Narduccio a écrit :
Pédro a écrit :
Citer :
A l'époque d'Alésia, seule l'armée romaine est structurée aussi solidement. On ne peut pas attendre de l'armée de secours gauloise, peu importe ses effectifs et son état, qu'elle soit autre chose qu'une vaste cohue. Il doit bien y avoir des chefs dans chaque peuple et des chefs de village à l'échelon en dessous, ce qui permet, tout de même, de faire descendre des consignes, mais cela ne permet pas de conduire une bataille, alors que côté romain on peut prendre des décisions, les appliquer, éventuellement les modifier...
C'est aussi l'image que j'ai de l'action de Vercingétorix. Il est le
rix, désigné par l'assemblée, mais il me semble relié aux chefs subalternes par des liens d'homme à homme. Ces chefs étant liés à leurs subordonnées, et ainsi de suite. Quand Vercingétorix se rend, même si une grande partie de la Gaule pourrait encore décider de continuer la révolte et nommer un autre
rix, ils ne peuvent pas le faire, car il faut reconstruire la pyramide. Il faut choisir parmi les chefs subalterne qui a suffisamment de charisme pour accéder au titre suprême, déclenchant par là une escalade de pouvoir auprès de ses subalternes direct.
C'est aussi ce qui explique qu'il y a souvent des crises de succession car chacun des pairs composants le cercle d'où va émaner le chef pense avoir sa chance. En fait, celui qui a le pouvoir suprême est souvent vu comme le premier d'entre les pairs.
C'est bien plus compliqué que cela ; les structures socio-politiques des sociétés anciennes ne sont pas inexistantes ou primitives, sans lien, sans organisation. Au contraire même.
Je prends l'exemple germanique que je connais mieux pour expliciter (et pour ne pas trop indigner les spécialistes). Lors de la coalition des Alamans qui mène à leur défaite à Argentoratum en 357, ce sont les liens de don et contre-don qui structurent l'ensemble : Chnodomar, le chef, est désigné comme
rex dans Ammien qui établit ensuite les rangs de dignité inférieure des autres chef,
regulus et
subregulus.
En clair, le chef suprême a fait entrer dans sa clientèle des potentats régionaux qui eux-mêmes avaient dans leur dépendance d'autres chefs de moindre importance. C'est par l'extension de ces clientèles que se sont construites les grandes ligues guerrières que l'on appelle "peuples" dès le IIIe siècle. Là où on trouvait chérusques, Mattiaques, Bructères, Marses, Chamaves, Turons... au Ier siècle on trouve Francs, Alamans ("tous les hommes" littéralement)...
De ce fait les armées des peuples archaïques avaient une structure solide, sanctionnée par des liens d'homme à homme extrêmement solides, liés par des rites. Mais la faiblesse d'une telle organisation est que la durée et le théâtre d'opération est de fait limité par la "coutume". Un chef n'est pas Napoléon, il ne fait pas ce qu'il veut et les liens de vassalité impliquent que le chef suprême reste un parmi ses pairs et non un monarque tout puissant.
Pour la bataille d'Alésia, il y a aussi un point à prendre en compte: à ce moment, les peuples de Gaule sont exsangues, éprouvés par 6 ans de guerres contre les Romains et les Germains. César nous dit que nombre de peuples, de "cités" (définitivement pour cette époque, on peut parler de cités et plus de tribus) avaient perdues "tout leur Sénat" (comprendre: l'élite aristocratique guerrière et décisionnaire) et avaient été obligées de remettre leurs armes à César au point où pour reprendre le combat, on fabrique des boucliers en osier et on récupère ce qu'on a réussi à cacher.
En outre, la Gaule à l'époque de César n'est plus la Gaule de quelques siècles auparavant. On a une organisation politique forte, qui commence à se centraliser autour d'une proto urbanisation (c'est pour cela que je pense qu'on peut parler de cités pour cette époque) où se concentre l'activité économique, sociale et politique. Des magistratures semblent avoir déjà été en place à cette époque (le "vergobret" par exemple) et l'on voit notamment chez les Arvernes que le roi a mauvaise presse (le père de Vercingétorix a été exécuté parce qu'ils cherchait à retrouver le pouvoir monarchique. Le cas des Arvernes est spécial dans la mesure où ce peuple a été battu à plate couture par les Romains en - 121. Leur roi Bituit a été tué au combat et la bataille semble avoir été un désastre qui a coûté la suprématie aux Arvernes. Qu'une crise politique où la royauté a été renversé ait eu lieu par la suite, on a aucune source qui le mentionne, mais c'est une possibilité.
