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Message Publié : 28 Oct 2021 20:46 
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Jean Froissart
Jean Froissart
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Je vous propose la fiche de lecture de l'Ouvrage Dioclétien. Le renouveau de Rome de Stephen Willaims. Cette fiche a été réalisée par Didier Lafargue, un ami à moi, historien de formation et aujourd'hui journaliste. Je n'ai pas lu l'ouvrage, mais par contre j'ai récupéré en format numérique sa version originale en anglais.


DIOCLETIEN
Le renouveau de Rome
De Stephen Williams
(1985)


I. La jeunesse de Dioclétien.

Dioclétien (« la gloire des dieux » en grec) est né probablement en 243. On sait très peu de choses de sa jeunesse, seulement qu’il était un affranchi, donc ancien esclave, ou le fils d’un affranchi. Dans les deux cas, il faisait partie des basses classes de la société, celle des humiliores, par opposition aux honestiores. L’entrée dans l’armée lui offrit cependant des possibilités d’ascension.

Dioclétien n’était certainement pas un intellectuel. C’était un homme concret, qui raisonnait essentiellement à partir de l’expérience. Les réformes et innovations politiques qu’il décidera par la suite étaient, non de fallacieuses constructions de l’esprit, mais le fruit d’une conscience restée très terre à terre, celle d’un homme prenant ses décisions uniquement sous l’empire des faits.

A l’époque, l’empire romain était en pleine déliquescence. C’était la « crise du IIIe siècle », qui vit les Barbares envahir l’empire, les usurpations de généraux se multiplier, la crise économique, aussi les catastrophes naturelles. Certains empereurs réagissaient, ainsi Valérien. Mais il fut vaincu et capturé à Edesse par le roi de Perse Shapur en 259, une catastrophe pour l’Etat romain. Son fils Gallien, empereur capable, fit ce qu’il put pour remédier à la situation. Surtout, et c’est ce qui permit plus tard la promotion de Dioclétien, il décréta que le haut commandement de l’armée ne serait plus échu à l’étroite classe sénatoriale mais serait ouvert aux officiers sortis du rang. En effet, des généraux issus de la haute aristocratie pouvaient convenir dans les périodes tranquilles. Mais là il s’agissait de rechercher l’efficacité à tout prix et donc de permettre à des soldats expérimentés d’accéder aux grades. C’est ainsi que fut rendu possible l’arrivée des empereurs Illyrien. Ceux-ci étaient des parvenus, des hommes qui s’étaient hissés au sommet de l’Etat par la force du poignet.

C’est à la mort de Gallien, assassiné en 268, que l’Histoire entend parler pour la première fois de Dioclétien. Il est « Dux », commande alors des troupes importantes sur le Danube inférieur, en Mésie, actuelle Bulgarie.

L’Illyrie, sur la côte Dalmate de l’Adriatique, les actuelles Croatie, Bosnie, avaient autrefois été très difficilement conquise par Rome dès les temps de la République. Cela s’était terminé sous Tibère qui l’avait définitivement fait entrer dans l’orbite romaine. A présent, les légionnaires recrutés en Illyrie se sentaient plus Romains que nature, déterminé à lutter pour sauvegarder la romanité. Ils allaient donner des empereurs à Rome à partir de Claude II le gothique auquel succéda Aurélien.

Sévissait alors l’époque « des 30 tyrans », des potentats locaux qui s’arrogeaient le pouvoir un peu partout. Dans ce contexte, le prince arabe Odenath sauva Rome des Perses de Shapur et établit son pouvoir autour de Palmyre. Lui succéda son épouse Zénobie. En Occident, Postumus, un général, devint empereur des Gaules. L’un et l’autre furent détruits par Aurélien, lequel rétablit l’unité de l’empire. Ce dernier proclama le culte du monothéisme solaire destiné à sacraliser le pouvoir de l’empereur. En 275, il fut assassiné par ses soldats, remplacé par Tacite, puis par Probus.
A ce dernier succéda, en 282, Carus. Ce dernier avait le désir de fonder une dynastie. Il avait en effet deux fils Carianus et Numerien. Voulant venger l’affront fait à Valérien par les Perses, il partit en guerre en Orient, tandis qu’il déléguait le pouvoir en Occident à son fils Carinus. Victorieux, il s’empara de Ctésiphon. Mais après ? Il était impossible de conquérir tout l’empire perse. En ce qui le concerne, le problème fut vite réglé car il mourut subitement, peut être assassiné. Sa grande armée fit retraite vers Nicomédie. Les soldats firent empereur son cadet Numérien alors présent à ses côtés. Mais ce poète intello n’était pas l’homme de la situation. Il subit l’influence de son beau-père Aper, préfet du prétoire. Subitement, il tomba malade ! Les légionnaires exigèrent de le voir et, le trouvant mort, arrêtèrent Aper. Puis, ils décidèrent lors d’un conseil de proclamer Dioclétien son successeur.
Lors de la cérémonie où il fut investi, il se fit amener Aper devant lui et le tua de son épée. Voulait-il éviter qu’il parle ? Il était peut-être complice avec lui dans la disparition de Numerien (le fait est qu’il a tué Aper un peu vite !).

