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 Sujet du message : Re: Que penser de Joffre ?
Message Publié : 30 Juin 2020 14:54 
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Pierre de L'Estoile
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bonjour
j'encourage vivement b sonneck à la lecture de Georges Blond
La Marne et Verdun sont deux grands classiques parus dans les années 60 quand le Pays célébrait le Cinquantenaire
On vibre à la lecture et Joffre y est bien décrit

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 Sujet du message : Re: Que penser de Joffre ?
Message Publié : 30 Juin 2020 16:07 
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bourbilly21 a écrit :
bonjour
j'encourage vivement b sonneck à la lecture de Georges Blond
La Marne et Verdun sont deux grands classiques parus dans les années 60 quand le Pays célébrait le Cinquantenaire
On vibre à la lecture et Joffre y est bien décrit

+1
Georges Blond tient à faire partager la vision des batailles tant du point de vue des généraux que de celui des soldats. Comme à l'époque il a pu interroger des anciens encore très nombreux, l'écho de l'état d'esprit des soldats donne un côté très vivant à ses récits.

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 Sujet du message : Re: Que penser de Joffre ?
Message Publié : 30 Juin 2020 16:13 
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bourbilly21 a écrit :
bonjour
j'encourage vivement b sonneck à la lecture de Georges Blond
La Marne et Verdun sont deux grands classiques parus dans les années 60 quand le Pays célébrait le Cinquantenaire
On vibre à la lecture et Joffre y est bien décrit

Certes. Mais ce ne sont pas des émotions que je recherche, me seraient-elles fournies par un écrivain du talent de Georges Blond (plus journaliste qu'historien à ce que je crois, mais ce n'est pas un crime).

Essayer d'appréhender le déroulement des événements, la perception que les acteurs avaient de la situation du moment, les difficultés auxquelles ils étaient confrontés, les intentions avérées des uns et des autres (je laisse les arrière-pensées à l'imagination des écrivains), les processus de prise de décision, bref, m'efforcer de penser par moi-même, ne m'a pas semblé inconvenant.
Pour cela, j'ai la faiblesse de préférer les traces écrites de ce qui a réellement été échangé entre les acteurs. Avant de les juger, si tant est qu'il puisse être dans mes compétences (et mes intentions) de le faire, je crois de prudente sagesse de m'informer aussi précisément que possible de ce qu'ils ont fait et dit.
A mon âge, on ne se refait pas...


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 Sujet du message : Re: Que penser de Joffre ?
Message Publié : 30 Juin 2020 19:50 
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b sonneck a écrit :
Essayer d'appréhender le déroulement des événements, la perception que les acteurs avaient de la situation du moment, les difficultés auxquelles ils étaient confrontés, les intentions avérées des uns et des autres (je laisse les arrière-pensées à l'imagination des écrivains), les processus de prise de décision, bref, m'efforcer de penser par moi-même, ne m'a pas semblé inconvenant.

Là il y a un malentendu parce que c'est justement le point fort de Georges Blond. (De ce point de vue, sans être un historien de formation, il est très au delà du journalisme.)

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 Sujet du message : Re: Que penser de Joffre ?
Message Publié : 30 Juin 2020 20:54 
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En fait, je triche un peu en parlant de Georges Blond comme si je ne le connaissais pas du tout. Je n'avais pas 12 ans quand j'ai lu Le survivant du Pacifique, ouvrage que l'on m'avait offert et qui m'avait fortement impressionné ; il conditionne encore ma perception que ce qu'ont vécu les participants de ces batailles lointaines.
Donc côté sensations et émotions, j'ai pu apprécier cette facette de ses indiscutables talents.
Pour le flingage de Joffre, entre 1970 et 1972 j'ai lu Isorni... Je suis donc vacciné.
Comme je l'ai dit dans un message précédent, je ne me suis réintéressé à la Grande Guerre en gros que depuis 2014, Centenaire oblige. Ce qui m'a amené à constater qu'il était de bon ton, sur d'autres forums un peu spécialisés, d'accuser Joffre de tous les mots et de le vouer aux gémonies. Or, ce que j'ai découvert en consultant les documents de l'époque, donne un tout autre éclairage et m'a souvent amené à me demander si ceux qui vilipendaient l'intéressé savaient bien de quoi il retournait. Lorsque l'occasion m'est donnée de défendre quelqu'un que je crois (je dis bien que je crois, pas que je sais) injustement accusé, j'ai du mal à résister.

