Narduccio, cela fait déjà deux fois que vous m'adressez des attaques personnelles. Ce serait sympathique de votre part que vous défendiez votre point de vue simplement, sans vous en prendre à vos interlocuteurs (en tous cas à moi). Vous ne le savez donc manifestement pas, mais vous défendez avec acharnement une position qui est effectivement très originale. L'épistémologie, et en particulier l'épistémologie des sciences sociales, est l'un de mes domaines de recherche, et je n'ai jamais lu un épistémologue qui rapproche l'histoire de la physique. Mais peut-être me trompai-je, et peu importe : Je ne dis pas cela pour invalider votre position, je crois beaucoup en la discussion, et j'en discute avec vous avec plaisir. Mais ne m'agressez pas parce que je vous fais des objections on ne peut plus classiques, je vous prie, et voyons simplement si votre position résiste aux objections. C'est cela, la discussion, n'est-ce pas ?
Je vais donc expliciter mon objection qui est apparemment tombée un peu à plat :
Citer :
Si on désire modéliser la bataille, il faut entrer des centaines de milliers de données, voire des millions, puisqu'il faut modéliser le terrain, les conditions météorologiques, les hommes, la logistique, les animaux qui vont servir aux combattants, mais aussi pour la logistique.
Comme vous dites, il faut entrer beaucoup de données. Or, où trouvez-vous toutes les données à rentrer ? Il faut bien que vous vous tourniez vers les sources ? Et exactement les mêmes sources que celles vers lesquelles se tournent déjà les historiens aujourd'hui. Est-ce que votre outil de modélisation change donc quoi que ce soit au problème des sources et à la sélection des faits ? Encore une fois, il n'y avait pas de caméras au sommet du Pratzen pour filmer les combattants, ni d'hygromètre, thermomètre, etc. pour recueillir les données (empiriques) que vous allez entrer dans la moulinette. Est-ce que vous voyez mieux l'objection ?
Mais plus que la question de la prédictibilité du comportement, ce que vous voulez peut-être dire, c'est qu'on peut espérer faire traiter une masse de faits plus importants par un logiciel que par un historien ? (ne m'accusez pas de mal interpréter votre pensée, je vous prie, j'essaye de la comprendre, si je me trompe, il faut me le dire gentiment). Cela est une idée qui me semblerait plus juste, et qui avait d'ailleurs été déjà proposée par Aspasia à la première page de ce topic. On pourrait ainsi envisager de parvenir à une certaine exhaustivité des faits (toujours dans la limite des sources existantes néanmoins, et bien entendu).
Sauf qu'il y a encore un autre problème, et qui est lié, cette fois, au traitement des données : Lorsque vous entrez des données (quali) pour servir de variables explicatives, il vous faut les scorer.
Reprenons votre exemple d'Austerlitz : Nous avons donc les conditions météorologiques, les données topographiques, mais pas seulement. Il faudra aussi prendre en compte d'autres données essentielles dans une bataille comme le moral des troupes, lui-même évalué comment ? La fatigue estimée, en fonction de la distance parcourue jusqu'au champ de bataille, le temps de repos, la confiance dans l'officier et dans l'Etat-major... Et puis peut-être des données socio-économiques, la qualité de l'armement, la qualité des tenues, effectivement l'approvisionnement, la logistique, la qualité de la discipline dans l'armée, le traitement institutionnel des troupes (solde, existence de brimades ou non, etc.)... Et puis des données culturelles, aussi, liées par exemple à l'exception culturelle que représente la France de l'époque, qui a des incidences sur la constitution de l'armée, son encadrement, d'autres qui seront liées peut-être à l'hétérogénéité culturelle des troupes coalisées, etc... Et puis des données psychologiques, les qualités de commandement des généraux, les compétences tactique et stratégique des Etats-majors, etc... Vous voyez : Rien que pour un évènement relativement circonscrit dans le temps, ça fait déjà beaucoup de données, et encore ai-je opéré une sélection de fait.
Mais il y a plus : C'est que chacun de ces groupes de variables, il va ensuite falloir leur attribuer une pondération qui déterminera la part qu'elles prendront dans l'explication des évènements. Pensez-vous qu'à Austerlitz, ce sont les conditions météorologiques qui ont été déterminantes ? Ou est-ce plutôt l'écart de compétence stratégique entre Napoléon et l'Etat-major coalisé ? Ou partirez-vous du principe que toutes les variables doivent être traitées absolument sur le même pied ? Bref, de toutes façons, c'est vous en tant qu'historien qui allez décider des faits qu'il faut privilégier ou non pour expliquer le déroulement de la bataille.
Et vous allez donc vous retrouver peu ou prou dans la même position que n'importe quel historien devant sélectionner dans l'immense masse de faits ceux qui lui paraissent les plus pertinents pour rendre compte le plus fidèlement possible du déroulement des évènements.
Sans doute voyez-vous quel est ici le problème de fond : L'histoire traite essentiellement de faits qualitatifs, qu'il va falloir transformer en données quantitatives pour les entrer dans votre moulinette à calcul. Et c'est là une différence fondamentale avec la modélisation du mouvement d'une bille. Or, c'est à cette phase de transformation que correspond l'étape du scoring. Ce n'est pas le logiciel lui-même qui peut opérer ce passage du quali au quanti. Il y a là un moment de
jugement qui est typiquement le moment interprétatif de l'historien, et qui repose sur son métier, sur l'intuition, sur ses valeurs disaient les neo-kantiens, et en tous cas sur sa connaissance générale de l'homme et de l'histoire forgée dans de longues années d'études.
Maintenant, je le répète pour la 3e fois, la question reste ouverte que, sur ce problème du passage du quali au quanti, l'histoire ne soit pas logée à la même enseigne que les (autres) sciences humaines et sociales. Moi, c'est simplement ce rapprochement avec la physique qui m'étonne. Comme si la physique était le modèle de toute discipline.
D'ailleurs, j'aurais maintenant envie de vous demander pourquoi il vous semble manifestement si important que l'histoire soit une
science au même titre que la physique ? Peut-être le terme "science" a-t-il une connotation particulièrement positive pour vous ? Mais franchement, je ne vois pas, encore une fois, que beaucoup d'historiens réclament ce statut pour leur discipline, et ils n'ont pas l'air d'en être si malheureux.