritable direction, uniquement une volonté de détruire pour faire place nette en vue de réaliser un agenda idéologique.

Que l'on discute du rôle de Colbert ou de Churchill, j'y suis tout à fait favorable. C'est même l'objet de ce forum. Que l'on détruise dans un réflexe rageur ces statues qui les honorent, c'est justement anéantir toute discussion ou tout débat à ce sujet, c'est réduire l'opposition à celle de deux passions opposées, sans nuance. C'est donc à rejeter absolument, puisque cela constitue une abrogation de la raison et de la mesure.

Je ne défendrai jamais les vandales iconoclastes - bis repetita placent - qui cherchent à inhiber tout débat et à imposer par la violence - fut-elle orientée sur des morceaux de pierre - leurs propres conceptions aux autres.

CEN EMB

PS : je précise du coup que j'adopte ici les acceptions modernes des termes vandale et iconoclaste, en rien leurs acceptions ethnique ou religieuse.


Qu'on s'entende bien, je partage votre position au sujet du cas de Bristol et de Churchill. Je voulais insister sur la nature du débat qui nous occupe ici. Il s'agit de réfléchir en général sur le sens que peuvent prendre ces actes. Il est inutile d'écrire dix messages sur une cause entendue : les cas que vous évoquiez témoignent de réactions irréfléchies et d'un malaise contemporain sur ces questions post-coloniale qui s'insinuent partout.
Quant on parle de déboulonnage, cependant, il faut se pencher sur les cas significatifs, comme en Europe de l'Est où l'on se trouve devant une entreprise systématique.
Il faudrait déjà définir les termes et considérer l'action en elle-même et ensuite étudier qui sont les figures historiques concernées, pourquoi elles relèvent tout d'un coup d'un clivage... En fait "discuter du rôle de Colbert ou de Churchill" nous conduit à un débat sans fin qui n'apporte pas grand chose à l'étude des dégradations, actes de vandalismes et finalement au déboulonnage.
Enfin, je persiste moi aussi - on ne peut pas tout mélanger : un tag sur une statue n'a absolument rien à voir avec la disparation concertée et dans une certaine mesure acceptée du monument... cela peut crére des précédents, mais aussi excéder une partie importante de la population qui va massivement défendre le monument.

Je pense qu'autrement cette discussion peut patiner longtemps sur le "oh mais c'est indigne !". Après, je ne prétends apporter aucune connaissance spécifique sur la question, juste un certain souci pour le vocabulaire et les véritables problèmes.

Juste pour revenir sur une autre partie du débat commencé ici : Jérôme a raison de pointer ce renversement actuel : entre ceux qui veulent combattre la désinformation (plutôt dans la "gauche papa"), ceux qui veulent faire parler les "oubliés de l'histoire" (un certain gauchisme) et ceux qui veulent d'une "histoire libre" jouant sur la liberté d'expression (afin de soi-disant "réinformer", comme on peut le lire sur pas mal de blogs réactionnaires). Dans notre cas je crois fermement que la véritable position scientifique tenable est celle qui s'empare du phénomène de dégradation ou d'enlèvement des monuments et s'efforce d'y voir un peu plus clair.
Autrement, on va retomber dans un débat qu'on voit souvent sur ce forum concernant les tendances actuelles à tout décoloniser. Ce serai dommage de ne pas discuter plus à fond sur ce sujet passionnant, sans dériver.

Dernière remarque des plus basique, mais quand même : jusque vers le XVIIIè, la damnatio memoriae, en tant que pratique étatique ou fait de certains individus effaçant la mémoire via l'élimination de la figuration dans le paysage choquait moins. Avec la naissance des musées, de l'archéologie subventionnée et d'une nouvelle vision du paysage qui se soucie "d'authenticité", attenter à un monument est devenu un acte de plus en plus difficile à justifier.
On se souviendra qu'attenter à la statue royale en France valait atteinte au corps même du roi. La damnatio entendait éliminer donc tout ce qui perpétuait un homme. Or avec la naissance de la patrimonialisation c'est l'Histoire elle-même que l'on attaque et dans ce sens on blesse non seulement la mémoire du statufié, mais celle du corps politique (donc de la nation) dans son entier. C'est bien ce qu'ont déploré les romantique en songent à la folie du "niveau national" de 93 qui passait le moyen âge au burin...
Notre vision des paysages et des monuments comme éminemment signifiants nous rend insupportable ces atteintes dont je pense qu'elles ne choquait pas tant dans l'Antiquité, par exemple.