Au moment de la Guerre des Gaules, la société gauloise a largement évoluée depuis 1 siècle (probablement suite à l'annexion de la "Provincia" par Rome et de la perte de l'hégémonie par les Arvernes au profit des Eduens (plus proches de Rome). On est passé d'une société très rurale, sans centres urbains (tout de même de gros "bourg" où se concentrent les activités artisanales et commerciales), fait d'une multitude de fermes aristocratiques dominées par des puissants qui entretiennent entre eux des liens d'hommes à hommes à la société des oppida qui est une sorte d'organisation en "proto-cités" sur un modèle classique (on voit que la société gauloise était de toute façon déjà plus ou moins acculturée, au moins pour les élites).
Cette évolution transparaît notamment dans l'art, et plus particulièrement encore sur l'art dans l'armement. alors que les périodes précédentes (La Tène ancienne, La Tène Moyenne) dévoilent des armes la plupart du temps très richement ornementées, c'est beaucoup moins le cas au Ier siècle av. : l'armement semble devenu beaucoup plus fonctionnel, beaucoup moins ornementé (et de façon plus sobre quand c'est le cas), et fabriqué quasiment "en série" (les modèles de casques, très fonctionnels, de type Alésia ou Port sont semblable d'un bout à l'autre de la Gaule par exemple). Peut-on y lire un glissement d'une société aristocratique "héroïque" vers une société de type "proto cité" où se met peu à peu en place une armée de citoyens soldats, impliquant du coup une organisation sociale différente avec la mise en place de véritables institutions et magistratures? La question se pose.
Il ne faut pas non plus nier l'apport (à prendre avec d'énormes pincettes) des sources concernant les Celtes de la facade Atlantique, notamment insulaires. On sait que dans ces sociétés l"homme libre" pèse très lourd dans les décisions et que le roi, le chef, est avant tout un garant et un représentant, sur qui pèsent beaucoup de responsabilités par rapport aux maigres prérogatives, en comparaison, qui sont les siennes.
La société Celte dans son ensemble semble avoir été un complexe imbroglio de relations d'hommes à hommes, d'intérêts et de traditions, le tout lié par des rites complexes.
On ne sait rien des druides antiques. Diviciac est le seul qui soit qualifié ainsi. César ne parle des druides que dans son chapitre où il traite de la société... chapitre qu'il a quasiment plagié sur Poseidonios d'Apamée, donc une vision périmée depuis un siècle ou deux. C'est tout de même très étonnant, alors qu'il prétend que les druides forment une sorte de pouvoir suprême à la tête de la société gauloise, qu'il n'en cite jamais un seul dans son exposé des évènements.
JL Brunaux dans son livre sur les druides émet des hypothèses intéressantes, mais je m'interroge sur ses conclusions sur la fonction druidique au vu du manque total de sources que l'on a à ce sujet.
En ce qui concerne l'armée de secours, j'ai lu chez beaucoup de spécialistes reconnus (Goudineau, Brunaux en effet) que les chiffres de César pouvaient être crédibles. Son oeuvre est certes un ouvrage de propagande, mais il ne faut pas oublier qu'il était à la tête d'une énorme armée où se trouvaient beaucoup de cadres romains qui appartenaient au camp de ses adversaires politiques et qui étaient également témoins des évènements: il ne pouvait pas se permettre de dire ce qu'il voulait.
Après, je pense qu'il ne faut pas imaginer qu'il y ait eu 200 000 hommes à Alésia. il devait s'agir de l'ensemble des forces, la coalition de Vercingétorix concernant une grande partie de la Gaule (y compris les Eduens!), mobilisées contre lui. Mais l'attaque manquée sur la circonvallation d'Alésia était loin de rassembler autant de combattants (un tel nombre aurait certainement fini par l'emporter sous la masse). Il est fort possible également que parmi ce nombre se trouvait une grande partie de guerriers "non professionnels" mal équipés et levés pour l'occasion.
Quant à la logistique, elle était déjà bien développée. On a du mal à se défaire de l'image d'une Gaule sauvage et impratiquable... et pourtant, il existait un réseau de routes importantes et le territoire était peut-être plus aménagé que durant certaines périodes ultérieur (notamment au Moyen Age): on le lit en filigrane dans les déplacements des armées de César à travers toute la Gaule en des temps assez étonnants (on parle d'une armée de plusieurs dizaines de milliers d'hommes).