Il lui restait à vaincre Carinus, le fils aîné de Carus, en Occident. Vite, il fonça vers les Balkans, dont il fallait être maître, le vainquit et le tua à la bataille du Margus (à côté de Belgrade) en 285. Maître de tout l’empire, il s’abstint d’aller à Rome, pour être intronisé par les sénateurs, ce qui était une nouveauté. Dorénavant, Rome était là où était l’empereur, et les restes du pouvoir symbolique du Sénat furent abolis. Malgré tout, le nouvel empereur ne tint pas à humilier l’Urbs et les fonctionnaires de son prédécesseur restèrent en place ; il n’y eut pas de purge.



II. Dioclétien au pouvoir.

Après cela, il se mit au travail. La tâche était rude car l’empire était menacé de toute part. en Orient, il y avait les Perses restés menaçants. Il y avait surtout les Sarmates sur le Danube, la frontière la plus vulnérable, sans cesse franchie, exigeant un vrai travail de Sisyphe pour la défendre (c’était la plus difficile). En Occident, les Barbares, Francs, Alamans, Burgondes, faisaient des excursions en Gaule. Pour mieux se défendre, les paysans se révoltaient et constituaient des groupements autonomes, les Bagaudes.

Depuis le Haut empire, les peuples barbares avaient connu une évolution et étaient devenus bien plus redoutables à Rome. Poussés à l’est par d’autres peuples, notamment les Huns, ils n’étaient plus ces peuples désunis et instables auxquels avait eu affaire autrefois l’Urbs. Ils s’étaient davantage militarisés, s’étaient constitués en ligues. Une aristocratie avait peu à peu émergé. Chaque Germain était guerrier dans l’âme, ce qui n’était pas le cas de tous les Romains. De toute façon, on ne pouvait comparer les relations entre Rome et les peuples germaniques avec celles entre l’Europe colonisatrice et les Africains au XIXème siècle ; les Romains comme les Barbares appartenaient les uns et les autres à l’âge du fer. Les premiers étaient mieux organisés mais c’est tout.

L’empereur ne pouvait être présent partout. Face aux usurpations ou aux invasions, une solution était de foncer avec son armée d’un point à l’autre de l’empire, ainsi Aurélien qui avait vaincu successivement Zénobie et l’empire des Gaules. Dans ce cas, les généraux les plus compétents restaient avec l’empereur car il fallait les surveiller pour qu’ils ne mènent pas leur jeu personnel. Il fallait des mois pour vaincre l’ennemi et le système était lourd. Une autre solution était de déléguer la tâche à un subordonné. Mais, justement, si par extraordinaire ce dernier était vainqueur, il pouvait revendiquer la pourpre et être un concurrent pour l’empereur. Alors que faire ?

Dioclétien décida de prendre les devants en nommant lui-même un subordonné à qui il donnerait tous les pouvoirs mais qui resterait lié à lui par tout un arsenal religieux, juridique, familial. Pour cela, il nomma Maximien, un Illyrien comme lui, qu’il connaissait bien et qu’il savait droit et orthodoxe. Il en fit son César, subordonné à lui, Auguste, le fit entrer dans sa famille en le mariant à sa fille. Puis, il l’envoya remettre de l’ordre en Gaule. Maximien établit sa capitale à Milan. Le couple qu’ils formaient rappelait celui d’Octave et Agrippa, car à l’instar du premier, Dioclétien ne se jugeait pas un bon militaire (c’était plutôt un organisateur) et voulait y remédier en se donnant pour collègue un bon général.