Edit : Le message de Kurnos (même si je partage ce sentiment) n'apporte rien à ce sujet épistémologique. On ferait bien de discuter de la méthode d'analyse de ces pratiques et pas s'acharner sur tel ou tel cas. Parce que sinon je peux y aller dans le couplet d'histoire ouvrière et populaire qui me tient à cœur personnellement (mais on s'en fiche pas mal) et redonner dans certains poncifs : la Commune destructrice c'est bien commode, mais quand on honore sa mémoire, personne ne respecte et n'entretient ces lieux...
Ca ne nous mène à rien d'autre que des débats eux-mêmes assez idéologiques !

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Message Publié : 13 Juin 2020 15:08 
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Je trouve que les déboulonnages de statues sont très intéressants, parce qu'ils rendent toute leur signification aux statues.

Quand on met une statue de quelqu'un dans l'espace public, c'est pour l'honorer et le présenter comme un modèle à la postérité. Pareil quand on donne son nom à un bâtiment public ou à une rue.
Personne ne dresse de statues à Hitler ou n'appelle un lycée "Landru" : ce ne sont pas des personnes jugées respectables, car la statue ou le nom donné à une institution est nécessairement une forme d'hommage. Ca n'a pas d'autre sens.

La statue n'est pas l'histoire : c'est un exemple tiré du passé pour servir de modèle, d'exemplum diraient les Romains, au présent et au futur. Déboulonner la statue, c'est donc lui rendre justice, en la considérant pour ce pour quoi elle a été érigée : être un symbole.
Déboulonner une statue de Lee ne me choque pas plus que déboulonner celles de Staline à la chute de l'URSS.

Comme l'a très justement expliqué Champollion, ces statues ont aujourd'hui perdu leur signification pour devenir du "patrimoine". Et la préservation du patrimoine est un peu l'alpha et l'omega des politiques culturelles de l'Occident de la fin du XXe et du début du XXIe siècle (voir les excellentes pages de François Hartog là-dessus).
Or cette vision patrimoniale ne rend pas justice à ces statues : elle les vide de sens. Car toutes les statues érigées avant la deuxième moitié du XXe siècle n'étaient pas perçues comme des objets d'art et de patrimoine : elles avaient un sens pour ceux qui les ont élevées. Et les "déboulonneurs" leur restituent très exactement ce sens, sauf qu'ils contestent les valeurs qui ont présidé à leur érection dans l'espace public.

On peut bien sûr s'interroger sur la pertinence du déboulonnage de telle ou telle statue, c'est-à-dire qu'on peut débattre sur la place historique d'un individu. Par exemple, Churchill était un grand raciste, mais l'essentiel de son oeuvre a été de gagner la guerre contre un régime infiniment plus raciste et génocidaire, donc il me semble que la signification de statues en son honneur est bien positive par rapport à nos valeurs.

Mais j'ai du mal à voir pourquoi contester le geste lui-même. Enlever une statue, c'est exactement la même démarche qu'en ériger une : on honore un personnage pour les valeurs qu'ils représente, et quand il n'est plus en phase avec nos valeurs, on l'enlève.

Si l'on s'insurge contre l'atteinte à l'histoire, qu'on considère ces statues comme du patrimoine et qu'on veut contextualiser, alors précisément, enlevons ces statues de nos places pour les mettre dans un musée : elles seront admirées pour leur beauté et un petit panneau rappellera qui est le personnage et pourquoi on l'a statufié.


