Duc de Raguse a écrit :
Non, même s'il y a des similitudes entre la Révolution de 1905 et celle de 1917, les deux Révolutions n'ont rien à voir entre elles.
La faute est à Trotsky lui même, qui dans 1905 explique que la Révolution de 1905 n'est que la répétition de celle de 1917.
- http://www.pelloutier.net/dossiers/doss ... parent=156"Pour la Russie, la Révolution de 1905 fut la répétition générale de 1917. Et elle eut la même signification pour moi personnellement. Je m'engageai dans les événements de 1917 avec résolution et en toute assurance parce que je n'y voyais que la continuation et le développement de l’œuvre interrompue par l'arrestation des membres du Soviet de Pétersbourg, le 3 décembre 1905."
(Trotsky - Ma vie... première citation du début du lien donné)Comme le montre
J-J Marie, il faut faire une différence entre le Trotsky écrivain (
Ma Vie), le Trotsky historien et l'homme politique. Alfred Rorsmer le confirme et cautionne l'analyse de Marie, mais bon sans doute "
grillé" puisque né à New-York.
"
Histoire du Mouvement Ouvrier" de Dolléans parait en 1948.
Certaines comparaisons ont été faites avec d'autres pays européens et leur révolution. Je passe l'Angleterre pour arriver à la France qui comptait à Paris un demi-million d'habitants sur 25 millions de sa population (les chiffres ont certainement été revus). La Russie à la veille de la RR compte150 millions d'habitants dont plus de 3 millions fixés à Moscou et Pétersbourg.
La France de 1789 ignore encore le prolétariat.
En 1905, la classe ouvrière dans tous les domaines, rural comme citadin compte au moins 10 millions, ce qui représente plus de 25 millions -familles comprises- c'est à dire plus que la population de la France à la veille de 1789.
Le prologue est la première partie d'une œuvre littéraire ou théâtrale servant à situer les personnages et l'action de l'œuvre. Reprendre certaines thèses données est bien mais revient parfois à définir les orientations politiques d'Oulianov sur la simple pendaison de son frère.
Les mots sont importants et lisant Trotsky dans l'histoire de la RR, voici :
"
Les évènements de 1905 furent le prologue des deux révolutions de 1917 -celle de Février et celle d'Octobre. Le prologue contenait déjà tous les éléments du drame, qui, cependant, n'étaient pas mis au point"
Ceci évoqué, je vois donc les grandes esquisses en 1905 et l'aboutissement en 1917. Les causes sont autres dans certaines strates de la société et non des moindres.
Citer :
Je m'explique : une abondante littérature anglo-saxone s'est intéressée... ( c'est à dire grâce à la naissance d'un Parlement ) fut entre 1906 et 1914, avec l'instauration de la Douma d'Empire
On peut se pencher sur l'exact rôle et impact politique des Doumas successives, comme autant de châteaux de cartes tenues par un "
Monsieur Veto", un ballet incessant de ministre, nous avons nous aussi connu ceci en d'autres temps, ce qui n'avait sans doute pas échappé aux lecteurs anglo-saxons qui avaient su tempérer l'essai d'absolutisme de Charles Ier.
L'historien Pavel Milioukov avant d'être lu, mérite comme Trotsky un balayage de sa vie (facile sur wiki.).
Quoiqu'ébranlé par l'épisode de 1905, le pouvoir sort vivant et suffisamment vigoureux.
Quid alors entre le prologue et le drame ?
Le régime tsariste se met de plus en plus en contradiction avec l'histoire jusqu'à former un anachronisme et puisqu'il faut parler terreau économique. "
La bourgeoisie était devenue économiquement plus puissante... sa puissance reposait sur une concentration plus forte de l'industrie et sur l'accroissement des capitaux étrangers. La bourgeoisie se fait plus conservatrice et plus soupçonneuse [le prologue 1905 a servi... La petite bourgoisie diminue... Les intellectuels démocrates n'ont pas de base sociale stable et pour beaucoup sont assujettis au libéralisme bourgeois... Il ne reste plus que le jeune prolétariat pour donner à la classe paysanne l'impulsion nécessaire pour la création d'une organisation révolutionnaire englobant d'un coup d'un coup les masses populaires et les rendre capables d'une action révolutionnaire sous la direction des ouvriers."