Opposé au monothéisme solaire d’Aurélien, il choisit de se tourner vers la tradition romaine en s’assimilant à Jupiter (« Jovis ») et en faisant de Maximien son « Hercule ». De même que Jupiter avait maintenu l’ordre du Cosmos en étant victorieux des Titans, lui maintiendrait l’ordre de l’empire en luttant contre les usurpateurs ; c’était un message. Quant à « Hercule », c’était son exécuteur des hautes œuvres.
Ainsi naquit la Dyarchie, en 285, quelques mois après la bataille du Margus.
En fait, le pouvoir impérial restait éternel et indivisible, la propagande officielle le souligna bien, dès 287 ; c’était deux bras gouvernés par une seule tête. L’iconographie les montrait toujours ensemble. Chacun pouvait intervenir dans le domaine de l’autre. Edits et déclarations officielles étaient toujours publiés en leurs deux noms ; ils partageaient le consulat. Dioclétien avait simplement un charisme supérieur.

Maximien partit alors en Gaule remettre de l’ordre. Il vainquit les Barbares et les Bagaudes, concéda quelques établissements aux envahisseurs. Malheureusement, ses succès lui suscitèrent un concurrent. L’un de ses généraux, le Ménape Carausius, fut chargé par lui de nettoyer la Manche des pirates. Il s’acquitta de sa tâche mais du coup se rendit indépendant en Bretagne (l’actuelle Angleterre). Aidés par des Francs alliés dans les actuels Pays-Bas, il se rendit aussi maître de la côte de la Manche, en Gaule. Il avait une flotte très puissante. De lui-même, il se donna la dignité d’Auguste. Par ailleurs, il s’était rendu populaire en permettant aux marchands bretons de commercer en Gaule. Il fallait absolument, pour Dioclétien, mettre fin à cet abcès dans l’empire, car c’était légitimer d’autres tentatives de séparation.

Maximien tenta de lutter contre son ancien lieutenant. Mais ses options étaient limitées car ce dernier tenait les côtes du nord. Il ne pouvait que l’attaquer en passant par les étroites bouches du Rhin, là où Carausius l’attendait. Quand il s’y essaya, il fut vaincu. Lui et Dioclétien durent conclure une trêve avec leur adversaire.

Dioclétien de son côté fut victorieux des Sarmates. De plus, il conclut, en 287, un accord avec la Perse du roi Vahram. Celui-ci, roi faible, laissa l’influence romaine être la plus forte en Orient. Contrairement aux Barbares d’Occident, Rome avait là affaire à un empire stable avec qui on pouvait avoir des rapports diplomatiques, établir un accord dans le long terme.
Finalement, au bout de cinq ans, Dioclétien et Maximien se retrouvèrent à Milan où ils célébrèrent cérémonieusement leur union, par un panégyrique, en 290. L’iconographie montre les deux empereurs intimement unis. A part l’usurpation de Carausius, tous les ennemis de Rome avaient été tenus en respect. Dioclétien pouvait être satisfait. Qui plus est, il n’avait pas été assassiné par ses soldats, ce qui n’était pas arrivé à un empereur depuis longtemps ! Il se protégeait en donnant des pouvoirs à ses généraux, en leur donnant des postes, des gouvernorats un peu partout dans la nouvelle organisation de l’empire à laquelle il travaillait. Il les maintenait aussi à distance en sacralisant son pouvoir par un rituel approprié, et en abolissant ainsi toute familiarité.
Cependant, la crise couvait sous la cendre et des menaces pointaient à l’horizon : les Sarmates menaçaient toujours ; des révoltes étaient sur le point d’éclater en Egypte et en Maurétanie ; l’accord avec la Perse ne durerait pas éternellement. De manière plus interne, Maximien avait un fils, Maxence. Très jeune, celui-ci était alors incapable de succéder à son père mais ce dernier le comprendrait-il éternellement ? Surtout, Carausius, en Bretagne, demeurait très puissant. Maximien, pour en venir à bout, avait commencé par mettre au pas ses alliés Francs aux Pays-Bas. Mais Carausius, s’il était attaqué, ne se priverait pas de provoquer leur soulèvement. La seule chose que put faire Dioclétien fut d’élever Maximien au rang d’Auguste comme lui, pour le mettre au même niveau que Carausius, car il était inconcevable que son collègue reste simple César (les légionnaires de celui-ci finiraient probablement par le forcer à prendre cette dignité).

De tous ces problèmes, Dioclétien était conscient. Comment les résoudre ? Décidément pragmatique, il vit bien vite la solution : se donner un adjoint à lui et à Maximien.

Et c’est ainsi que, en 293, naquit la Tétrarchie, le gouvernement à quatre de l’empire.