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Message Publié : 13 Juin 2020 15:42 
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Kurnos a écrit :
Les historiens qui ont contribué à la perception des responsabilités historiques ont une grande part de responsabilité dans la situation actuelle.
La présentation de l'esclavage en occultant totalement l'esclavage des blancs et des noirs par les noirs est une erreur fondamentale tout comme la présentation de la colonisation comme une exclusivité de certain blancs.

Il y a un objectif global de détruire et de soumettre une partie de l'humanité en tordant le passé.

Cela déplait aux historiens qui ne parlent que de dettes d'une partie de l'humanité vis à vis de l'autre partie, nous y sommes parvenus, déboulonnons, payons !

Je n'ai jamais compris en quoi je serais redevable de ce que mes ancêtres ont fait .... certains ont probablement été aussi des esclaves des musulmans ? et alors ?
On va passer l'éternité à faire les comptes et à s'étriper ?
La dette ! on n'a pas fini


Ne confondez pas les historiens avec certains pseudos-historiens qui racontent des romans. A ma connaissance il n'y a pas d'historiens qui ont nié ou occulté l'esclavage des blancs, ou l'esclavage des noirs par les noirs3 De même, je ne connais aucun historien qui parle de "dettes", mais de mise en perspectives, et c'est très différent.

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Message Publié : 13 Juin 2020 16:11 
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Helios a écrit :
Mais j'ai du mal à voir pourquoi contester le geste lui-même. Enlever une statue, c'est exactement la même démarche qu'en ériger une : on honore un personnage pour les valeurs qu'ils représente, et quand il n'est plus en phase avec nos valeurs, on l'enlève.


C'est tout le problème : qui décide que ce n'est plus en phase avec "nos" valeurs ?
Les statues commémorent aussi un passé commun, et incarnent donc un destin commun dont le socle est ce passé. Si on décide de les enlever au nom de valeurs supérieures qui auraient évolué, c'est aussi mettre en cause le socle sur lequel on a fait reposer tout l'édifice mémoriel, et par extension juridique, institutionnel, qui en découlent directement.
J'ai vu des messages indiquant qu'il fallait ôter la tombe de Napoléon Ier de la place de choix qu'elle occupe aux Invalides, au prétexte qu'il a rétabli l'esclavage en 1802. Outre que je suis bien certain qu'une bonne partie des Français refuseraient ce "glissement" de "nos" valeurs vers la damnatio memoriae de Napoléon, ce serait aussi une volonté de nier son héritage. Du coup, on supprime aussi le Code civil ? Les préfets ? Les lycées ? Si on parle de Louis XIV, on détruit Versailles ? Les Invalides ?

L'Histoire n'est pas blanche ou noire. Les personnages qui la peuplent ne sont pas blancs ou noirs. Tout y est gris.
Et non, ce n'est pas à une minorité - ce que les vandales de ce temps sont - de décider de quels pans de l'Histoire on doit se débarrasser. Cela doit être fait par consensus, pas par violence. Et aujourd'hui, vu les réactions, on est très loin du consensus.

CEN EMB

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Message Publié : 13 Juin 2020 17:13 
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Surtout que les "valeurs" changent en fonction des époques, et changent parfois en quelques années.

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Message Publié : 13 Juin 2020 17:24 
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CEN_EMB a écrit :
Helios a écrit :
Mais j'ai du mal à voir pourquoi contester le geste lui-même. Enlever une statue, c'est exactement la même démarche qu'en ériger une : on honore un personnage pour les valeurs qu'ils représente, et quand il n'est plus en phase avec nos valeurs, on l'enlève.


