Jean-Marc Labat a écrit :
Rappelons pour mémoire l'article 19 de la constitution de 1867 pour nuancer le point de vue français de l'époque (...) Beaucoup de pays issus de l'éclatement de l'empire ne seront pas aussi libéraux dans le traitement de leurs minorités.
Une loi admirable, qui ne fut pas appliquée sur les 50 années qui ont suivi; cette politique de la langue est restée toute relative. François-Joseph a notamment toujours insisté pour que l'armée ne parle qu'une seule langue, l'allemand (cela se conçoit en termes d'efficacité) malgré les demandes des officiers et de la classe dirigeante hongrois. L'inégalité ne s'arrête pas là: la langue allemande occupait une place privilégiée dans l'administration civile, et par conséquent dans les recrutements aux postes élevés dans l'administration.
L'idée de nation dans l'Empire était alors fermement basée sur la langue (et dans une moindre mesure sur la religion). Le recensement répété tous les dix ans à partir de 1969 demandait aux citoyens d'indiquer une seule langue comme leur langue principale, identifiant la "nationalité", sur une liste réduire artificiellement à huit choix (le tchèque, le slovaque et le morave étaient par exemple regroupés), mais plusieurs langues étaient omises (Lemko, Pulsch, Yiddish, etc). (cf ch. 6 dans la remarquable introduction de Martyn Rady,
The Habsburg Empire, a very short introduction, Oxford University Press, 2017)
Le règne de François-Joseph a commencé dans le sang de la répression du mouvement hongrois, suivi par dix ans d'absolutisme. Forcé par les problèmes financiers et par la concurrence de la Prusse pour l'hégémonie sur les peuples germanophones, et la brève guerre perdue à Sadowa en 1866, il concède effectivement de mauvais gré une constitution duale en 1867, pour l'Autriche et pour la Hongrie, pour avoir un accommodement à l'intérieur de l'Empire avec les Magyars, établissant les deux royaumes: la Hongrie, et tout le reste (qui ne s'appelait pas encore officiellement l'Autriche). En réalité, malgré les apparences (constitutions, existence de parlements), l'Empire n'a jamais été un régime parlementaire et François Joseph gouvernait par décrets et ne faisait que ce qui l'arrangeait. 1867 marque un tournant de son règne. A partir de 1967, des drames familiaux ont également profondément affecté François Joseph (mort de son frère Maximilien au Mexique, mort de son fils à Mayerling, mort de l'impératrice, qui était l'inspiratrice du compromis austro-hongrois de 1867... La mort de son héritier, François Ferdinand, l'unique espoir des Habsbourg, sera le dernier coup de hache à la dynastie).
L'un des principes de gouvernement de François Joseph était précisément de faire se concurrencer les minorités, pour que son pouvoir ne soit jamais menacé. Et celui-ci reposait principalement sur l'armée.
Les bras de fer concernant la langue de commandement (
Kommandosprache) n'ont jamais cessé entre François-Joseph et les Magyars, culminant en crise constitutionnelle dans les années 1903–1906. En 1903 le parlement hongrois refusa de confirmer ses contingents, sauf à la condition que le Magyar devienne la "langue de commandement" des armées hongroises. François Joseph répliqua par un avertissement public, délivré en tant qu'ordre de l'armée (Pieter M. Judson.
The Habsburg Empire: A New History, Harvard University press, 2016).