GustavedeBeaumont a écrit :
Oui, nous nous situons dans la légende. Je ne fais pas mienne cette théorie d'une "trahison", j'essaie juste de comprendre ce que l'auteur a voulu faire passer par ce titre. Dans ce cas encore, ce serait un peu orienté (tout comme l'était la Dolchstoßlegende).
Je lis le livre et je pense que les recensions de Duc de Raguse sont tout à fait pertinentes. Pour participer à votre débat (le livre est dense et compte plus de 600 pages), j'ai lu l'introduction, la conclusion et ai longuement parcouru certaines parties.
A mon avis, le mot de "trahison" n'est employé que dans le titre... Rien dans ce que j'ai lu ne laisse supposer que l'auteur dénonce une quelconque "trahison". Le titre est d'ailleurs en contradiction avec le contenu du livre, puisqu'il n'est pas question des "élites allemandes", terme trop général, mais de ce que l'auteur traduit par "bourgeoisie culturelle". Pour moi pour parler d' élites en général, il aurait fallu intégrer les junkers et autres aristocrates allemands, la bourgeoisie industrielle,etc... bref ce que Baechler appelle la bourgeoisie possédante dont "le statut repose sur la fortune" (
Besitzbürgertum )
Donc clairement le titre est un peu trompeur, car ici, il n'est question que "d'un nouveau groupe social" qui se constitue dans "les pays germaniques", la bourgeoisie culturelle ou cultivée appelée
Bildungsbürgertum en allemand. Baechler dit que le terme est intraduisible car ce "groupe social", composé, pour aller vite, de gens diplomés, cultivés, passés par l'université, n'existe pas en France. Allégation surprenante, car il y a bien des juristes, des scientifiques etc... en France, bref une "intelligentsia" ou une bourgeoisie cultivée, mais je n'ai pas encore lu les développements de l'auteur ce ce particularisme étrange.
Quant à la notion de trahison, je n'ai pour l'instant rien vu qui reprendrait cette "accusation" dans le contenu du livre, qui semble décrire l'évolution de cette bourgeoisie culturelle, libérale et humaniste jusqu'en 1870, puis subissant une crise identitaire sous le IIe Reich dont la réponse serait le nationalisme, puis un glissement vers ce que l'auteur appelle "le réalisme héroïque" pour répondre au traumatisme de la défaite, jusqu'à l'avènement du nazisme, devant lequel la réaction de notre groupe social sera "illusions, collusions et désillusions" (sous-titre d'un chapitre). Bref, dans le détail ça promet d'être passionnant, mais il me semble que le titre est trompeur, car je n'ai toujours pas saisi qui ou quoi aurait été trahi...
A la fin de sa conclusion (p.531-532), Baechler reprend sa problématique de départ, à savoir "comment expliquer que l'élite d'un groupe social qui se constitue à partir de l'idéal de l'épanouissement de l'individu et de l'harmonie avec le monde qui l'entoure, un idéal imprégné de religiosité, puisse participer directement à la politique national-socialiste qui en est la négation, ou se retirer dans l'abstention ou l'indifférence"? C'est en partie la conséquence de la crise existentielle qu'elle connaît depuis le dernier tiers du XIX e siècle dans le cadre d'une société industrielle et urbaine qui dévalue les valeurs et le prestige de la
Bildung (je traduis = éducation, culture scolaire ou universitaire), alors que le développement des sciences contraint à une spécialisation croissante, crise acentuée encore par la défaite et la chute de la monarchie."
Pour finir, Baechler donne une explication à "la faible résistance " de la bourgeoisie culturelle "aux idéologies qui comblent le vide laissé par le désenchantement du monde": C'est que le "biologisme", "le darwinisme" ou le "nationalisme" par exemple, se sont substitué au "septicisme métaphysique" ou "vide métaphysique"... Serait-ce Dieu que cette bourgeoisie aurait trahi ?