Avez-vous lu la récente biographie de Joffre, du lieutenant-colonel Rémy Porte ? Docteur en histoire, il a publié plusieurs autres ouvrages sur cette période, en particulier La mobilisation industrielle, premier front de la Grande Guerre ?.

Edtié pour corriger des fautes de frappe...


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 Sujet du message : Re: Que penser de Joffre ?
Message Publié : 30 Juin 2020 23:33 
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Vous parlez d'Isorni... que voulez-vous en attendre ? :rool:

Evidemment Georges Blond n'est pas amoureux de Joffre (mais ne le massacre pas) en revanche il est permis de le trouver très favorable à Pétain. Ce qui peut poser question.

S'il y a un général que Georges Blond massacre c'est Nivelle. Péripéties, informations et preuves à l'appui, il montre à Verdun un Nivelle aussi soucieux de sa publicité qu'indifférent aux pertes.

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 Sujet du message : Re: Que penser de Joffre ?
Message Publié : 01 Juil 2020 9:39 
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Pierma a écrit :
Vous parlez d'Isorni... que voulez-vous en attendre ? :rool:
Evidemment Georges Blond n'est pas amoureux de Joffre (mais ne le massacre pas) en revanche il est permis de le trouver très favorable à Pétain. Ce qui peut poser question.
S'il y a un général que Georges Blond massacre c'est Nivelle. Péripéties, informations et preuves à l'appui, il montre à Verdun un Nivelle aussi soucieux de sa publicité qu'indifférent aux pertes.

Je voulais simplement rappeler que la lecture, entre 1970 et 1972, de l'ouvrage de Jacques Isorni sur la Grande Guerre avait largement contribué, à l'époque, à m'édifier sur le haut commandement français présenté, pour le souvenir que j'en ai, comme totalement insensible aux pertes. Tous les généraux en prenaient pour leur grade, Joffre comme les autres. Cela m'avait durablement détourné de la Grande Guerre.

Mes interventions à propos de Joffre et de Blond, que l'on peut, je le conçois, trouver lourdement insistantes, découlent d'une autre discussion, où vous me parliez de Joffre comme totalement insensible aux pertes, en vous appuyant, m'avait-il semblé, sur ce qu'en disait G. Blond. C'était, je crois, après que j'aie évoqué la directive du 24 août 1914. Cela ne pouvait que heurter l'opinion que j'ai pu me faire à la lecture des nombreux documents de première main dont j'ai commencé à donner un aperçu (j'en donnerai un autre exemple dans un post ultérieur).

Pour Nivelle, je n'ai pas d'avis bien net. Je n'oublie pas son action lorsque, colonel d'artillerie, il a sauvé je ne sais plus quelle division pendant la bataille de la Marne en rameutant quelques batteries, amenées au galop sur le champ de bataille pour effectuer une "mise en batterie flash", domaine dans laquelle les artilleurs français excellaient, et stopper net une poussée ennemie. Ceux qui ont une dent contre Pétain le présentent parfois comme le véritable vainqueur de Verdun, mais j'observe que s'il lui a succédé le 5 mai 1916 à la tête de la IIe armée, Pétain est resté aux commandes, en passant le même jour de la 2e armée au groupe d'armées du Centre.

