Occupée par les ottomans, la Grèce indépendante soumise à une bureaucratie corrompue pendant près de 400 ans, semble avoir été brisée et avoir eu du mal à contruire un Etat, la population ayant contracté des habitudes de fuite devant toute responsabilité civique et devant l'impot, considérant même l'Etat comme un ennemi auquel on doit résister. On le constate dans la situation financière déplorable décrite par Edmond About dans un ouvrage sur la Grèce en 1853, dont voici un extrait: " Le régime financier de la Grèce est tellement extraordinaire et ressemble si peu au nôtre, que je crois nécessaire, avant d’entrer dans les détails du budget, de placer ici quelques observations générales ... La Grèce est le seul exemple connu d’un pays vivant en pleine banqueroute depuis le jour de sa naissance. Tous les budgets, depuis le premier jusqu’au dernier, sont en déficit. Lorsque, dans un pays civilisé, le budget des recettes ne suffit pas à couvrir le budget des dépenses, on y pourvoit au moyen d’un emprunt fait à l’intérieur. C’est un moyen que le gouvernement grec n’a jamais tenté, et qu’il aurait tenté sans succès. Il a fallu que les puissances protectrices de la Grèce garantissent sa solvabilité pour qu’elle négociât un emprunt à l’extérieur. Les ressources fournies par cet emprunt ont été gaspillées par le gouvernement sans aucun fruit pour le pays ; et, une fois l’argent dépensé, il a fallu que les garants, par pure bienveillance, en servissent les intérêts : la Grèce ne pouvait point les payer. Aujourd’hui, elle renonce à l’espérance de s’acquitter jamais. Dans le cas où les trois puissances protectrices continueraient indéfiniment à payer pour elle, la Grèce ne s’en trouverait pas beaucoup mieux. Ses dépenses ne seraient pas encore couvertes par ses ressources. La loi n’est jamais, en Grèce, cette personne intraitable que nous connaissons. Les employés écoutent les contribuables. Lorsqu’on se tutoie et qu’on s’appelle frères, on trouve toujours moyen de s’entendre. Tous les Grecs se connaissent beaucoup et s’aiment un peu : ils ne connaissent guère cet être abstrait qu’on appelle l’État, et ils ne l’aiment point. Enfin, le percepteur est prudent : il sait qu’il ne faut exaspérer personne, qu’il a de mauvais passages à traverser pour retourner chez lui, et qu’un accident est bientôt arrivé. Les contribuables nomades, les bergers, les bûcherons, les charbonniers, les pêcheurs, se font un plaisir et presque un point d’honneur de ne point payer d’impôt. Ces braves gens se souviennent qu’ils ont été Pallicares : ils pensent, comme du temps des Turcs, que leur ennemi c’est leur maître, et que le plus beau droit de l’homme est de garder son argent. Par exemple, en 1845, pour le produit des oliviers du domaine public, affermés régulièrement aux particuliers, le ministre inscrivait au budget d’exercice une somme de 441 800 drachmes. Il espérait (budget de gestion) que sur cette somme, l’État serait assez heureux pour percevoir 61 500 drachmes. Mais cette espérance était au moins présomptueuse, car l’année précédente, l’État n’avait perçu, pour cet article ni 441 800 drachmes, ni 61 500 drachmes, mais 4457 drachmes 31 centimes, c’est-à-dire environ un pour cent sur ce qui lui était dû. "
_________________ Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.
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