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Message Publié : 23 Mai 2021 6:16 
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Jean Froissart
Jean Froissart
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LA TRAGÉDIE BRUNE
Maison Heinrich Heine
10 octobre 2018
Frédéric Sallée (Historien) et Johannes Wetzel (Journaliste)

La limité d'un message étant de 60 000 caractères, je suis obligé de mettre l'intégralité de cette conférence sur deux messages (elle fait plus de 68 000 caractères)

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Madame Christiane Deussen (présidente de la MHH) : Chers amis de la Maison Heinrich Heine, chers participants, bienvenue à notre conférence/débat consacrée aux débuts du nazisme et à la sagacité d'un certain nombre d'observateurs, qui dès 1933, ont compris les dangers de ce mouvement.
«La Tragédie brune» - c'est le titre de cette soirée - tourne autour de la personne de Xavier de Hauteclocque, grand reporter français et écrivain, empoisonné par les nazis en 1935. Ce germanophile, cousin du futur Maréchal Leclerc, multiplie les voyages outre-Rhin entre 1932 et 1934 et publie plusieurs livres et articles particulièrement clairvoyants, qui mettent en garde, dès cette époque, contre les dangers du nationalisme-socialisme et alerte sur la catastrophe à venir.
Dans son livre La Tragédie brune (c'est ce livre là, qui vient d'être réédité l'année dernière), publié en 1934 à la Nouvelle Revue critique, et écrit à la suite de son voyage en Allemagne en novembre 1933, Xavier de Hauteclocque raconte de l'intérieur le mécanisme de la répression hitlérienne et la mise en place d'un État totalitaire remodelé par la politique nazie. Comme l'écrit son éditeur, je cite : «Son regard s'attarde là où d'autres ferment les yeux, ses pas le conduisent là où peu s'aventurent et finalement sa plume décrit ce que beaucoup préfèrent ignorer. Son récit, à la première personne, frappe par sa modernité, sa sincérité, sa lucidité et surtout avec le recul tragique de l'Histoire, par son caractère prémonitoire.» (Fin de citation). La Tragédie brune vient d'être adaptée sous forme de bande dessinée, par deux spécialistes de la bande dessinée, Christophe Gaulthier (dessin) et Thomas Cadène (scénario).

Contrairement à ce qui a été indiqué sur notre programme, les deux auteurs ne pourront pas être là ce soir. La qualité de leur travail nous a toutefois incités à maintenir cette soirée et surtout ça grâce à la présence de l'Historien Frédéric Sallée, dont nous avons beaucoup apprécié la conférence, en avril dernier, consacrée à son ouvrage Sur les chemins de terre brune.Voyages dans l'Allemagne nazie, ça c'est le livre, et Frédéric Sallée est grand spécialiste de ces thématiques. Il présentera la bande dessinée la Tragédie brune et nous éclairera sur le contexte et cela grâce à l'entretien qu'il aura avec le journaliste Johannes Wetzel, spécialiste des questions culturelles, et je vous remercie tous les deux d'avoir accepté notre invitation et je pense, je passe de suite la parole à Johannes Wetzel.



Johannes Wetzel : Merci beaucoup. Merci au public d'être venu ce soir. Et bien effectivement, Frédéric Sallée, il a la tâche de présenter un livre qui n'est pas le sien, mais on aura l'occasion de revenir à ce livre-là, que le public fidèle de la Maison Heinrich Heine a déjà pu découvrir, mais qui est très riche et d'ailleurs, effectivement madame Deussen a montré la couverture, je crois que c'est une affiche de la Lufthansa de 1935 et qui dit «A pleasant trip to Germany», donc effectivement on pouvait faire des beaux voyages en Allemagne en 1935, vous nous en parlerez peut-être un peu à la fin, effectivement le sujet ce soir c'est plutôt la bande dessinée, dont les auteurs sont absents mais leur image parle pour eux et effectivement c'était une bonne idée de montrer quand même quelques images pour vous donner tout de suite une idée de ce trait, de ce graphisme et de la traduction en images du sens de cet ouvrage qui s'appelle «La Tragédie brune» et vous remarquez en effet que les tons de brun, cette atmosphère brune est traduite dans cette bande dessinée. Une bande dessinée qui -Frédéric Sallée va en parler- retrace donc, qui reflète le texte ou les textes peut-être aussi de Xavier de Hauteclocque, journaliste français. Frédéric Sallée vous êtes donc l'auteur de ce livre, c'est votre thèse de doctorat et puis vous êtes historien à l'université de Grenoble et dans le secondaire. Vous avez donc eu l'occasion de travailler un peu sur ce fameux Xavier de Hauteclocque : qui était-il ?