Quant à Pétain, j'aurai l'occasion d'en reparler. Je fais seulement remarquer :
- qu'il s'est montré en 1915 constamment opposé à la notion même de grande offensive, opération qu'il estimait inefficace et coûteuse (on le retrouve au travers des travaux préparatoires à ces offensives, tels qu'exposés dans les annexes des AFGG) ;
- que c'est dans le corps d'armée qu'il commandait (le 33e) que la seule percée, brève mais réelle, a eu lieu le 9 mai lors de la deuxième offensive d'Artois ;
- que les Allemands le considéraient tellement (de ce fait) qu'ils avaient la conviction que là où Pétain serait, là serait l'effort principal de la prochaine offensive (d'où les efforts français pour dissimuler aux yeux de l'ennemi la présence d'une 2e armée commandée par Pétain dans la deuxième offensive de Champagne, le 25 septembre 1915) ;
- qu'il a surtout sauvé l'armée française du chaos en mai 1917.
Il a été éclipsé par Foch en 1918, mais ceci est une autre histoire.
Cela ne m'a pas empêché de m'élever vigoureusement, sur un autre forum, contre un appel à militer pour le transfert de ses cendres à Douaumont. J'avais alors demandé s'il était possible d'imaginer que, malgré toute la considération qu'on puisse avoir pour ce grand soldat de 14-18, il puisse reposer au milieu de ceux dont il avait, d'un trait de plume, voué les familles à l'extermination en signant le décret portant statut des juifs.

Mais on s'écarte là du sujet, et je revendrai dans un post à suivre sur Joffre et les pertes.


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 Sujet du message : Re: Que penser de Joffre ?
Message Publié : 01 Juil 2020 19:58 
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Joffre insensible aux pertes ?
Je verse au dossier les deux documents suivants.

Le premier est cette note personnelle et secrète, datée du 10 avril 1915 et adressée à tous les commandants d'armée :

J’ai déjà attiré à plusieurs reprises votre attention sur les conditions de préparation et d’exécution des attaques. Je vous adresse par ailleurs une nouvelle note à ce sujet.
Dans nos récentes opérations, nos fantassins ont partout attaqué avec un entrain remarquable. Mais seules ont réussi entièrement les actions rigoureusement et méthodiquement organisées : où l’infanterie, préalablement établie à bonne distance d’assaut, n’a été déclenchée qu’après destruction complète des défenses accessoires et bouleversement des tranchées ennemies de première et seconde ligne ; où les liaisons de toute nature étaient assurées ; où l’attaque, développée sur un front suffisant, a pu être soutenue et prolongée par l’arrivée des renforts, appuyée par l’artillerie pendant tout son développement.
La réalisation de toutes ces conditions est l’œuvre personnelle du commandement à tous les échelons. Il doit, par une surveillance constante, activer la préparation, en stimulant les efforts de tous. Mais son strict devoir est de ne déclencher les attaques qu’après avoir pris toutes précautions possibles pour qu’elles ne se heurtent pas à des organisations défensives insuffisamment reconnues et désorganisées.
Pendant le combat, les généraux de brigade et de division doivent occuper les postes de commandement assez rapprochés pour être en liaison constante avec les commandants de régiments et les commandants de l’artillerie, ne donner le signal de l’attaque qu’en connaissance de cause, enfin diriger effectivement l’action pendant toutes ses phases successives.
Au cours de la préparation, l’attention du commandement doit être spécialement attirée sur la nécessité :
a- D’organiser rapidement un réseau complet de boyaux et de places d’armes donnant toutes facilités pour l’exécution des mouvements préparatoire à l’offensive des troupes ainsi que de leurs renforts.
b- De pousser l’artillerie aussi en avant qu’il est nécessaire pour qu’elle puisse efficacement détruire les défenses accessoires, accompagner et flanquer les attaques d’infanterie.
c- De disposer d’observateurs d’artillerie nombreux et bien choisis, placés près de l’infanterie jusque dans les tranchées de première ligne, afin d’assurer le réglage minutieux du tir et d’accompagner les troupes d’attaque au moment de l’assaut.
d- De réaliser toutes les liaisons d’artillerie et d’infanterie au moyen de réseaux téléphoniques enterrés et doublés de communications optiques, appareils de signalisation etc.
Dans les rapports à envoyer après chacune des attaques, il me sera rendu compte des dispositions prises en exécution des prescriptions ci-dessus.
Signé : J. Joffre.

AFGG, tome 2, annexe 1357 (2e volume d’annexes, page 898 du PDF).