C'est tout le problème : qui décide que ce n'est plus en phase avec "nos" valeurs ?
Les statues commémorent aussi un passé commun, et incarnent donc un destin commun dont le socle est ce passé. Si on décide de les enlever au nom de valeurs supérieures qui auraient évolué, c'est aussi mettre en cause le socle sur lequel on a fait reposer tout l'édifice mémoriel, et par extension juridique, institutionnel, qui en découlent directement.
J'ai vu des messages indiquant qu'il fallait ôter la tombe de Napoléon Ier de la place de choix qu'elle occupe aux Invalides, au prétexte qu'il a rétabli l'esclavage en 1802. Outre que je suis bien certain qu'une bonne partie des Français refuseraient ce "glissement" de "nos" valeurs vers la damnatio memoriae de Napoléon, ce serait aussi une volonté de nier son héritage. Du coup, on supprime aussi le Code civil ? Les préfets ? Les lycées ? Si on parle de Louis XIV, on détruit Versailles ? Les Invalides ?

L'Histoire n'est pas blanche ou noire. Les personnages qui la peuplent ne sont pas blancs ou noirs. Tout y est gris.
Et non, ce n'est pas à une minorité - ce que les vandales de ce temps sont - de décider de quels pans de l'Histoire on doit se débarrasser. Cela doit être fait par consensus, pas par violence. Et aujourd'hui, vu les réactions, on est très loin du consensus.

CEN EMB


"Consensus, valeurs, bataille mémorielle..." Franchement, cela fait combien d'années qu'on se prend les pieds dans le tapis. Ca veut dire quoi au juste : Napoléon = masses de granits et âge d'or français contre Napoléon = colonisateur lui aussi. Quelle purée franchement !

Consensus en tant qu'accord de tous peut suffire, a minima, à caractériser les déboulonnage qui ont lieu ces temps-ci dans les républiques autrefois soviétiques.
Mais cela suffit aussi à décrire l'état d'esprit d'un grand nombre de français, très loin -encore- des quelques épurateurs "racisés" actifs sur les réseaux. Très peu songent sérieusement à déplacer le marbre de Napoléon. ce n'est guère précis.

Mais la violence à laquelle vous répugnez a nécessairement part à ces évènements et je ne pense pas qu'un monument disparaisse jamais dans le consensus ou la concorde. Sauf exceptions, bien entendu...
Quand on détruit la Colonne Vendôme, il y a bien sûr les acteurs de premiers plans, des convaincus, mais surtout une troupe de parisiens accourus pour profiter du spectacle sur leur sièges et se donner le frisson (littéralement puisque l'entreprise rate d'abord). L'acte lui même se déroule comme une profanation en règle assortie d'une dégradation et du remplacement des symboles impériaux par ceux de la Commune socialiste. La violence politique y avait une part certaine.

D'un autre côté, la réinstallation de la statue, fait partie intégrante du vaste projet parisien de Mac-Mahon. Elle sonne comme une provocation de plus pour les Républicains et les Radicaux . Je doute que Mac-Mahon se soit soucié de consensus. L'idée était simple, Napoléon c'était la grandeur de la Nation et de l'Armée et la négation de la Commune ne devait pas laisser de lieux de mémoire. L'expiation des crimes, un peu comme lors de la première Restauration passait par l'érection de monument censé rappeler les Français à leur devoir.
Toujours pour remettre en perspective ces actes, songeons qu'en 1814 des royalistes avaient fait chuter le bronze de l'Empereur du haut de son fût et qu'on avait eu soin d'y voir flotter le pavillon blanc fleurdelisé. Le bronze avait servi (quelle ironie !) à restaurer une autre statue au passé mouvementé, celle d'Henri IV sur le Pont-Neuf. On voit à quel point les plus hautes instances ont eu peu de scrupule, jusqu'à une période récente à préserver et conserver à des fins patrimoniales.
Enfin, la restauration complète de Louis-Philippe s'inscrit dans une politique mémorielle habile et conciliatrice.

La plupart du temps, ce genre d'évènement (vandalismes plus ou moins importants, iconoclasme clair, déboulonnage) se passe dans le feu de l'action et l'exaltation ambiante. Et de façon aussi intéressante, cela arrive peu de temps après l'érection du monument, tant que le souvenir des causes de son érection demeure clair. Evidemment on peu ensuite amalgamer d'autres monuments, qui, historiquement, n'ont rien à voir car on les suppose porteur des mêmes représentations.