Frédéric Sallée : Bonsoir à tous, merci d'être là. J'ai été surpris -surpris oui et non-de voir que l'adaptation a été faite en bande dessinée, il y a un regain d'intérêt pour ce personnage. Alors les rares occurrences qu'on retrouvait dans la presse actuelle avec Xavier de Hauteclocque (…) ça a été par son rôle de cousin du futur général Leclerc.
En fin de compte, en quelques mots, ça serait un petit peu le père du journalisme d'investigation, Xavier de Hauteclocque C'est quelqu'un qui a dévoué sa vie, il est mort extrêmement tôt, il est né en 1897, me semble t-il, pour être assassiné par les nazis en 1935, à la suite d'une longue agonie en avril 1935. C'est donc quelqu'un qui est mort à l'âge de 38 ans et qui a produit énormément d'enquêtes.
Alors, les plus célèbres ce sont celles qu'on a vues en présentation sur le diaporama c'est en fait un ensemble de trilogie consacrée au nazisme, qui sont parues à trois ans d'intervalle, 1933, 1934, 1935. Ça commence avec son, peut-être encore plus célèbre que la Tragédie brune, du moins à l'époque, qui a rencontré un vif succès éditorial c'était «A l'ombre de la croix gammée». La Tragédie brune est son second ouvrage majeur et ça se terminera avec «Police politique hitlérienne» qui sera publiée juste quelques semaines avant sa mort. Mais avant cela il avait mené des investigations essentiellement en URSS. Et c'est en URSS qu'il va connaître un peu ses lettres de noblesse. Il va remporter un prix littéraire, qui est à la fois un prix littéraire et un prix de journalisme, c'est un prix qui s'appelle le prix Gringoire qui a été remis par le journal Gringoire. Pour ceux qui connaissent un peu la presse des années 30, c'est un journal à très fort tirage dans les années 30 et il aura le prix Gringoire en 1932 pour une série d'articles, qui s'appelait Perceur de frontières. Alors Perceur de frontières c'était une série d'enquêtes journalistiques sur la vie en URSS et surtout sur la vie en URSS dans des contrées soviétiques dans lesquelles personne n'était réellement allé, c'est-à-dire tout le nord ouest, qui aujourd'hui serait à peu près les marches russes en allant vers la Finlande. Donc, il passe plusieurs mois là-bas, il se fait remarquer. Il était pas spécifiquement dévolu au journal Gringoire, il travaillait pour d'autres magazines dont le très célèbre magazine Vu, qui était vraiment le magazine du photo reportage, à la fin des années 20- 1930 et après il va basculer sur Gringoire. Donc, c'est un peu le père du journalisme d'investigation et c'est surtout un très fin connaisseur de l' Allemagne, puisque, bien qu'il aille en URSS à la fin des années 20, il multiplie les voyages et il y a des récits qui sont beaucoup moins connus que ceux qui étaient affichés en introduction de ce débat. Durant la république de Weimar, à la fin de 1932, il parcourt les campagnes, chose assez rare déjà pour les voyageurs ou les journalistes. Souvent c'est Munich, Nuremberg, Berlin essentiellement, et lui parcourt les campagnes et il va livrer une série d'articles qui sera en fait une enquête journalistique, qui s'appelle Aigle de Prusse. Alors si vous avez l'occasion de lire cela, c'est extrêmement intéressant, parce que dès 1932 il alerte sur les dangers du national-socialisme et il alerte au début 1932, avant les élections législatives de juillet 1932 et de novembre 1932, où là les scores s'envolent à plus de 30%, mais c'est un parti qui -avec beaucoup de guillemets- ne fait encore que 18% au début 1932. Donc, c'est quelqu'un effectivement qui est assez visionnaire sur la future «tragédie brune ». Donc, voilà, le père du photo-reportage et du journal d'investigation.

