Je vais commencer ici par quelques généralités sur les discussions dans les forums Internet. Puis je répondrai à Narduccio, qui pose beaucoup de problèmes intéressants dans son message.
Vu mon expérience, je dirais que la plupart des querelles ou polémiques sur Internet sont dues à deux raisons :
1) Il arrive d'abord que certains participants s'identifient trop à leurs thèses, en font une question d'amour-propre. Leurs contradicteurs deviennent alors des ennemis personnels, à abattre par tous les moyens : mauvaise foi caractérisée, attaques personnelles... Le mieux est évidemment de considérer le sujet débattu comme purement intellectuel, ne pas trop y mettre de passion.
2) La deuxième cause vient d'une mauvaise interprétation du sujet. On croit parler de la même chose, alors que ce n'est pas le cas. Pour ce sujet, j'avais par exemple posé la question : Comment ? Ce n'était pas la question : Pourquoi ? J'envisage donc le processus par lequel l'État romain finit par disparaitre comme objet d'étude intelligible, une disparition généralement fixée à 476. Pour les causes (pourquoi ?), il faudrait un autre sujet, même plusieurs sujets spécialisés.
--- Je prendrai l'exemple de l'expédition Amundsen au pôle Sud (1911). Comment Amundsen a-t-il fait pour atteindre le pôle Sud et en revenir vivant ? Cela revient à envisager les détails techniques de son expédition, ce qui n'est pas inintéressant. Maintenant, pourquoi Amundsen s'est-il donné la peine d'aller au pôle Sud ? Quelles étaient ses motivations ? Il faut considérer sa personnalité, le milieu dans lequel il vivait, finalement son époque. C'est un autre sujet.
Narduccio a écrit :
Vous citez trois causes de disparition d'un État, vous en oubliez simplement une quatrième que de nombreux archéologues voient à l’œuvre de manière plus ou moins prononcée dans diverses aires géographiques et à diverses périodes : la dilution. Par exemple, à l'âge du bronze en France, on voit souvent des cultures se structurer, elles sont en marche pour devenir une civilisation, un État. Et puis tout disparait. Les archéologues ont du mal à expliquer les raisons possibles. Mais il semble que ce soit le modèle sociétal qui ne soit pas stable et il entraine la disparition de l'État par dilution.
Je ne vois pas cela comme une quatrième cause, mais comme une fragmentation : l'une des trois modalités citées pour la disparition d'un État. Dans votre exemple, la fragmentation se serait toutefois produite avant que l'État se soit réellement constitué.
Narduccio a écrit :
Il semble que dans certaines régions, aux marges de l'empire romain, ce phénomène ait eu lieu. Les Romains sont partis, ils ont laissé l'administration aux habitants de la région et... on ne sait plus grand-chose pendant quelques décennies. Le temps qu'une nouvelle organisation de la société se mette en place. Bien entendu, ce vide n'a pas été aussi vide que pouvaient le penser certains auteurs anciens. Les structures sociétales se sont adaptées, il y a eu une période d'anarchie et puis un nouvel ordre s'est mis en place. Cette période d'anarchie n'a pas duré longtemps, il est rare qu'elles durent longtemps. Mais la nouvelle société a laissé peu de traces écrites.
Très intéressant ! Si je vous suis bien, l'administration locale aurait subsisté, les lois romaines et l'usage du latin aussi probablement. Mais il se serait produit une rupture avec le pouvoir central. Cette rupture a dû être occasionnée par les invasions germaniques, provoquant l'interruption des communications. Et à l'époque, il n'y avait pas Internet, la radio et le téléphone !
Narduccio a écrit :
Je sais que les Romains ont quitté avec armes et bagages plusieurs zones en laissant la population assurer seule sa défense. Cela a été cité à plusieurs reprises dans diverses discussions. Ce repli montre effectivement qu'il s'est passé quelque chose. L'État romain d'Occident a décidé de se replier sur lui-même.
J'en ai donné un exemple. Dans un rescrit (décret) de 410, l'empereur romain d'Occident Honorius demande aux Bretons d'assurer eux-mêmes leur défense (contre les Anglo-Saxons). Cela équivaut à une perte de souveraineté. Maintenant, Honorius avait lui-même fort à faire pour défendre l'Italie contre les Germains wisigoths d'Alaric.
Narduccio a écrit :
Parfois, l'État romain a concédé la défense de ses territoires aux plus à même de le défendre : les peuples germains alliés, que les Romains avaient pris comme mercenaires dans leurs armées. C'est le cas en Alsace. Les archéologues ont le plus grand mal à différencier la sépulture d'un auxiliaire germain de l'armée romaine de celle d'un des "envahisseurs" barbares. Parfois, la seule différence est la datation au carbone 14, montrant que la sépulture est du IVème (donc auxiliaire des Romains) ou du Vème, voire VIème siècle (donc "barbare" germain qui était vu comme un envahisseur et qu'on ne sait plus comment qualifier de nos jours). Il s'est effectivement passé quelque chose dans la seconde partie du Vème siècle. Mais cela ne correspond pas au schéma qu'on nous a enseigné à l'école : les invasions barbares.
Ces fédérés germains, théoriquement alliés, ont fini en effet par devenir les maîtres effectifs. Faut-il les considérer comme des envahisseurs ou des invités ? Probablement les deux. Je pense aussi qu'un facteur a dû jouer. La densité de population était finalement assez faible dans l'empire romain, sans commune mesure avec notre époque. Il est donc possible que les installations (ou invasions) germaniques soient souvent passées relativement inaperçues des populations locales. Cela d'autant plus que l'administration et les lois romaines étaient généralement maintenues. Simple hypothèse, bien sûr !
Narduccio a écrit :
Merci pour cette référence, et les trois précédentes ! Je m'y reporterai quand j'aurai le temps.