Les soviets de 1905 vont devenir le résultat de cette combinaison. L'Allemagne, pays industrialisé n'a pas encore trouvé en 1919 une autre forme d'organisation.
1917 a donc pour but immédiat de renverser la monarchie bureaucratique, la différence se trouve dans une nouvelle classe constituée sur la base d'une industrie concentrée avec une nouvelle organisation et une nouvelle méthode de lutte. Pendant que les ouvriers couvraient tout le pays de soviets en y admettant les soldats et parallèlement les paysans, la bourgeoisie continue à marchander, se demandant si oui ou non elle doit se transformer en assemblée constituante.
"
… L'instrument d'une guerre est une armée... L'introduction du service militaire obligatoire modernisa le pays tout autant que l'armée... Tous les antagonismes d'une nation se retrouvaient... Entre le niveau culturel du paysan soldat et la technique militaire copiée à l'occidentale..."
Dans le corps des officiers se retrouvent les classes dirigeantes de Russie. L'industrie et les transports sont déconnectés face aux exigences d'un conflit. La monarchie et la Douma rafistolent après le conflit russo-japonais. Avec 1914, le rafistolage devient pénible et surtout transparent, l'aide des alliés ne suffit plus.
"
… Les généraux retournaient leur incapacité sur les soldats...".
"
Confiant en l'immensité de notre territoire, comptant sur nos boues impraticables, je m'en rapporte aussi aux bonnes grâces de Saint Nicolas, patron de la Sainte Russie" (
général Poliakov - Conseil des Ministres, PV du 4 août 1915).
Rien n'avait changé depuis Alexandre Ier...
Une semaine plus tard, le général
Roussky avoue : "
les exigences modernes de la technique militaire sont supérieures à nos possibilités, en tout cas nous ne pouvons rivaliser avec les Allemands".
"
La guerre contre les allemands est sans espoir car nous ne sommes pas en état de faire quoi que ce soit. Les nouvelles méthodes de luttes deviennent même pour nous des causes de revers" (
Stankévitch, officier). Il existe bien d'autres témoignages. On alignait des colonnes de chiffres au lieu de combattants.
[...
Dès juillet 1915 les ministres se répandaient en lamentations... ou plaisantent de la vaillance des retraites... Discussion d'un problème : allait-on ou non évacuer les reliques de Kiev ? Le tsar estime que ce n'est pas indispensable car "Les Allemands n'oseraient pas y toucher et, dans le cas où ils s'y risqueraient, ne s'en porteraient que plus mal". Cependant le Saint Synode avait déjà entrepris l'évacuation : "en partant nous emportons ce qui nous est le plus cher..."]
Nous ne sommes plus au moyen-âge mais au début du XXème siècle, à un moment où les défaites de la Russie sont annoncées par radio !
Clémenceau était pour l'étude d'une révolution en "
un bloc", il a été démontré que c'est impossible.
Etudier l'armée et ses fluctuations sans étudier parallèlement les convulsions politiques et l'économie me semble difficile. Ce serait -pour faire court- comme étudier la Douma en faisant fi des pouvoirs encore existants du tsar (dissolutions, démissions etc.)
Tout comme il serait aussi caricatural d'évoquer les dissolutions comme des caprices du pouvoir et les démissions comme des guerres d'ego. Dans un contexte qui ne peut se passer d'une économie stabilisée, de droits acquis, soudain de combinaisons nouvelles et fourmillements d'idées déjà mis en place, ajoutez à ceci un second conflit, on ne peut jouer aux chaises musicales, le rythme est un peu dépassé.
Source :
Histoire de la RR / L. Trotsky / 1- Février