On se souviendra qu'à cette époque (1915), l'armée allemande, fortement engagée sur le front Est, s'était solidement retranchée à l'ouest ; que l'armée française était en train de découvrir les principes d'une guerre de siège, qu'elle avait totalement oubliés.

Le second document est ce télégramme envoyé le 13 avril 1915 par le GQG au général Dubail, délégué du commandant en chef pour les armées de l'Est et en charge des opérations dans la Woëvre (tentatives de réduction du saillant de Saint-Mihiel, Eparges) :

Primo – D’après vos comptes rendus, les échecs de nos attaques semblent résulter d’une préparation insuffisante. Le général Gérard a fait connaître le 11 avril qu’il serait prêt à attaquer le 12 au matin sans avoir vérifié par lui-même ou par des officiers de son état-major que la préparation était incomplète.
Secundo – Je vous prie de rappeler aux exécutants les prescriptions de mon instruction du 10 avril et de veiller à leur stricte observation, notamment en ce qui concerne l’action directe et personnelle des généraux pour contrôler la préparation.
Tertio – Il est imprudent de fixer a priori une heure précise pour l’attaque. Il est impossible en effet de savoir si la préparation sera complètement achevée à l’heure dite en raison du mauvais temps, de l’action de l’artillerie ennemie, etc.
Quarto – Le commandant de l’attaque se croit alors obligé de partir à heure fixe. Il en résulte que la préparation risque d’être insuffisante et que les troupes se trouvent arrêtées par les défenses accessoires. Elles se rendent compte alors qu’elles font des pertes inutiles et leur esprit offensif en est nécessairement atteint.

AFGG, Tome 2, annexe 1378 (2e volume d’annexes, page 934 du PDF).

Joffre n'était pas Saint-Cyrien mais Polytechnicien et avait fait carrière dans le Génie. L'attaque à outrance sabre au clair, ce n'était visiblement, de mon modeste point de vue, pas son univers mental.
Dans un autre post, j'apporterai des éléments relatifs à la grande offensive de de Champagne de septembre 1915.


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 Sujet du message : Re: Que penser de Joffre ?
Message Publié : 01 Juil 2020 20:44 
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Tres intéressant

Merci à b sonnek pour ses recherches


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 Sujet du message : Re: Que penser de Joffre ?
Message Publié : 01 Juil 2020 20:54 
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Pierre de L'Estoile
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Bonsoir
quans Isorni est évoqué sur ce post, je suppose que ce sont les 4 tomes sur 14/18 écrits avec Louis Cadars ?
Parce que là aussi c'est magistralement écrit, avec des paragraphes à faire apprendre par coeur aux enfants des écoles...

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 Sujet du message : Re: Que penser de Joffre ?
Message Publié : 01 Juil 2020 21:26 
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bourbilly21 a écrit :
Bonsoir
quans Isorni est évoqué sur ce post, je suppose que ce sont les 4 tomes sur 14/18 écrits avec Louis Cadars ?
Parce que là aussi c'est magistralement écrit, avec des paragraphes à faire apprendre par coeur aux enfants des écoles...

C'était en effet en plusieurs volumes, mais seul le nom Isorni m'est resté en mémoire. Sans doute car c'était également celui d'un avocat assez connu à l'époque, un de ceux qu'on désignait comme "les ténors du barreau". Peut-être le même d'ailleurs. C'était en 70-72 et je l'avais emprunté à une bibliothèque, dans un endroit qui vous surprendrait d'ailleurs. Je ne l'ai jamais revu nulle part et n'en ai conservé qu'une impression générale sur sa tonalité, voisine du pamphlet.


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 Sujet du message : Re: Que penser de Joffre ?
Message Publié : 01 Juil 2020 22:40 
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Très bien pour cette instruction générale de Joffre, qui montre son souci de faire les choses méthodiquement. Il assure son rôle de généralissime. (Pendant la bataille des frontières il avait dû de la même façon mettre une sourdine aux attaques lancées de trop loin, ou sans souci de l'appui de l'artillerie, etc...) Dans les deux cas l'inquiétant est qu'il ait dû le faire.