Narduccio a écrit :
Et je persiste, le fait que l'État "rétrograde" et évolue vers une propriété privée de la chose publique ne peut pas être la signature de la fin de l'État. Souvent, c'est cette structuration au bénéfice d'un seul qui est la signature de l'émergence de l'État. Comme je disais, la définition de la disparition de l'État ne peut pas être la définition de l'émergence de l'État.
Je n'ai pas envisagé le problème de l'émergence d'un État, mais je suis à priori d'accord.
Narduccio a écrit :
Dans la plupart des régions qui étaient sous domination romaine, il n'y a pas disparition de l'État, mais une transformation structurelle profonde. Dans d'autres régions, souvent situées aux marges de l'empire romain, il y a une période plus ou moins longue pendant laquelle il ne nous est pas parvenu de sources écrites. Soit parce qu'elles ont été détruites entretemps, soit parce qu'il n'y en a pas eu. De nombreux auteurs anciens considèrent qu'il n'y en avait plus. J'ignore jusqu'à quel point on peut leur faire confiance à ce sujet.
Je suis tout à fait d'accord, et je l'ai dit. L'administration, les lois romaines et l'usage du latin sont généralement maintenus dans les royaumes germaniques issus des grandes invasions. Cela fait mieux accepter la domination germanique, évite aussi aux Germains d'assumer les charges d'une administration directe. Les Germains étaient de toute façon au départ des peuples migrateurs, n'avaient donc pas une grande expérience de l'administration.
Narduccio a écrit :
Dernière remarque, effectivement, le sujet est complexe et il a été abordé de manière plus ou moins directe lors de nombreuses discussions. C'est parce qu'il est complexe et que vos premières interventions sur le sujet se prêtent mal à un débat dans un forum.
Effectivement, je me rends compte que mon sujet se prête mal à un débat. Mais je pense qu'il peut intéresser ceux n'ayant qu'une connaissance floue du processus ayant provoqué la disparition de l'État romain, comme objet d'étude intelligible par les historiens. Après, il faudrait envisager les causes elles-mêmes de cette disparition. C'est alors qu'un débat pourrait vraiment avoir lieu. Mais comme je l'ai dit, il faudrait en fait plusieurs sujets spécialisés, tant la matière est vaste.
Narduccio a écrit :
J'ai réagi à une phrase et j'ai écrit plusieurs lignes. Vous avez écrit plusieurs messages qui comptent plusieurs dizaines de lignes. Or, si je ne suis pas d'accord avec tout, dois-je critiquer l'ensemble ou seulement ce avec lequel je ne suis pas d'accord ? Et si j'argumente sur une petite partie de vos messages, il y aura des personnes pour contre-argumenter et on se retrouvera avec une série de discussions parallèles qui finiront en langage de sourd.
Là, je ne suis pas très bien. Vous pouvez commencer par signaler brièvement les points sur lesquels vous êtes d'accord avec moi (s'il y en a). Et après, critiquer des points précis. On envisagera alors successivement ces points. Il y aura bien sûr des contre-arguments. Mais si la discussion est bien menée, cela devrait être intéressant.
Narduccio a écrit :
Il faudrait donc ouvrir des discussions pour les points particuliers chaque fois que la discussion se prolonge. Et une fois le point particulier éclairé, revenir dans la discussion initiale.
Cela me parait en effet la bonne méthode, si les participants n'y mettent pas trop de passion bien sûr et si le sujet général est bien compris (voir le début de ce message).
Narduccio a écrit :
Je ne suis pas d'accord avec votre analyse de ce qu'est la fin d'un État. Je suis sûr que vous avez de très bons arguments en votre faveur (et j'ai les miens). Mais si on les confronte ici, on "coule" la discussion présente.
Je pense que mon analyse du processus général ayant provoqué la disparition de l'État romain, comme objet intelligible, est très peu contestable : par annexion et fragmentation, s'appuyant ou se confondant. Ce sont deux des trois modalités classiques pour la fin d'un État. Au bout du compte, on se trouve devant une demi-douzaine d'États (sens large), pouvant tous se considérer plus ou moins comme les continuateurs de l'État romain. Cela rend la tâche impossible aux historiens, et il faut alors baisser le rideau. 476 est la date très généralement choisie. Elle me parait justifiée, bien qu'assez artificielle comme déjà dit. Vous comprenez par ailleurs que je ne pouvais pas trop rentrer dans les détails. Mon exposé initial était déjà assez long !
Maintenant, je n'ai pas vraiment envisagé les causes de cette évolution. Ce n'était pas mon sujet. Il faudrait en lancer un autre, mais bien le préparer par des sujets spécialisés. Cette question est vraiment très vaste et complexe !
Narduccio a écrit :
Vos textes (très bien faits, à part le ton anti-polémiste qui finit toujours par attirer la polémique, il aurait mieux valu ne rien écrire sur le sujet, c'était le meilleur moyen d'éviter la polémique) sont denses et touffus, il y a donc beaucoup à en dire. On ne peut pas être manichéens, ce n'est pas tout ou rien. Il y a de nombreuses nuances. Comme dans cet histoire de la disparition de l'empire romain d'Occident.
Je pense avoir bien fait de signaler que cette discussion versait dans la polémique et que je me retirais. Je commence à avoir une certaine expérience dans ce domaine. Du coup, la discussion s'est calmée. Et on a réalisé aussi que ce sujet n'avait pas été très bien perçu. Il portait en fait sur le processus ayant provoqué la disparition de l'État romain, comme objet d'étude intelligible, pas sur les causes de cette disparition. On y viendra probablement, mais pas dans le présent sujet. Sur ce, merci à Narduccio pour ses vues intéressantes. Et à bientôt pour d'autres questions !