Je trouve donc que les entreprises plus vaste, de déboulonnement ou de restauration à de vastes échelles - comme en Europe de l'Est - sont des cas rares contribuant à faire disparaître un pan entier d'un passé.


Que l'on soit bien clair : notre passé commun nous définit, mais c'est à nous de fixer la définition en des termes arrêtés - de savoir qui nous sommes et où nous allons, avec quelles idées et quels héritages. En ce sens, garder a autant de valeur qu'enlever. Il suffit de se rendre en Angleterre pour comprendre que le rapport à l'héritage engendre la conservation de tout, même si c'est le fait de donateurs privés bien souvent.

Deux choses donc : se promener dans Paris avec la richesse de monuments qui ont tout traversé vous donne ce sentiment incomparable d'Histoire de France. Nul ne voudrait les voir pour cela disparaître.
D'un autre côté je déplorerais qu'on ne se pose pas même la question et que tout soit conservé religieusement avec le même degré de valeur. On doit s'interroger - avec, il s'entend, des raisons valables. Cela relève de la polis et pas du bon vouloir de l'historien, qui doit agir en conseiller, non en censeur.
Pour que la République soit quelque chose et qu'elle s'arrime à la nation, il lui a fallu beaucoup d'édification et un peu de la "serpe du négateur" (comme dit Nietzsche) pour s'affirmer d'abord. Je ne suis pas de ceux qui pleurent sur ce premier sursaut violent.

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Message Publié : 13 Juin 2020 17:31 
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Champollion a écrit :
Deux choses donc : se promener dans Paris avec la richesse de monuments qui ont tout traversé vous donne ce sentiment incomparable d'Histoire de France. Nul ne voudrait les voir pour cela disparaître. D'un autre côté je déplorerai qu'on ne se pose pas même la question et que tout soit conservé religieusement avec le même degré de valeur. On doit s'interroger - avec, il s'entend, des raisons valables. Cela relève de la polis et pas du bon vouloir de l'historien, qui doit agir en conseiller, non en censeur.
Pour que la République soit quelque chose et qu'elle s'arrime à la nation, il lui a fallu beaucoup d'édification et un peu de la "serpe du négateur" (comme dit Nietzsche) pour s'affirmer d'abord. Je ne suis pas de ceux qui pleurent sur ce premier sursaut violent.


De cela je conviens. Le problème aujourd'hui c'est que l'historien n'est pas écouté (de toute manière, l'Histoire est méconnue au mieux, méprisée au pire), et que ceux de qui relèvent la polis sont totalement paumés.
Et attention, le premier sursaut violent entraîne des répliques également violentes. Au jeu de la violence, il faut être sûr de son coup. Je ne suis absolument pas certain que ceux qui ouvrent cette boîte de Pandore en soient les bénéficiaires demain - tout comme les Communards de 1871 n'ont pas profité longtemps de la colonne abattue.
Pour cette raison, et parce que la violence civile me répugne, je ne pense pas que le choix du vandalisme mémoriel soit le bon. Et en tant que citoyen fier de l'histoire pluriséculaire de mon pays - de toute son histoire, avec ses parts de gloire et ses parts d'ombre - je suis structurellement opposé à ce qu'on en éradique des pans entiers au nom d'une flambée identitaire à la légitimité discutable.

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Message Publié : 13 Juin 2020 17:41 
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CEN_EMB a écrit :
C'est tout le problème : qui décide que ce n'est plus en phase avec "nos" valeurs ?
Les statues commémorent aussi un passé commun, et incarnent donc un destin commun dont le socle est ce passé. Si on décide de les enlever au nom de valeurs supérieures qui auraient évolué, c'est aussi mettre en cause le socle sur lequel on a fait reposer tout l'édifice mémoriel, et par extension juridique, institutionnel, qui en découlent directement.
CEN EMB

Sur ce point, je suis d'accord avec vous. Ce n'est pas l'acte de déboulonner les statues qui est un problème, la vraie question est : qui a la légitimité de décider les valeurs communes?
Est-ce toujours le pouvoir en place (et à quel échelon? municipal ou national? Et pour les USA : étatique ou fédéral?) ou est-ce que les mouvements collectifs ont cette légitimité?
Mais, en réalité, c'est une question bien plus vaste que les statues, qui peut être étendue à n'importe quoi : là, vous soulevez la question du pouvoir de la rue face au pouvoir institutionnel dans la définition d'une nation collective.