Johannes Wentzel : Et c'est un authentique germanophile aussi, j'ai lu qu'il a fait un Bac avec l'allemand, il fait partie de l'élite française qui, dans ces années 1920, a beaucoup ?uvré pour le rapprochement franco-allemand, donc c'est quelqu'un qui n'avait a priori pas d'aversion primaire contre l'Allemagne, il n'y a pas d'anti-germanisme primaire et en plus c'est quelqu'un qui... c'est la noblesse française, France du Nord, ce n'est pas un homme de gauche, et effectivement vous avez parlé du journal Gringoire, grand journal, très important, on en a parlé tout à l'heure, qui a viré, tard, vers la droite musclée mais qui a commencé plutôt vers une droite se positionnant vers une droite libérale, bourgeoise. Tout cela pour dire que Xavier de Hauteclocque n'est pas un anti-nazi au départ, c'est quelqu'un qui l'a découvert sans doute en découvrant le pays.

Frédéric Sallée : Oui tout à fait, ça diffère d'autres journalistes qui comme Hauteclocque – alors point très important dans la vie de Hauteclocque, avant de parler des publications de la Tragédie brune, c'est un soldat de la Première Guerre mondiale. Il s'engage, engagé volontaire tout à fait, il s'engage. Il va perdre son père, il va perdre son frère, et malgré cela il n'y a pas de ressentiment anti-allemand, effectivement, il n'y a pas d'anti-germanisme primaire dans les années 20 ; alors de là à dire qu'il participe au pacifisme intégral, il y a un pas mais en tout cas, contrairement à certains journalistes qui sont issus de cette génération du feu de 14-18 et qui vont développer ce ressentiment anti-allemand, ce n'est pas le cas chez Hauteclocque. Sur sa carrière au sein du journal Gringoire, Gringoire on le connaît aujourd'hui comme journal de la droite dure, avec des dérives, avec des articles qui ont été des articles antisémites mais à la fin des années 30, la bascule n'est pas opérée au moment où Xavier de Hauteclocque publie dans Gringoire. Les journaux antisémites qui vraiment ont pignon sur rue dans les années 30, ce sera l'hebdomadaire, Je suis partout de Gaxotte et Brasillach, après on aura le journal L'Oeuvre alors on n'est pas dans ce niveau là au tournant 1933-1934 dans Gringoire, d'ailleurs Hauteclocque est un des premiers à parler de l'antisémitisme comme étant, je crois qu'il cite, «le point névralgique de la doctrine hitlérienne, il écrit ça en 1933. C'est quelque chose que l'on ne va pratiquement jamais retrouver dans les écrits français, on va le retrouver parmi les journalistes britanniques, cet antisémitisme comme épine dorsale de la Weltanschauung, cette vision du monde nazie, mais pour les journalistes français, l'épine dorsale ce n'est pas l'antisémitisme, c'est d'avoir des discours anti-français, c'est l'anticommunisme, ce sont les discours belliqueux d'Hitler, ce sont les autres thématiques que l'on peut retrouver dans Mein kampf, et ce n'est pas l'antisémitisme et Hauteclocque va cibler cela dès 1930. Donc, c'est vrai c'est un profil particulier et il n faut pas perdre de vue cela. C'est un ancien soldat de la Première Guerre Mondiale, qui a perdu des membres de sa famille.

Johannes Wetzel : Alors qu'est ce qu'il voit, quand il vient en Allemagne ? En tout, il a fait 5 voyages en tout j'ai lu quelque part ?

Frédéric Sallée : Il a fait 5 voyages entre 1932, entre l'hiver 1932-33 et son empoisonnement au printemps1935, oui.

Johannes Wetzel : Et le voyage sujet du livre c'est le 4e ?

Frédéric Sallée : 3e ou 4e oui. En tout cas ce n'est pas le dernier, le dernier donnera naissance à son ouvrage Police politique hitlérienne. En fait la Tragédie brune c'est même plusieurs voyages, la bande dessinée commence, je crois, en 1933 et après on va jusqu'à sa mort, mais en fait on a que le voyage de 1933, qui se déroule entre Berlin, principalement et Munich.