Mais de quelles attaques parle-t-il ? On dirait un blanc seing à ses généraux, même si on peut espérer que ces attaques ne se faisaient pas sans l'approbation du GQG ? (Georges Blond dans "Verdun" : "l'ordre de se faire tuer sur place ne révoltait pas les hommes, ou en tous cas il les révoltait moins qu'on pourrait le croire. Ce qui les choquait, c'était ces attaques de détail dont ils devinaient que le seul objet consistait à mettre en valeur l'esprit offensif d'un général.")

De même réduire le saillant de Saint-Mihiel ou garder les Eparges, est-ce que ça justifiait les sacrifices consentis ? (il y avait comme ça tout au long du front des positions qualifiées "d'observatoire indispensable" ou "stratégique", qui prélevaient leur tribut humain comme s'il était infini. J'ai déjà cité l'Hartmanswillerkopf, un autre bon exemple. Et on verra partout le même scénario : après des massacres mémorables, les deux adversaires s'établiront sur des positions qui ne bougeront plus jusqu'en 1918. "Lourdes pertes, gains nuls". Mais Joffre n'est pas le seul à en porter la responsabilité.)

Pétain avait la réputation justifiée de se soucier des pertes, mais, même si on ne peut lui dénier un souci d'humanité, il avait d'abord constamment en tête la situation des effectifs de l'armée française. De fait à force de saigner le pays, l'armée française se trouvera fin 1917 avec une sévère crise des effectifs contre laquelle il devra utiliser tous les moyens, parfois sans résultats vraiment spectaculaires. (Typiquement la chasse aux embusqués se révéla très difficile, avec un rendement très faible. Faut-il s'en étonner ?)

Encore la nomination de Pétain à la tête de l'armée nécessitera-t-elle une mutinerie, d'une armée de grande valeur, et même à ce moment supérieure à son commandement, cela à cause d'une "offensive décisive" de trop.

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 Sujet du message : Re: Que penser de Joffre ?
Message Publié : 02 Juil 2020 10:28 
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Finalement, nos points de vue se rapprochent, Pierma.
Comme vous le dites, il est regrettable que Joffre ait dû recourir à ces directives pour ramener les troupes et le commandement à la raison et imposer une vision plus réaliste de la guerre moderne. Et là, je mets dans le même sac troupes et commandement. Les officiers avaient été nourris depuis leur enfance du mythe de la prévalence des forces morales sur les considérations matérielles et sont partis à la guerre sincèrement persuadés que la vigueur d'une charge impétueuse, baïonnette au canon, suffirait à balayer l'ennemi. C'est ce schéma qu'ils avaient répété lors des grandes manoeuvres ; c'est cet enthousiasme collectif qui avait poussé quelques Saint-Cyriens à faire le serment de monter à l'assaut en casoar et en gants blancs ! On a la preuve qu'au moins deux ont tenu parole ; ils sont morts le 22 août 1914... Et il n'y avait pas que les officiers : comme je l'ai signalé dans une autre discussion, le 10 août 1914 à Mangiennes, ce sont deux bataillons du 130e RI qui se sont lancés spontanément et sans aucun ordre à l'assaut d'un ennemi qu'ils ne voyaient même pas ! Dépassés par les évènements, les officiers ont suivi leurs hommes...
Il se dit que le lieutenant-colonel Foch, professeur de tactique à l'Ecole supérieure de guerre, a contribué à l'installation de ce dogme de l'attaque à outrance. Je n'ai pas les éléments (le texte de ses cours) pour en juger et m'abstiendrai donc d'émettre un avis sur la question.

Sur l'autre point que vous abordez - qui décidait des attaques prononcées en dehors des grandes offensives, il est clair que tout était étroitement contrôlé et décidé par le GQG. Pour une raison toute simple, surtout en 1915 : la gestion très serrée et centralisée des ressources indispensables à ces attaques : artillerie lourde, munitions d'artillerie (artillerie lourde et 75), renforts d'infanterie.
Le parc d'artillerie lourde commençait seulement à monter en puissance, par utilisation du matériel ancien récupéré dans les places fortes que l'on s'efforçait de rendre mobile. On commençait seulement à sortir de la grave pénurie en obus de 75 : la moitié du stock d'entrée en guerre avait été consommé au 15 septembre, ce qui avait laissé craindre un arrêt total des opérations pour le 15 octobre ; on avait donc relancé en catastrophe les fabrications, en y associant cette fois les industriels. Conséquence imprévue : la mauvaise qualité des obus livrés a entraîné un nombre considérable (plus de 400) d'éclatement de tubes de 75 fin 1914 et début 1915.