Narduccio a écrit :
Surtout que les "valeurs" changent en fonction des époques, et changent parfois en quelques années.

Il n'empêche : élever une statue dans l'espace public, c'est émettre un jugement de valeur, c'est dire "cette personne représente nos valeurs, les valeurs de la communauté que nous formons". Un général qui a gagné une guerre, un scientifique qui a fait une découverte, un être collectif ("le peuple") qui a fait une révolution, etc. On n'érige pas de statue à des gens jugés comme des criminels ou à des individus lambda n'ayant rien fait de remarquable.

Une statue, c'est une mémoire collective, un modèle pour le présent et le futur, sinon autant ne pas en faire et laisser ces individus dans les livres d'histoire. Il est normal que l'espace public reflète une sorte de consensus général sur les valeurs communes et en ce sens, oui, le paysage lapidaire de nos villes évolue et évoluera toujours. Les statues sont des symboles et les symboles sont faits pour changer.
Personne n'a le monopole de légitimité pour définir ces valeurs communes et pourtant elles existent. Tantôt, c'est le pouvoir, tantôt un mouvement collectif. Personne n'a rebâti la Bastille après 1789.
Gageons que les statues dont le déboulonnage a choqué l'opinion publique seront redressées, tandis que certaines ne le seront jamais, car dans le fond elle ne signifiait plus rien de positif (souvent même plus rien du tout) pour la majorité des gens.


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Message Publié : 13 Juin 2020 17:50 
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CEN_EMB a écrit :
Champollion a écrit :
Deux choses donc : se promener dans Paris avec la richesse de monuments qui ont tout traversé vous donne ce sentiment incomparable d'Histoire de France. Nul ne voudrait les voir pour cela disparaître. D'un autre côté je déplorerai qu'on ne se pose pas même la question et que tout soit conservé religieusement avec le même degré de valeur. On doit s'interroger - avec, il s'entend, des raisons valables. Cela relève de la polis et pas du bon vouloir de l'historien, qui doit agir en conseiller, non en censeur.
Pour que la République soit quelque chose et qu'elle s'arrime à la nation, il lui a fallu beaucoup d'édification et un peu de la "serpe du négateur" (comme dit Nietzsche) pour s'affirmer d'abord. Je ne suis pas de ceux qui pleurent sur ce premier sursaut violent.


De cela je conviens. Le problème aujourd'hui c'est que l'historien n'est pas écouté (de toute manière, l'Histoire est méconnue au mieux, méprisée au pire), et que ceux de qui relèvent la polis sont totalement paumés.
Et attention, le premier sursaut violent entraîne des répliques également violentes. Au jeu de la violence, il faut être sûr de son coup. Je ne suis absolument pas certain que ceux qui ouvrent cette boîte de Pandore en soient les bénéficiaires demain - tout comme les Communards de 1871 n'ont pas profité longtemps de la colonne abattue.
Pour cette raison, et parce que la violence civile me répugne, je ne pense pas que le choix du vandalisme mémoriel soit le bon. Et en tant que citoyen fier de l'histoire pluriséculaire de mon pays - de toute son histoire, avec ses parts de gloire et ses parts d'ombre - je suis structurellement opposé à ce qu'on en éradique des pans entiers au nom d'une flambée identitaire à la légitimité discutable.