Johannes Wetzel : Effectivement, la preuve en image c'est Paris octobre 1933, il frappe à la porte de Gringoire, le rédacteur en chef lui dit «Écoute, tu devrais peut-être retourner en Allemagne » et ce voyage va se faire en novembre 1933, publication ensuite en 1934. Alors qu'est-ce qu'il voit ? Effectivement il arrive au début de ces douze années .

Frédéric Sallée : Déjà, on a une adaptation, qui est extrêmement fidèle au texte originel de la Tragédie brune et l'avantage de ce texte c'est qu'on a un texte extrêmement descriptif. Et, Xavier de Hauteclocque, en fait, a, à sa disposition, à peu près les mêmes moyens, ce sera plus compliqué à la fin de ses voyages, mais il a à sa disposition en 1933 à peu près les mêmes moyens que les autres journalistes. Bien qu'il soit un peu plus vigoureux dans la dénonciation, il peut voir les mêmes choses et, effectivement, il va suivre le parcours classique, c'est-à-dire la porte d'entrée de l'Allemagne, ça va être Berlin, il va aller à Berlin, et c'est très bien représenté dans la bande dessinée, parce que ça arrive très tôt, et c'est une focale vraiment de la part tous les visiteurs de l'Allemagne, une des premières choses qui les intéressent, avant même d'aborder le nazisme en tant qu'objet d'étude politique, c'est d'essayer de savoir ce qu'il reste de la république de Weimar. Et de savoir si le cosmopolitisme, l'engouement culturel qu'il y avait à Weimar et cette mixité sociale qu'on pouvait trouver, est toujours présente à Berlin. Cela se voit dans les premières pages de la bande dessinée, il y a Hauteclocque qui déambule dans Berlin et qui se dit, mais où sont passées toutes les terrasses de café, les terrasses de bar, où sont passées les prostituées qu'on pouvait voir sur les trottoirs berlinois, où est passée cette vie-là qui était le bouillonnement de Weimar. Et cela c'est vraiment symptomatique de l'année 1933-34, où avant même de se focaliser sur le nazisme, on va se focaliser sur la mort progressive de Weimar. Et, Hauteclocque ne fera pas ce voyage-là, mais il y a des journalistes qui ne trouvant pas la survivance de Weimar dans la Berlin des années 1933-34 vont se déplacer vers d'autres villes, où les nazis sont soit un peu moins présents soit n'ont pas réussi à contrôler tous les quartiers un peu bouillonnants, je pense au quartier de Sankt Pauli à Hambourg, je pense à une ville comme Düsseldorf, où on va encore pouvoir trouver une République de Weimar qui se meurt. Et cela c'est même très bien mis en avant dans les premières pages de la bande dessinée, parce que c'est cela le premier contact des journalistes en 1933, avant même de se focaliser sur le nazisme.

Johannes Wetzel : Effectivement, cette scène dans le café français de Berlin où il dit «j'avais l'habitude d'aller pour aller lire le journal français», il utilise le terme que vous venez d'utiliser, le terme cosmopolite, c'est le Berlin cosmopolite que tout le monde aimait, dans les années 20 qui faisait un peu rêve, et, effectivement, il ne le retrouve pas et il y a une scène, assez amusante, il y a
-amusante, façon de parler- il y a deux jeunes filles avec de lourdes tresses blondes, qui rentrent et qui s'offusquent de la présence d'abord de deux voisines de l'auteur, qui sont juives, et ensuite quelqu'un qui lit un journal français donc d'abord ce sont des «Hofjuden» et ensuite des «Hoffranzosen» et tout cela dans ce café qu'il a tant aimé, qui représentait le Berlin de Weimar.