A Maximien, il donna pour César l’ancien préfet du prétoire de ce dernier, Constance Chlore (« le pâle »), père du futur empereur Constantin. Il eut sa base à Trèves sur le Rhin. Lui-même se donna pour César Galère, un bon général. Des mariages entre les familles des tétrarques renforcèrent leurs liens entre eux. Les quatre capitales de l’empire, Nicomédie, Thessalonique, Trèves, Milan, n’étaient que des résidences impériales, non des centres gouvernementaux. En fait, le gouvernement était itinérant et, encore une fois, Rome se trouvait là où était l’empereur. Par ailleurs, chaque tétrarque avait le devoir d’aller épauler l’autre s’il connaissait des difficultés. Bien sûr, Dioclétien restait l’empereur suprême. Nicomédie (l’actuelle Izmit, en Turquie) la ville où il résidait quand il ne se déplaçait pas, était bien située entre l’Orient et l’Occident, entre les Balkans et l’Asie. Sa position était centrale entre le Danube et l’Euphrate.

Finalement, ce partage du pouvoir n’était pas tout à fait nouveau. Autrefois, Marc Aurèle avait régné conjointement avec son frère Lucius Verus. Plus récemment, Valérien avait délégué son pouvoir à son fils Gallien pour s’occuper d’une partie de l’empire ; Carus avait fait de même avec Carinus. Ce partage était nécessité d’une part par le besoin d’avoir un empereur au plus près des frontières pour lutter contre d’éventuels envahisseurs, d’autre part, par le besoin de lutter contre les usurpations. Celles-ci ne pouvaient plus se produire, puisque toutes les places étaient prises. Les exemples de Postumus et de Zénobie, annonciateurs de la tétrarchie, mettaient bien en valeur la tendance des provinciaux à s’en remettre à des souverains régionaux pour les protéger, car Rome était à présent beaucoup trop éloignée pour s’en charger.

Constance Chlore fut chargé de mettre fin à l’usurpation de Carausius, c’était même la justification de sa promotion et on le lui fit bien comprendre. L’existence du pouvoir de Carausius était la négation même de la tétrarchie, Dioclétien ne pouvait l’admettre. Retenant la leçon de la défaite de Maximien, Constance Chlore décida que sa guerre se ferait en deux étapes. Il lui fallait d’abord éradiquer complètement Carausius du continent, lui enlever toutes ses bases sur la côte nord de la Gaule, ce qu’il fit. Toutes les places se rendirent une par une, les Francs alliés de Carausius se soumirent. Maximien accourut de Milan (il fallait l’épauler encore une fois) pour tenir en respect les Francs plus à l’Est susceptibles de soutenir Carausius. Puis, dans un second temps, Constance Chlore créa une nouvelle flotte et débarqua en Angleterre. Il pouvait le faire car maitre des côtes sud de la Manche son ennemi ne savait pas par où il allait arriver et il lui était impossible de surveiller toute la mer. Entretemps, Carausius avait été assassiné par son préfet du prétoire Allectus, lequel avait pris sa place. Ce dernier fut vaincu et tué par Constance Chlore qui fit une entrée triomphale à Londres. Magnanime, il se limita à une faible répression. Il prit même la suite de Carausius en protégeant l’Angleterre contre les pirates et les Barbares du nord. Décidément, la tétrarchie ne faisait que reprendre la nécessité de régionaliser le pouvoir pour lutter contre les invasions.

De son côté, Galère eut à lutter contre la Perse. Le faible roi Vahram avait été remplacé par son vizir Narsès, nouveau roi des rois. Celui-ci pour mieux légitimer son pouvoir décida la guerre contre Rome et le danger perse se réveillait. Il fit d’abord une diversion en envoyant les manichéens semer la discorde en Egypte, provoquer une rébellion. Alexandrie entra en révolte. Puis il attaqua en Orient. Galère fut d’abord vaincu (et humilié par Dioclétien pour cela). Puis cet intrépide reprit l’offensive et écrasa les troupes de Narsès de manière définitive (ce dernier faillit même être capturé). La défaite et la capture de Valérien étaient vengées et l’influence de Rome était rétabli en Orient pour 40 ans.

Quant à Dioclétien, il jugula la révolte égyptienne, obligea Alexandrie à capituler après un long siège et fut impitoyable dans son châtiment.