CEN EMB


Je vous réponds juste pour ne pas finir en avocat du diable. Je ne suis absolument pas partisan du "vandalisme mémoriel" (encore que cette expression ne veut pas dire grand chose). Je partage volontiers votre sursaut mais j'insiste encore : cette flambée identitaire qui s'entretient d'elle-même n'est pas légitime. Il s'agirait de s'en sortir enfin, avant que cela ne devienne vraiment sérieux. On n'en est pas à vouloir massivement "éradiquer des pans entiers" de notre histoire. C'est certainement le cas de quelques polémistes et suiveurs, mais pas de la majorité - d'ailleurs plutôt indifférentes sur ces questions, tant elle a (où qu'on lui donne) d'autres sujets d'inquiétude.

Je partage votre attachement indéfectible, mais pas jusqu'à faire passer le fantasme de l'unité en bloc du passé où toutes les gloires s'entendent miraculeusement. Il y a de tels moments, de ces beaux moments dans notre histoire. Quand les gloires s'entendent c'est aussi parce que le pouvoir s'y entend lui-même.
Il y a aussi ces moments (et les déboulonnages en sont des manifestations frappantes) où les communautés politiques doivent se retourner sur elle-même et redéfinir les bases du contrat. La violence a part à ces sursauts. Sans eux nous n'aurions pas pour héritage cette richesse et ses contradictions internes.
Si des motifs valides existent et que l'on prend le problème à bras le corps, alors oui on peut déboulonner une statue sans parjure. Mais les cas que vous évoquiez témoignent eux d'une surenchère ridicule d'un discours déjà à bout de souffle et d'argument lorsqu'il commence sa chasse aux sorcières...

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Message Publié : 13 Juin 2020 18:06 
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Ah mais je partage ce point de vue. C'est bien pour ça qu'il me semble illégitime de vouloir faire tabula rasa d'une partie même fragmentaire de notre passé. Au moins, assurément, par la violence.

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Message Publié : 13 Juin 2020 18:15 
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J'ai entendu l'avis de Eric Nolleau, sur France 5, qui développait le point de vue suivant : détruire les statues, c'est un procédé stalinien, qui revient à réécrire le passé, comme Staline le faisait en effaçant des gens sur les photos historiques.
Point de vue auquel je souscris totalement.

Je crois que c'est lui aussi qui a ajouté que si on cédait sur ce point, aujourd'hui, à une minorité, il en apparaîtrait d'autres, et même il en naîtrait d'autres. C'est sans fin.

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Message Publié : 13 Juin 2020 18:16 
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C'est certain. Reste néanmoins des moments où il faut couper le cordon pour bâtir quelque chose de positif. On s'en libère, mais souvent pour mieux y revenir au final. La valse des statues et monuments au XIXe en est un superbe exemple.
C'est quand l'action se transforme en vandalisme pour des motifs communautaires où alors (même si les raisons peuvent d'abord être censées) quand l'emportement conduit à une éradication ciblée d'un pan entier, qu'il faut s'insurger.

Tout le passé cependant, ne sera jamais conservé dans une seule strate horizontale patrimoniale et intouchable. Cela, j'en suis convaincu, relève d'une chimère et une vision bien fade de ce qu'est une nation et son destin. (Je précise, bien entendu, que je n'accuse aucun membre du débat de professer cette idée. C'est simplement la tendance inverse à ce que nous évoquions, tout aussi dangereuse que le débordement violent).

Edit suite à la remarque de Pierma. je pense qu'on doit s'entendre une fois pour toute sur les termes : déboulonner n'est pas détruire. L'enlèvement peut se passer très solennellement comme ces jours ci en République Tchèque. Et je ne me risquerai pas à dire que les Tchèques font du stalinisme, ce serait pousser un peu loin l'esprit de contradiction lol

Ces idées de monuments intouchable prêtent à sourire : par impuissance à cerner ce qui relève du vandalisme et du combat politique motivé, on décrète le "on touche pas". Certes, quand on en vient à éliminer, même sans violence, des monuments du paysage urbain, c'est le signe amer que quelque chose n'est pas passé. Ou alors d'un trop plein. dans l'idéal on s'en passerait.

