CEN_EMB a écrit :
Helios a écrit :
Mais j'ai du mal à voir pourquoi contester le geste lui-même. Enlever une statue, c'est exactement la même démarche qu'en ériger une : on honore un personnage pour les valeurs qu'ils représente, et quand il n'est plus en phase avec nos valeurs, on l'enlève.
C'est tout le problème : qui décide que ce n'est plus en phase avec "nos" valeurs ?
Les statues commémorent aussi un passé commun, et incarnent donc un destin commun dont le socle est ce passé. Si on décide de les enlever au nom de valeurs supérieures qui auraient évolué, c'est aussi mettre en cause le socle sur lequel on a fait reposer tout l'édifice mémoriel, et par extension juridique, institutionnel, qui en découlent directement.
J'ai vu des messages indiquant qu'il fallait ôter la tombe de Napoléon Ier de la place de choix qu'elle occupe aux Invalides, au prétexte qu'il a rétabli l'esclavage en 1802. Outre que je suis bien certain qu'une bonne partie des Français refuseraient ce "glissement" de "nos" valeurs vers la damnatio memoriae de Napoléon, ce serait aussi une volonté de nier son héritage. Du coup, on supprime aussi le Code civil ? Les préfets ? Les lycées ? Si on parle de Louis XIV, on détruit Versailles ? Les Invalides ?
L'Histoire n'est pas blanche ou noire. Les personnages qui la peuplent ne sont pas blancs ou noirs. Tout y est gris.
Et non, ce n'est pas à une minorité - ce que les vandales de ce temps sont - de décider de quels pans de l'Histoire on doit se débarrasser. Cela doit être fait par consensus, pas par violence. Et aujourd'hui, vu les réactions, on est très loin du consensus.
CEN EMB
"Consensus, valeurs, bataille mémorielle..." Franchement, cela fait combien d'années qu'on se prend les pieds dans le tapis. Ca veut dire quoi au juste : Napoléon = masses de granits et âge d'or français contre Napoléon = colonisateur lui aussi. Quelle purée franchement !
Consensus en tant qu'accord de tous peut suffire, a minima, à caractériser les déboulonnage qui ont lieu ces temps-ci dans les républiques autrefois soviétiques.
Mais cela suffit aussi à décrire l'état d'esprit d'un grand nombre de français, très loin -encore- des quelques épurateurs "racisés" actifs sur les réseaux. Très peu songent sérieusement à déplacer le marbre de Napoléon. ce n'est guère précis.
Mais la violence à laquelle vous répugnez a nécessairement part à ces évènements et je ne pense pas qu'un monument disparaisse jamais dans le consensus ou la concorde. Sauf exceptions, bien entendu...
Quand on détruit la Colonne Vendôme, il y a bien sûr les acteurs de premiers plans, des convaincus, mais surtout une troupe de parisiens accourus pour profiter du spectacle sur leur sièges et se donner le frisson (littéralement puisque l'entreprise rate d'abord). L'acte lui même se déroule comme une profanation en règle assortie d'une dégradation et du remplacement des symboles impériaux par ceux de la Commune socialiste. La violence politique y avait une part certaine.
D'un autre côté, la réinstallation de la statue, fait partie intégrante du vaste projet parisien de Mac-Mahon. Elle sonne comme une provocation de plus pour les Républicains et les Radicaux . Je doute que Mac-Mahon se soit soucié de consensus. L'idée était simple, Napoléon c'était la grandeur de la Nation et de l'Armée et la négation de la Commune ne devait pas laisser de lieux de mémoire. L'expiation des crimes, un peu comme lors de la première Restauration passait par l'érection de monument censé rappeler les Français à leur devoir.
Toujours pour remettre en perspective ces actes, songeons qu'en 1814 des royalistes avaient fait chuter le bronze de l'Empereur du haut de son fût et qu'on avait eu soin d'y voir flotter le pavillon blanc fleurdelisé. Le bronze avait servi (quelle ironie !) à restaurer une autre statue au passé mouvementé, celle d'Henri IV sur le Pont-Neuf. On voit à quel point les plus hautes instances ont eu peu de scrupule, jusqu'à une période récente à préserver et conserver à des fins patrimoniales.
Enfin, la restauration complète de Louis-Philippe s'inscrit dans une politique mémorielle habile et conciliatrice.
La plupart du temps, ce genre d'évènement (vandalismes plus ou moins importants, iconoclasme clair, déboulonnage) se passe dans le feu de l'action et l'exaltation ambiante. Et de façon aussi intéressante, cela arrive peu de temps après l'érection du monument, tant que le souvenir des causes de son érection demeure clair. Evidemment on peu ensuite amalgamer d'autres monuments, qui, historiquement, n'ont rien à voir car on les suppose porteur des mêmes représentations.
Je trouve donc que les entreprises plus vaste, de déboulonnement ou de restauration à de vastes échelles - comme en Europe de l'Est - sont des cas rares contribuant à faire disparaître un pan entier d'un passé.
Que l'on soit bien clair : notre passé commun nous définit, mais c'est à nous de fixer la définition en des termes arrêtés - de savoir qui nous sommes et où nous allons, avec quelles idées et quels héritages. En ce sens, garder a autant de valeur qu'enlever. Il suffit de se rendre en Angleterre pour comprendre que le rapport à l'héritage engendre la conservation de tout, même si c'est le fait de donateurs privés bien souvent.
Deux choses donc : se promener dans Paris avec la richesse de monuments qui ont tout traversé vous donne ce sentiment incomparable d'Histoire de France. Nul ne voudrait les voir pour cela disparaître.
D'un autre côté je déplorerais qu'on ne se pose pas même la question et que tout soit conservé religieusement avec le même degré de valeur. On doit s'interroger - avec, il s'entend, des raisons valables. Cela relève de la polis et pas du bon vouloir de l'historien, qui doit agir en conseiller, non en censeur.
Pour que la République soit quelque chose et qu'elle s'arrime à la nation, il lui a fallu beaucoup d'édification et un peu de la "serpe du négateur" (comme dit Nietzsche) pour s'affirmer d'abord. Je ne suis pas de ceux qui pleurent sur ce premier sursaut violent.