III. La réforme de l’empire.

Dioclétien voulut en même temps réformer toute l’organisation militaire, administrative et fiscale de son empire. L’empire était assiégé de toute part ; il fallait prendre les mesures les plus efficaces pour assurer sa survie.

Sur le plan militaire, les fines fortifications d’Hadrien sur les frontières étaient devenues obsolètes. A son époque, l’armée restait cantonnée aux frontières et était très peu mobile, d’autant plus que beaucoup de légionnaires avaient une famille et ne tenaient pas à se déplacer. Ce système pouvait convenir quand elle avait en face d’elle des Barbares dispersés et désunis, lesquels la disposait à agir de manière seulement préventive. Venus des tours de guet, assez espacés, des légionnaires pouvaient se rassembler rapidement et livrer bataille en territoire barbare au-delà des frontières. Ce n’était plus le cas au IIIe siècle, période ayant vu des attaques massives. A ce moment, une fois les frontières forcées, les Barbares se précipitaient dans l’empire, empruntant tranquillement les voies romaines pour aller piller les riches cités intérieures. Il fallut beaucoup de temps pour les arrêter, tant le système était lourd. Aurélien ne parvint à arrêter une invasion barbare qu’en Italie ! A ces problèmes, Dioclétien remédia en favorisant :

- La mobilité de l’armée.
- L’établissement de défenses en profondeur.

Une cavalerie fut en effet créée pour atteindre rapidement les envahisseurs. Quant à l’infanterie, la légion, tout fut fait pour la rendre mobile : le légionnaire n’eut plus à porter avec lui sa nourriture, des entrepôts pouvaient y pourvoir sur le terrain ; la troupe ne fut plus obligé de construire un camp chaque fois qu’elle s’arrêtait.

De plus, des camps militaires furent édifiés à l’intérieur. Camp légionnaire ou ville tout fut fortifié et des murailles s’élevèrent partout. Chaque région était responsable de sa défense propre et ne devait plus compter pour cela sur la lointaine Rome ; c’est déjà le château médiéval qui s’annonce. Ainsi, les Barbares, s’ils s’avançaient sur les routes romaines trouveraient à proximité des camps fortifiés qu’il leur faudrait réduire, ou les laisser dans leur dos avec le risque d’être attaqués plus tard par la garnison.

L’administration, avant Dioclétien, était souvent en panne et faisait montre d’une inefficacité notoire. De plus il y avait confusion partout, notamment entre pouvoir militaire et pouvoir civil. Les gouverneurs étaient des « vice-rois » qui avaient tous les pouvoirs, faisaient ce qu’ils voulaient, renâclaient à obéir au pouvoir central.

Dioclétien voulut remédier à cela. De même que le pouvoir impérial était divisé, la division fut introduite à tous les niveaux. Le « byzantinisme », la bureaucratie tortueuse, compliquée labyrinthique qui devait régner sous l’empire byzantin, tire son origine de Dioclétien. A des gouverneurs aux larges compétences auxquels faisaient trop confiance le pouvoir, celui-ci choisit de substituer une nuée de petits fonctionnaires compétents, experts en droit, et surtout surveillés étroitement. Ils furent multipliés. Le pouvoir civil fut séparé du pouvoir militaire. Les provinces furent divisées en deux pour faciliter leur défense.

Au-dessus de tout ce petit monde, Dioclétien trônait comme un dieu et faisait tout pour se rendre inaccessible, par un cérémonial despotique de type oriental, importé de Perse. On était loin du magistrat supérieur, du princeps, incarné par Auguste. Plus tard, Julien (dit l’apostat) optera au contraire pour la plus extrême simplicité dans ses rapports avec ses sujets, à la manière de Marc Aurèle, et se fera mépriser.