Pour le processus décisionnel : en gros, le GQG indiquait aux armées les buts à atteindre dans leur secteur ; les commandants d'armée faisaient plancher leurs états-majors et leurs corps d'armée, puis proposaient au GQG les opérations qu'ils envisageaient de mener pour répondre aux objectifs fixés ; le GQG examinait, critiquait, demandait des explications, demandait des modifications, et n'attribuait les moyens que pour les opérations approuvées. L'ouvrage sur les AFGG que je cite souvent donne tout le détail, documents à l'appui (les annexes) sur toutes ces tractations entre les différents échelons de commandement. L'impression que s'en dégage, c'est qu'il y avait bien un pilote dans l'avion.

Dans le cas présent (opérations en Woëvre), le but était de rétablir l'usage de la voie ferrée Commercy - Verdun, en effaçant le saillant de Saint-Mihiel. On n'y parviendra pas et cela pèsera lourd lors de la bataille de Verdun.

La bataille pour la conquête des points hauts était inévitable : qui tient les hauts tient les bas, tous les militaires le savaient, de quelque côté qu'ils fûssent. On se battra furieusement pour les Eparges, pour le Viel-Armand, pour les Monts de Champagne, pour la crête de Vauquois, pour tous les observatoires à partir desquels ont peut observer loin et régler le tir de son artillerie tout en étant abrité.

Pétain a été nommé à la place de Nivelle le 15 mai 1917. Dès le 19 mai, il a diffusé deux documents :
- Une directive n°1"pour les commandants de groupes d'armée et armées seulement", qui débutait par ces lignes :
L’équilibre des forces adverses en présence sur le front du Nord et du Nord-Est ne permet pas d’envisager, pour le moment, la rupture du front suivie de l’exploitation stratégique. C’est donc à user l’adversaire avec le minimum de pertes qu’il importe actuellement d’appliquer son effort.
Point n’est besoin pour obtenir cette usure de monter de grosses attaques en profondeur, à objectifs éloignés. Ces attaques ne donnent pas le bénéfice de la surprise, car par les travaux multiples qu’elles exigent, elles s’inscrivent longtemps à l’avance sur le terrain. Elles sont coûteuses, car l’assaillant s’y use généralement plus que le défenseur. Elles sont aléatoires car, conduisant à étendre la préparation initiale d’artillerie à toute la profondeur de la zone organisée, elles risquent, par un tir ainsi dilué, d’obtenir dans l’ensemble des effets insignifiants et d’exposer l’attaque à se briser contre la première position imparfaitement détruite.

texte complet dans l'annexe 235 du tome V, volume 2 des AFGG (1er volume d'annexes, page 413 du PDF).
Il ne disait déjà pas autre chose en 1915.

- Une Note relative à l'attitude du commandement, débutant par ces lignes :
Le moment me semble venu d'attirer l'attention du commandement à tous les échelons sur l'état moral qu'il est nécessaire d'entretenir ches les officiers. Nos officiers ont donné, depuis bientôt trois ans, des preuves du courage le plus héroïque et, néanmoins, ils hésitent à signaler à leurs chefs les difficultés d’exécution qu’ils constatent, dans la crainte d’être taxés d’esprits timorés. Il résulte de cette abstention craintive que le commandement supérieur maintient parfois des ordres qu’il n’eût pas hésité à compléter ou à différer s’il eût été mieux renseigné. La constatation en a souvent été faite au sujet du degré d’avancement des préparations d’attaque . Il appartient au commandement, par son attitude, de réagir contre cette tendance. Le supérieur doit ménager à son subordonné un accueil bienveillant, montrer le désir de l’aider à résoudre des difficultés qui l’arrêtent, faire appel aux renseignements utiles et même les provoquer. Dans la guerre actuelle, la puissance meurtrière du feu ne permet pas les expériences .
Texte complet dans l'annexe 237 du tome V, volume 2 (1er volume d'annexes, page 417 du PDF).

