bourbilly21 a écrit :
à noter que Talleyrand déconseillait cette expédition, au souvenir de 1808, et appréciait la formule de Thiers
l'Espagne est une Vendée éteinte
Jolie formule, et parfaitement exacte, mais qui négligeait le nouveau contexte : le mouvement libéral ne touchait guère que les villes, et les paysans et le clergé n'avaient pas bougé : tant que le roi - Ferdinand VII - pour lequel ils s'étaient tant battus restait sur le trône...
Tout de même, réussir à se faire imposer une Constitution, dans le pays le plus rétrograde d'Europe, sans même réussir à faire appel aux forces qui avaient combattu Napoléon avec tant d'ardeur, c'est un record ! L'Espagne de 1820 n'est pas la France de 1789, on s'en doute. Le risque de dérive révolutionnaire y est objectivement nul. Ce roi est un lourdaud.
Mais on le savait depuis que son père et lui-même avaient demandé à Napoléon, en 1807, de décider lequel des deux était le vrai roi d'Espagne.
Le fils reprochait au père de ne pas gouverner et de laisser le premier ministre s'occuper du pays et de la reine, et l'abdication du père rencontrait l'approbation des Cortès. Donc une querelle de famille, que Napoléon avait tranchée en les attirant en France pour une conférence, où "Raminagrobis, le bon apôtre, mit les plaideurs d'accord en les croquant l'un et l'autre." En l'occurrence il les mit en résidence surveillée à Valençay, chez Talleyrand, et colla Murat sur le trône d'Espagne. Il dira à Sainte-Hélène :"J'embarquai fort mal cette affaire-là." C'est peu dire... (Le roi et son fils rebelle continuèrent donc à se quereller à Valençay. Castelot n'a pas de mots assez durs pour dénoncer la veulerie de ces bourbons d'Espagne.)
C'est Napoléon, alors qu'il manquait de troupes en 1814, qui finalement désigna Ferdinand, en demandant aux Cortès s'ils l'acceptaient pour roi. Les Cortès votèrent pour la forme : ils acceptaient. On s'en serait douté... Exit Joseph, "Don José Primero", qui avait échangé sur ordre sa casquette de roi de Naples contre celle de Murat - la formule est de Talleyrand, disant en se marrant que Napoléon échangea leurs deux couronnes "comme deux conscrits dont on échange les shakos" - Don José qui écrivait lucidement à son frère, depuis Madrid :"Sire, ma situation ici est incroyable : je n'ai pas un seul sujet qui me soit favorable !")
Et donc Ferdinand, cet incapable, se sent brimé en 1820 par cette Constitution, il veut le pouvoir absolu, et transmet à la Sainte Alliance ses plaintes et ses appels au secours : il est en but à de dangereux révolutionnaires.
La Sainte Alliance est cette entente entre les vainqueurs de Napoléon, dont la sainteté douteuse se borne à l'engagement de massacrer toute révolution qui pourrait advenir chez l'un d'entre eux, et tant qu'à faire, dans n'importe quel pays d'Europe, la France en tout premier lieu.
Pour des raisons géographiques, les puissances délèguent la corvée à la France, ce qui donne aussi à Louis XVIII l'occasion de prouver que la France est redevenue fréquentable.
Pour éviter toute méprise avec le peuple espagnol, dont on peut craindre qu'il sursaute en revoyant des soldats français, l'armée française est désignée en toute simplicité comme "les cent mille fils de Saint-Louis" et le clergé espagnol transmet la consigne de faire bon accueil aux "100 000 hijos de Santo Luis", consigne qui sera généralement suivie par les paysans. (Les vétérans de la guerre d'Espagne ont dû halluciner !)
Aucun risque donc de voir cette Vendée éteinte se rallumer, et Ferdinand VII sortira de l'aventure comme le roi le plus absolu et le plus ridicule d'Europe. (Il est vrai, comme je l'ai raconté, qu'il avait montré des dispositions précoces.)