Pour accomplir toutes ces réformes il fallait des sous. Aussi Dioclétien fit de grands efforts pour améliorer le système fiscal. Sous le Haut empire, les impôts étaient très impopulaires. Le pouvoir impérial requérait souvent à des expédients, par exemple confisquer la fortune de sénateurs après avoir fait condamner ceux-ci pour haute trahison sur des dossiers créés de toutes pièces ! L’impôt était injuste, imposé par le conquérant aux conquis et cela se sentait. Dioclétien, pour y remédier, se livra d’abord à une série de recensements pour savoir ce qui était imposable, établit la liste des gens et de leurs richesses, entreprise gigantesque. Il fut grandement influencé par ce qu’il avait vu en Egypte lorsqu’il y avait été pour réprimer la révolte d’Alexandrie. Il avait vu un pays qui depuis des millénaires avait bâti sa civilisation sur la volonté de gérer les récoltes permises par les limons du Nil. Il fallait surveiller les bassins d’irrigation, être très organisé. La division administrative du pays en nomes le permettait. Là, on avait affaire à une administration sophistiquée où tout était comptabilisé. Dioclétien avait le rêve d’imposer ce système à tout l’empire romain. Grâce à ses initiatives, l’impôt fut mieux accepté par les populations. Chacun savait ce qu’il avait à payer, l’assiette fiscale était publiée. C’était un système fiscal efficace et exhaustif. En fait, les contributions étaient systématiquement soumises aux besoins de l’Etat. Dioclétien établit la notion de budget annuel de l’Etat. Celui-ci ne vivait plus au jour le jour et l’argent coulait à flot dans les coffres de la tétrarchie, laquelle en avait bien besoin pour assurer la défense. Son système restera en vigueur sous l’empire byzantin.

Le système fiscal était la clé de la réorganisation de toute l’économie, une économie aussi dirigiste que possible. Sur ce point, Dioclétien imposa le contrôle et la contrainte partout. Chacun fut enchaîné à son métier ou à sa terre. Pour l’empereur, l’économie était une source d’impôt et un réservoir de ressources pour gouverner et défendre.

Le règne de Dioclétien fut marqué aussi par la grande persécution contre les chrétiens. Pour l’empereur et les milieux païens, ce qui importait était essentiellement les manifestations extérieures, ritualisées, de la religion. Il fallait surtout sacrifier aux divinités traditionnelles et à l’empereur. Or, les chrétiens s’y refusaient. Depuis longtemps, la nouvelle religion n’était plus celle des pauvres et comme telle méprisée. Elle avait atteint les hautes sphères de la société. Cela la rendait plus souple car elle acceptait alors de composer avec la société de son temps. Cela la rendait aussi plus redoutable. De toute façon, elle ne pouvait accepter le paganisme traditionnel.

Dans ces conditions, Dioclétien, bien qu’il soit au départ prudent et modéré, se résolut à abattre les chrétiens. Un premier édit, en 303, s’en prit simplement à leurs biens. Mais cela dégénéra peu à peu et un quatrième édit finit par s’en prendre carrément à leur vie. Tous ceux qui refusaient de sacrifier étaient arrêtés et condamnés à mort. Ces excès furent surtout commis par l’intransigeant Galère, émanation des milieux païens antichrétiens de l’Orient, plus que du modéré Dioclétien. Ils eurent lieu essentiellement en Orient, à Nicomédie et ailleurs, très peu en Occident, en Gaule, où Maximien et surtout Constance Chlore ont peu appliqué l’édit. Pour Dioclétien c’était claire : un petit pays riche et brave, Rome, était attaqué par de puissants Barbares. Ce petit pays était protégé par un maître supérieur, Jupiter. Or, à l’intérieur de ce petit pays, des radicaux, les chrétiens, s’opposaient à Jupiter. Il fallait donc éliminer les radicaux, c’était très simple. Finalement, les chrétiens tinrent bon et survécurent à la persécution. Même Galère, qui comprit que ces excès ne servaient à rien, fut obligé d’abolir l’édit juste avant sa mort.



IV. Retraite de Dioclétien et fin de la tétrarchie.


En 305, Dioclétien avait atteint sa vingtième année de règne en tant que tétrarque. Lui et Maximien, il fallait qu’ils laissent la place à leurs Césars respectifs Galère et Constance Chlore. Auparavant, il voulut donner des Césars à ces derniers qui étaient à présent Augustes. On a dit que Galère avait poussé Dioclétien à l’abdication en lui faisant voir qu’il était malade et devait se retirer. Mais en fait, cet acte avait été planifié depuis longtemps. Effectivement, c’était la première fois depuis Nerva qu’un empereur romain abdiquait, cela ne s’était jamais fait. Mais Dioclétien, qui était vieux et en avait marre, se laissa seulement un peu persuader par Galère. Il voulait se retirer dans son somptueux palais de Split, un palais-forteresse en actuelle Croatie. Souple et diplomate, il persuada Maximien de faire comme lui. Il finit par donner pour Césars aux futurs Augustes, Severe pour Constance Chlore, Maximin Daia pour Galère, des créatures de ce dernier en fait. Puis il se retira.