Frédéric Sallée : Et le café est un lieu incontournable pour les journalistes même pour les voyageurs de l'Allemagne des années 1933-1939, puisque c'est un lieu qui va changer de fonction. C'était, effectivement comme vous l'avez très bien dit, le lieu de retrouvailles à l'époque de Weimar, et une fois que, progressivement, la république de Weimar se délite, ça va être, non plus le lieu de retrouvailles mais ça va être un lieu de refuge pour la communauté étrangère à Berlin, et, ce n'est pas Hauteclocque qui a ce terme, mais c'est un journaliste américain qui s'appelle John Louis Spivack, qui a écrit un ouvrage qui s 'appelle Europe under the terror, et il parle des underground speaks c'est-à-dire les «discours souterrains», c'est-à-dire c'est là-bas qu'on va pouvoir trouver refuge et trouver quelques informations qu'on n'aura pas ailleurs, puisque l'opposition sera muselée, cadenassée (on reviendra sur la vision de l'opposition par Hauteclocque), mais ce café va devenir refuge et ça ça va devenir une constante jusqu'aux années 1938-1939, où après les patrons de café diront aux journalistes «faites attention, même dans les cafés les murs ont des oreilles ». Et là dessus, que Hauteclocque et d'autres vont assez bien sentir la chose, c'est-à-dire pour avoir des informations il faut non plus passer par les hauts dignitaires du régime, mais il faut aller voir l'allemand ordinaire, l'homme de la rue, qui est dans le café et éventuellement pourra donner quelques informations. Quand je pense au café, je pense toujours à une phrase de Balzac, qui disait : «le café, c'est le Parlement d'une nation, c'est le Parlement de la rue», et c'est tout à fait vrai en Allemagne, et c'est un des seuls endroits où on a des poches de résistance encore en Allemagne au national-socialisme et cela permet de voir que ce que les historiens, surtout les professeurs de Sciences politiques ont un concept qu'ils manient, c'est le totalitarisme, qui est un concept inopérant à partir du moment où on a ces poches de résistance qui perdurent dans le café. Le régime ne peut pas tout museler, ne peut pas museler l'intégralité des cafés berlinois et l'intégralité des cafés allemands. Et, effectivement c'est assez bien vu de la part des auteurs, parce que très rapidement le café devient, on le voit, c'était le lieu de retrouvailles, il n'y a plus les retrouvailles, ça devient un refuge pour Hauteclocque.

Johannes Wetzel : Et il y a un autre refuge, où il avait ses habitudes c'est une espèce de bar à prostituées, qui est vide et il tombe sur l'ancien violoniste, je crois, qui lui dit en confidence «voilà c'est la crise, il n'y a plus personne qui vient ni boire la bière, ni chercher de la compagnie et en plus c'est la police» et donc à ce moment il apprend aussi ce qu'on ne montre pas c'est-à-dire où ils vont, où elles ont disparu ces personnes.

Frédéric Sallée : Alors, justement, ces soirées où la bière coulait à flots, en réalité, elles existent toujours. Elles existent toujours parce qu'elles ont été récupérées par l'appareil d'état nazi pour contrer les lieux de retrouvailles classiques du café style weimarien. Les sections locales, dans les différents quartiers de Berlin mais même ailleurs en Allemagne organisaient des « Bierabend » des soirées à la bière et c'était l'occasion en fait de boire un coup et d'écouter les chemises brunes déblatérer des horreurs issus du discours programmatique d'Adolf Hitler. Elles existent toujours ces soirées , mais elles sont verrouillées par les nazis. Et, effectivement, ça peut être l'occasion, le café, d'apprendre où va l'opposition, alors l'opposition c'est essentiellement le KPD, le parti communiste où vont le communistes -les communistes sont cités dans l'ouvrage- et c'est l'occasion pour Hauteclocque, alors moi c'est là-dessus que j'ai tiqué un peu dans la BD d'apprendre l'existence de l'univers concentrationnaire, des camps concentrationnaires. La chronologie est très précise à ce sujet, sur les camps de concentration, Dachau ouvre le 21 mars 1933 et il faut faire attention en 1933, ce ne sont pas du tout des lieux qui sont fermés au public. Et l'avantage de la BD sur la partie des camps de concentration, c'est assez bien montré, ce n'est pas un lieu voué et destiné à tuer. C'est un lieu de rééducation. On doit être rééduqué, c'est la fameuse sentence le «travail rend libre», c'est par le travail qu'on va retrouver une liberté totale de l'individu et que l'on va pouvoir sortir en tant que personne formatée à l'idéologie nazie. Sauf qu'en 1933-1934, il n'y a pas besoin de se cacher pour aller visiter les camps de concentration. Il va y avoir un durcissement à partir de 1934, mais je vous ai dit Dachau ouvre le 21 mars 1933 et dès le 7 avril 1933, vous avez le bras droit de Goebbels pour la partie concentrationnaire, qui s'appelle Hermann Hesser. Hermann Hesser va tenir un discours devant un parterre de journalistes étrangers en leur disant : « Venez, venez à Dachau, on va vous montrer Dachau». Alors, bien évidemment que c'est une parodie de visite, cela se transforme en camp Potemkine, c'est exactement sur le modèle de ce que vous avez pu lire ou voir pour la Seconde Guerre Mondiale, avec Theresienstadt, le ghetto modèle, c'est pareil on a des camps modèles qui se créent en Allemagne et si Hauteclocque veut le voir il peut le voir. Alors, Hauteclocque cela ne l'intéresse pas, il le dit puisque dans la seconde partie du livre, il se trouve à Munich, on le voit, il va, je crois, à Dachau même. Il va à Dachau par les chemins de traverse, par la forêt parce qu'il sait que dans le même temps il y a des reportages qui sont commandés par les journaux français, je pense justement au journal Vu, un autre journal de photo reportage un journal qui s'appelle Voila, qui sont propriété de Lucien Vogel, cela doit vous dire quelque chose, c'est le, ce sera l'artisan, vraiment, du photo reportage dans les années 30, et il va passer commande pour que ces journalistes aillent visiter Dachau ou Oranienburg future Sachsenhausen dans la banlieue berlinoise. Et Hauteclocque veut essayer de savoir ce qui se passe là-bas sans passer par ces parodies de visite. Mais, voilà, visiter un camp de concentration c'est possible, malheureusement cela n'apparaît pas dans la bande dessinée, probablement pour des raisons scénaristiques, on ne pouvait pas tout évoquer, mais il y avait possibilité de demander des autorisations, évidemment en étant accompagné, évidemment en voyant certains détenus choisis, en voyant une infirmerie parfaitement refaite à neuf et cela permettait d'avoir un semblant de vue et d'opinion sur ce qu'était devenue l'opposition.