Or, en étudiant la préparation et le déclenchement de l'offensive du 25 septembre 1915 en Champagne (le 124e RI, de Laval, y était), j'ai effectivement constaté, en épluchant les journaux de marche, que certains régiments de la 124e DI (dont faisait partie le 124e RI) chargés d'attaquer le Mont Haut avaient constaté dès le 24 au soir que les réseaux de fils de fer ennemis n'étaient pas détruits. Le 101e RI note même, dans son JMO :
« 24 septembre. Préparation par l’artillerie. Le 24 au soir, aucune brèche n’a été préparée dans les réseaux de fil de fer ennemis par les batteries du 4e groupe du 44e d’artillerie chargé de ce travail. La liaison téléphonique n’existe pas avec ce groupe qui devrait travailler dans notre secteur d’attaque. Un aspirant (de jour) et un maréchal des logis (de nuit) sont en liaison auprès du PC du régiment, mais leur action est nulle auprès de leur groupe. Aucun des tirs demandés n’a pu être obtenu. Compte-rendu de la situation est adressé à M. le général commandant la 247e brigade ».
Cette information n'est pas remontée au 4e corps d'armée ; du moins, cela ne paraît pas dans son JMO. L'attaque a été déclenchée le 25 comme prévu. Dans le secteur de la 124e DI : échec total...

Conclusion : la responsabilité des pertes est probablement plus répartie qu'on ne pourrait le penser à première vue...


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 Sujet du message : Re: Que penser de Joffre ?
Message Publié : 02 Juil 2020 14:45 
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Le colonel Goya a consacré un ouvrage complet à décrire le processus d'évolution et d'apprentissage de l'armée tout au long de la guerre, qui en fera en 1918 la meilleur armée du monde. Cette armée n'est pas statique intellectuellement.

Pour autant je maintiens que Joffre a persisté trop longtemps à la recherche de la percée sur le front ouest. Typiquement, en 1916, les Allemands ayant décidé de prendre l'initiative à Verdun, il aurait pu s'éviter l'offensive de la Somme, une boucherie supplémentaire dans la guerre d'usure. (Et qui a rendu la défense de Verdun plus difficile en exigeant la plus grande partie de la nouvelle artillerie lourde.)

Le plus choquant chez Joffre est cette certitude de réussir, à chaque fois, qui ne se laisse émouvoir ni détourner par rien. (Pour autant que je sache, on n'a aucun texte de Joffre marquant des sentiments fraternels ou l'impression douloureuse produite par les états de perte qui lui passaient sous les yeux.)

Le fait qu'il soit débarqué fin 1916 est dans l'ordre des choses : les politiques se lassaient. (Le malheur est qu'ils se sont laissés abuser par Nivelle, auréolé bien à tort de la victoire à Verdun.)

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Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. (Chamfort)


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 Sujet du message : Re: Que penser de Joffre ?
Message Publié : 02 Juil 2020 16:03 
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Pierre de L'Estoile
Pierre de L'Estoile

Inscription : 13 Mars 2010 20:44
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Passionnant
si ma mémoire est bonne, Joffre pond une circulaire dès fin août 14 pour tenter de rectifier le tir, après les désastreuses attaques du 22 août, et rappeler les fondamentaux d'une attaque d'infanterie

Le dogme de l'attaque, ce sont les conférences enfiévrées du Lt Colonel Lacour-Grandmaison avant 1914 à l'ESG je crois

Cette circulaire de Joffre, Georges Blond a écrit qu'elle était restée sur le cœur des Anciens de 14, eux qui avaient chargé avec fougue, conformément au dogme

Honneur aux morts des 1er RTA à Chatelet et des Zouaves d'Auvelais...

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il pleuvait, en cette Nuit de Noël 1914, où les Rois Mages apportaient des Minenwerfer


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