Las, la tétrarchie, que Dioclétien avait voulu éternelle, vola en éclat au bout de 7 ans, à l’issue d’une guerre civile entre ses successeurs. En fait, elle avait méconnu un fait fondamental, la loi du sang ; l’hérédité du pouvoir était bien trop installée dans les mœurs. Dioclétien n’avait pas prévu que les rejetons respectifs de Constance Chlore et de Maximien, Constantin et Maxence, voudraient avoir le pouvoir. Il avait beau être diplomate et conciliateur et tenter de montrer que les nouveaux Césars avaient été choisis parce que les plus qualifiés, certainement plus qu’une quelconque descendance des Augustes en place, il ne put empêcher ce dérapage. Cette méconnaissance du droit héréditaire pourrait faire apparaitre « utopique » la tétrarchie de Dioclétien. Mais ce dernier avait vu qu’avant lui, des fils de grands généraux ou d’empereurs avaient été refusés par les légionnaires qui les considéraient peu capables. Alors dans ces conditions pourquoi ne pas donner la pourpre aux plus méritants ?

Constance Chlore avait mal accepté la nomination de Severe comme César et admettait difficilement de voir écarter son fils Constantin. Il mourut à York, non sans avoir léguer à ce dernier le commandement sur ses quelques troupes germaines, 1er jalon pour lui de la conquête du pouvoir. Severe en Italie, Constantin s’arrogea le commandement de la Gaule, de la Bretagne et de l’Espagne, renouvelant l’usurpation de Carausius. Sur ordre de Galère, il accepta de ne se reconnaître que le César de l’Auguste Severe. Celui-ci eut alors affaire à Maxence qui, aidé de son père Maximien qu’il savait bon général et qui avait bien regretté de se retirer, se rebella contre lui. Maximien et son fil finirent par obtenir la capitulation de Severe à Ravenne et à le contraindre au suicide. Maxence écarta alors son père, qui l’encombrait, lequel alla se réfugier chez Constantin en Gaule où il fut bien accueilli par ce dernier pour qui son aura sur l’armée pourrait lui être utile. Mais Constantin n’entendait pas lui laisser une once de pouvoir et, après que Maximien ait tenté un soulèvement contre lui, obligea ce dernier à se suicider.

Entretemps, Galère, Maximin Daia avaient demandé à Dioclétien de sortir de sa retraite pour intervenir en usant de son prestige qui était grand. Une rencontre eut lieu à Carnentum, sur le Danube, lors de laquelle Galère demandait à Dioclétien de revenir au pouvoir. Mais du moment qu’il l’avait abandonné, il ne pouvait plus le reprendre comme cela, l’ancien empereur le lui fit bien comprendre. Finalement, il ne put rien faire et repartit à Split.
Par ailleurs, un nouveau compétiteur entra en scène en Orient, Licinius. Galère finit par mourir, désabusé. Maximin Daia chassa de sa cour Valeria, la fille de Dioclétien, alors qu’il devait tout à ce dernier ! Ayant vaincu Maximin Daia, Licinius fit une purge dans la famille de Dioclétien, fit exécuter Prisca, son épouse, Valeria, sa fille.

Finalement, on se retrouva avec quatre Augustes et aucun César ! Constantin fit la guerre à Maxence, en Italie, et le battit à la bataille du pont Milvius, la guerre du christianisme contre le paganisme. Plus tard, il vainquit et tua Licinius, en Orient. Tout l’empire était réunifié sous son sceptre.
Il fit des réformes. Le nouvel ordre inauguré par Dioclétien fut confirmé. Exista de plus en plus cette bureaucratie tortueuse et compliquée. Représentant de Dieu sur terre, l’empereur fut en quelque sorte divinisé (Sur ce point, Constantin croyait beaucoup plus à Dieu le Père, qu’au Christ).
Par contre sur le plan militaire, il y eut rupture totale. Dioclétien avait organisé la défense de l’empire en se basant sur les provinces, c’est à dire en établissant dans les secteurs menacés des forces plus ou moins dispersées aptes à venir aider les soldats basés sur les frontières si ceux-ci étaient attaqués. Estimant que c’était dangereux dans la mesure où cela favorisait les tentatives d’usurpation, Constantin, qui avait fait l’expérience des guerres civiles, y renonça. Il revint au vieux système d’Aurélien qui avait préféré une armée bien concentrée autour de son chef l’empereur, et qui irait, aussi rapidement qu’il le pouvait, aider les soldats attaqués sur les frontières, condamnés à l’attendre et à tenir aussi longtemps que possible. A la défense régionale des provinces voulue par Dioclétien, Constantin avait substitué la défense du pouvoir impérial. De toute façon, il ne dégarnit pas pour autant les frontières et renforça ses fortifications. Du reste, il n’y eut pas d’attaques massives des barbares sous le règne de Constantin. Il n’y eut pas non plus de tentatives d’usurpation. Sous le règne de ses successeurs, au IVe siècle, celles-ci furent seulement épisodiques, sans rapport aucun avec ce qu’elles avaient été au IIIe siècle, époque de « l’anarchie militaire » où les soldats s’étaient rebellés continuellement.