Johannes Wetzel : là, je vois la page, une page il ne s'agit non pas de Dachau mais d 'Heuberg, et effectivement il y a une vignette qui dit, alors, Hauteclocque arrive à la gare et le porteur de valise demande : «Vous voulez voir le camp de concentration, je suppose ? Et Hauteclocque répond : «Est-ce une attraction touristique ? Et le porteur répond: «C'est tout comme, Monsieur, mais attention l'accès au camp est interdit, sauf aux locataires!». Donc, effectivement tout le monde est au courant et pour la presse, très certainement, ça se visite.

Frédéric Sallée : Ça se visite, je parlais de Sachsenhausen, le camp de la banlieue berlinoise en 1935, il y a une délégation de 500 journalistes japonais, qui circule dans le camp, on est en 1935. Alors, il y a eut un durcissement des conditions de visite à partir de 1934, parce que Goebbels va nommer... voyant que les camps se visitaient beaucoup trop, et que certains prisonniers avaient tendance à parler beaucoup trop, il va y avoir une reprise en main par un homme qui va faire un parcours fulgurant au sein de la SS qui est Theodor Eicke et qui sera commandant en chef de tout l'univers concentrationnaire des années 30, qui fait partie de la SS, de ce qu'on appelle les SS têtes de mort et c'est lui qui va reprendre en main ces « circuits touristiques», là encore avec des guillemets, il n'empêche qu'on continue à visiter, et on a des délégations impressionnantes qui viennent de l'intégralité de la planète. Donc, effectivement cela fait un peu organisation touristique, excursion, voilà, les camps sont connus, il faut absolument pas associer cela aux centres de mise à mort de la Solution finale de la question juive, on n'est pas dans le culte du secret, on est dans une perspective de rééducation ; donc ça devient un outil, un outil de rééducation pour la population. Et, à ce titre, cela ne doit pas être perçu comme quelque chose de négatif. Et, c'est toute la subtilité des voyages de Hauteclocque d'essayer de montrer que lui ne doit pas se faire avoir parce qu'on veut bien lui montrer. Et, ce sera la complexité pour lui de trouver des informations et là encore c'est bien démontré dans la bande dessinée : plus la bande dessinée avance et évidemment la chronologie avance et évidemment les informations sont de plus en plus difficiles à obtenir. Et, Hauteclocque ne comprend pas pourquoi c'est de plus en plus difficile à obtenir.