Mais ceux qui font dans le patrimonialisme doctrinaire nient le principe même du mouvement historique...
C'est très pauvre conceptuellement là aussi et certainement sans force face aux polémistes à l'œuvre. C'est en cela que je trouvais assez partiale la réaction médiatique après les "tags" sur l'Arc de triomphe. Déni des réalités historique, insignifiance proclamée d'un acte qui renvoie pourtant lui aussi eux à une notre histoire. Incapacité de trancher entre le vandale (il y en a eu beaucoup ce jour là) et l'action signifiante.
On a beau jeu ensuite de parler de la pauvreté et de la méconnaissance de l'Histoire véhiculée dans le discours officiel et dans les médias !

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Þat skal at minnum manna
meðan menn lifa


Cela restera dans la mémoire des hommes
tant qu'ils vivront (pierre de Runby, Upland)


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Message Publié : 13 Juin 2020 21:54 
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Pierma a écrit :
J'ai entendu l'avis de Eric Nolleau, sur France 5, qui développait le point de vue suivant : détruire les statues, c'est un procédé stalinien, qui revient à réécrire le passé, comme Staline le faisait en effaçant des gens sur les photos historiques.
Point de vue auquel je souscris totalement.

Je crois que c'est lui aussi qui a ajouté que si on cédait sur ce point, aujourd'hui, à une minorité, il en apparaîtrait d'autres, et même il en naîtrait d'autres. C'est sans fin.
Pour le premier passage que vous avez soulevé au sujet des propos de Naulleau, affirmer que le fait de détruire des statues est un procédé stanilien est de mauvais goût. C'est certes pour certaines personnes moralement condamnable mais tout dépend des personnages historiques représentés via ces statues. Quid par exemple de statues représentant Bugeaud en France? Il faudrait faire la part des choses. Et venant du meilleur ami de qui vous savez, ces propos laissent pantois. Naulleau qui défend bec et ongle qui vous savez. Alors il n'a aucune leçon de morale à donner. Sinon d'accord plus ou moins avec le reste de ses propos.

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Message Publié : 13 Juin 2020 21:59 
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Artigas a écrit :
Pour le premier passage que vous avez soulevé au sujet des propos de Naulleau, affirmer que le fait de détruire des statues est un procédé stanilien est de mauvais goût.


C'est bien un procédé où des ayatollah de la pensée essayent d'imposer à tout le monde que leur vérité est la seule qui a le droit d'exister sur la place publique. Moi, j'aurais pas dit stalinien, j'aurais plutôt dit fasciste. Mais, en fait, ça ne change rien au problème. Car quelque part, c'est aussi anti-démocratique. C'est une minorité qui veut imposer son discours.

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Message Publié : 13 Juin 2020 22:46 
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Artigas a écrit :
Quid par exemple de statues représentant Bugeaud en France?

Les statues de Bugeaud sont très bien où elles sont. Il faut accepter que les statues érigées sur nos places représentent l'histoire de notre pays, dans ce qu'elle a de meilleur et de pire.

A moins qu'on cherche à effacer toute trace publique de certains épisodes ? (Il est tout de même paradoxal, par exemple, de voir des associations noires faire disparaitre les statues - et les noms de rue, si on les écoutait - de tous les personnages en rapport avec l'esclavage : souhaitent-ils que tout témoignage en soit effacé ?) J'ai parlé de procédé stalinien, parce que Staline s'était fait une spécialité de ce genre d'effacement. Mais l'histoire en offre d'autres exemples.

Il y a une cucul-repentance quasi-enfantine qui devient insupportable, d'autant qu'elle est dominante. C'est ainsi qu'en 2005 nous n'avons pas fêté le bicentenaire d'Austerlitz, mais envoyé des navires français à la parade navale organisée par la Royal Navy pour fêter la victoire de Trafalgar. Parce que Napoléon était très très méchant ? ("Il est mignon monsieur Pignon / Il est méchant monsieur Brochant...")

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