Malgré l’abrogation de la tétrarchie, il fut admis que l’empire ne pouvait être défendu d’un unique point central, Rome, comme cela avait été le cas par le passé. Plus tard, les fils de Constantin, Contance II et Constant se partagèrent le pouvoir ; Valentinien partagea le pouvoir avec son frère Valens… Finalement, l’empire connut une partition définitive avec le partage de 395 entre les fils de Théodose. Avant cela, Constantin avait établi la nouvelle capitale de l’empire à Byzance, qui devint Constantinople. Comme Nicomédie à l’époque de Dioclétien, celle-ci était bien située à proximité des frontières qu’il fallait défendre, le Danube et l’Euphrate. Elle était en plus bien mieux défendable dans la mesure où elle occupait une presqu’île.

Dioclétien mourut en 313 dans son palais de Split, abandonné et oublié de tous, au moment où était sur le point d’éclater la guerre entre Constantin et Licinius.

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«Κρέσσον πάντα θαρσέοντα ἥμισυ τῶν δεινῶν πάσκειν μᾶλλον ἢ πᾶν χρῆμα προδειμαίνοντα μηδαμὰ μηδὲν ποιέειν»
Xerxès, in Hérodote,

L'Empereur n'avait pas à redouter qu'on ignorât qu'il régnait, il tenait plus encore à ce qu'on sût qu'il gouvernait[...].
Émile Ollivier, l'Empire libéral.
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Message Publié : 28 Oct 2021 22:07 
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Merci pour ce récit, Oulligator.

Pédro nous avait déjà parlé de cette crise du IIIe siècle (pour signaler que l'empire, après tout, était capable de résister à une suite de crises graves) mais là on en a une description détaillée.

Est-ce que le facteur essentiel de cette sortie de crise ne réside pas dans la réorganisation fiscale ? Pas d'argent, pas de Suisses ! :?:

Donc le IVe siècle est calme. Je me demande si le partage de l'Empire en 395 n'était pas un boulet prévisible pour la défense (séparée !) des deux parties ?

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Message Publié : 28 Oct 2021 22:54 
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Jean-Pierre Vernant
Jean-Pierre Vernant
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Donc le IVe siècle est calme. Je me demande si le partage de l'Empire en 395 n'était pas un boulet prévisible pour la défense (séparée !) des deux parties ?


L'empire a déjà connu des partitions sans que cela n'entrave l'idée d'unité de la romanitas. D'ailleurs lors de la défaite d'Andrinople en 378 Valens s'est lancé dans l'affrontement sans attendre l'armée de Gratien qui venait lui prêter main forte. Par la suite au Ve siècle c'est plus l'accumulation des difficultés qui aura tendance à renvoyer les problèmes chez l'autre partie de l'empire, surtout de l'orient vers l'occident comme on se refile la patate chaude. L'orient était protégé par le détroit du bosphore de toute façon et risquait nettement moins que l'occident les raids de pillage.
Ce qui va bien davantage poser problème dans la défense est le fait que les empereurs quittent assez généralement au Ve siècle le commandement des troupes qu'ils laissaient à leurs maîtres de la milice ce qui a empoisonné les relations et la conduite des opérations. En l'absence de régle de succession claire les empereurs risquent toujours leur place quand un général est un peu trop victorieux ce qui fait qu'on leur tenait un peu la bride mais avec la désaffection de la pratique militaire par les empereurs on voit se développer complots, assassinats, utilisation de marionettes impériales comme rarement dans l'histoire de Rome. Un symbole : l'assassinat de Stilicon qui avait sauvé plusieurs fois l'Italie des attaques d'Alaric... Dans ce contexte difficile de proposer une politique cohérente de gestion du problème germanique.

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Scribant reliqua potiores, aetate doctrinisque florentes. quos id, si libuerit, adgressuros, procudere linguas ad maiores moneo stilos. Amm. XXXI, 16, 9.


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