Machiavel a écrit :
Bonjour!
Quels sont les arguments qui refutent les thèses de Cheik Anta Diop et Theophile Obenga sur l’origine négro-africaine de l’Egypte antique presentes lors du Colloque du Caire en 1974?
Lors du colloque au Caire, eux on argumente que l'Egypte etait negro Africaine par sa langue( Parenté linguistique génétique entre l'égyptienn ancien, copte et les langues négro-africaines modernes), par sa culture spirituelle (Circoncision, Cosmogonie, le Totémisme), par sa sociologie (Royauté Sacrée, Matriarcat), par sa culture matérielle etc
J'aimerais bien lire l'argumentation des specialistes qui sont contre ces theories demontres par CAD et Theophile Obenga. Si il y a des ouvrages connus our des articles sur internet traitant sur ces points precis, veuillez les partager avec moi.
Merci
Bon, ce ne sera pas simple à résumer. Je n'ai pas tout pris en note quand j'ai lu le compte-rendu des débats il y a un mois, alors je vais y aller en partie de mémoire. Il est important de souligner tout d'abord que l'opposition entre Diop, Obenga et le reste des spécialistes réuni-e-s au Caire n'était pas totale sur tous les points. Vercoutter et Leclant, par exemple, tenaient à dénoncer l'historiographie colonialiste des décennies précédentes qui avait fait des Égyptiens des
genres d'Européens. Ces vieilles interprétations se faisaient à partir du même type d'observations que propose Alain.g: lecture très fragmentaire de quelques sources iconographiques et bullshit très inégale sur la
race de certains groupes ethniques ou religieux (on doit spécifier qu'au XIXe siècle, les observateurs ne s'entendaient pas à savoir si les Coptes étaient des négroïdes ou des caucasoïdes), attribution de traits raciaux aux statues, craniométrie. Plusieurs historiens, excluant Diop et Obenga, défendaient une théorie selon laquelle l'Égypte était formée de 30% de Blancs, habitant principalement au Nord, 30% de Métis, habitant principalement la Moyenne-Égypte, et de 30% de Noirs ou du moins de négroïdes, habitant la Haute-Égypte.
Là-dessus, Vercoutter dit:
"Tous les anthropologues s’accordent pour souligner l’importance de l’apport négroïde (près du tiers, parfois plus) dans le mélange ethnique qui constitue la population de l’Égypte ancienne."
(p. 23.)
Mais ces données sont sans doute un peu biaisées et on le note explicitement au cours des débats: un tiers/ un tiers/ un tiers, c'est comme trop beau et équitable pour être vrai. On note que cette hypothèse a sans doute été retenue parce qu'elle visait la concorde. Et surtout, on se pose des questions sur les preuves permettant d'arriver à ce chiffre, qui semblent... inexistantes.
En général, les égyptologues présents, parmi les plus modérés, optent pour une Égypte en partie africaine, mais pas nécessairement noire. Une citation partielle de Vercoutter et de Leclant est souvent utilisée par les afrocentristes pour prouver que ce colloque fut un triomphe. Il est vrai que le progrès intellectuel essentiel de ce colloque fut le rejet de l'ancienne historiographie colonialiste: mais le "triomphe" d'Obenga et de Diop se limite à ça.
La documentation de Diop et d'Obenga était phénoménale. Cette question leur tenait très à coeur, et ils ont très bien préparé le débat. Leurs sources étaient en partie iconographiques: Diop a monté un immense dossier rempli de représentations d'Égyptiens anciens en sculpture ou en peinture sensés suggérer des traits négroïdes. Il y a aussi eu la présentation, il me semble, de l'analyse d'un échantillon de peau d'un certain Égyptien. L'échantillon avait été prélevé pendant les fouilles de Mariette. Diop y avait identifié un taux élevé de mélanine. Obenga, quant à lui, a présenté une étude approfondie de la question linguistique, faisant des rapprochements entre les langues africaines et égyptienne.
Leclant a réfuté les afrocentristes essentiellement en relativisant et en s'attaquant à la méthodologie. Il reprochait entre autres aux deux universitaires noirs de mélanger les concepts de race et de culture, ce qui ne se fait pas du tout.
Abdelgadir M. Abdalla est sans doute le principal détracteur des afrocentristes. Je le cite:
« L’iconographie montrait, que les créateurs de la culture de Napata n’avaient rien en commun avec les Égyptiens : les caractères anatomiques étaient tout à fait différents. Si les Égyptiens étaient noirs, qu’étaient alors les hommes de la culture de Napata ? […] Pourquoi n’y a-t-il de parenté qu’entre l’égyptien ancien et le wolof et pas entre l’égyptien ancien et le méroïtique par exemple ? »
Il est par ailleurs de ceux qui pensent que la frontière de la première cataracte, divisant en quelque sorte les Blancs des Noirs, était immuable et qu'il était impossible que les Noirs africains aient descendu massivement le cours du Nil au-delà de ces passages plus ou moins infranchissables pour constituer la base du peuplement de l'Égypte pendant la préhistoire.
D'autres critiques affirment que les liens faits par Diop et Obenga entre plusieurs mots de différentes langues sont tout à fait imaginaires. Ce qui arrive d'ailleurs souvent en linguistique...
La craniométrie est aussi rejetée pendant ce colloque, par nuls autres que Jean Leclant et Diop. La craniométrie est toujours utilisée pour déterminer à quelle ethnie ou groupe racial appartient un individu, avec beaucoup de ratés pourtant et malgré les attaques de plusieurs anthropologues. Leclant pense, comme de nombreux autres historiens et anthropologues des années soixante-dix (et des décennies suivantes - c'est une théorie qui est toujours largement défendue, à ma connaissance), que le mode de vie transforme la forme du crâne en raison du stress neuro-musculaire qui varie selon l'alimentation et les comportements. Cela suffit selon lui à réfuter les études de Derry, qui avaient fait des Égyptiens des Blancs pâles avec sa "Master Race".
Voilà grossièrement ce que j'ai retenu des débats. Pour lire des critiques avancées des théories afrocentristes, je vous suggère de lire
Afrocentrismes, un ouvrage collectif dirigé par Fauvelle, et auquel (malheureusement) a participé Mary Lefkowitz. C'est cependant plus une critique historiographique qu'une critique scientifique appliquée. Sinon, il y a le livre de Midant-Reynes.