Johannes Wetzel : On avait dit qu'il commence son travail d'enquête journalistique en allant dans les cafés, les bars en parlant avec les gens de la rue. De ses voyages précédents, il a gardé un certain nombre de contacts, des sources qui sont tout d'un coup sont devenues beaucoup moins prolixes. Et, donc, il cherche à les revoir, à avoir des explications, mais en réalité, il se heurte donc à soit au silence, soit à un retournement de veste assez surprenant surtout très rapide.


Frédéric Sallée : Alors, là encore c'est dû à la chronologie et à la personnalité de Hauteclocque : entre voyager début 1933 et voyager jusqu'au printemps 1935, il y a eu une évolution même dans le traitement qui est réservé aux journalistes, quelque chose de tout à fait basique au niveau de la logistique. En 1933, être journalistique et aller en Allemagne, il suffit d'avoir un visa comme n'importe quel autre voyageur et on peut rentre tranquillement en Allemagne et faire ses enquêtes. Janvier 1934, Goebbels exige qu'il y ait une carte d'identité spécifique, une carte de journaliste qui soit attribuée. C'est le début des accréditations mais des accréditations pour rentrer en Allemagne, pas pour spécifiquement pour aller sur un lieu précis. Le journaliste doit être accrédité pour passer la frontière. Ça va être la fouille systématique des bagages aussi. Et, en fonction de ce qu'on va trouver dedans ; si, par exemple, on a des listings dans les archives de journaux qui sont considérés comme interdits en Allemagne. On a un quotidien français qui s'appelle L'Intransigeant , qui sera interdit, du côté britannique ce sera le Manchester Guardian qui va tenir un discours extrêmement philosémite donc évidemment ce sera extrêmement mal vu pour le régime nazi. Donc, on a un durcissement des conditions d'entrée, des conditions d'accès. Et, puis ça tient aussi aux personnalités, aux contacts que Hauteclocque ou d'autres avait jusque là. On a des contacts qui avec l'avènement du nazisme au pouvoir vont choisir de faire carrière. C'est le cas, je crois, d'un professeur et c'est le cas de certains contacts qui étaient Monsieur et Madame Tout le monde jusqu'en 1933 et toute la série de lois de la «Mise au pas» qui ont lieu au printemps 1933, notamment l'épuration de l'université, l'épuration de l'enseignement, on va interdire aux juifs de pratiquer telle ou telle profession. Ça va permettre d'être un accélérateur de carrière pour certaines personnes, qui de fait vont aller s'empresser de s'encarter au parti pour pouvoir avoir un poste. Donc, de fait les contacts vont petit à petit disparaître, parce qu'être au parti et commencer à faire carrière devient très vite incompatible d'être celui qui est à l'origine de la source d'informations. Donc, là on va avoir un délitement qui se créée. Puis, il y a autre chose qu'il ne faut pas perdre de vue, qui est spécifique au cas de Xavier de Hauteclocque, c'est quelqu'un sur lequel les services de propagande nazie ont toujours eu des doutes du fait de son implication dans la Première Guerre Mondiale, des doutes ont subsisté sur son implication éventuellement dans les service secrets militaires français et c'est une réalité Hauteclocque avait des contacts avec une section des services secrets militaires, qui s'appelle la deuxième section, ou le 2e bureau. On trouve cela dans les archives et effectivement on a jamais vraiment su si les enquêtes de Hauteclocque c'était du journalisme d'investigation ou si cela pouvait servir éventuellement de point d'entrée pour les renseignements militaires. Donc, là-dessus il y a toujours eu un doute, c'est ce qui poussera de toute façon, c'est ce qui va conduire à sa mort, au-delà de la dénonciation extrêmement forte qu'il peut faire du régime nazi c'est le cas de beaucoup d'autres journalistes qui ne connaîtront pas le même sort. Quand on se méfie d'un journaliste, on l'arrête, éventuellement on le torture, mais le plus souvent on l'expulse, on ne l'assassine pas. Et Hauteclocque sera assassiné. Il y a un traitement très particulier réservé à Hauteclocque et cela participe aussi de ce délitement du contact. L'allemand de la rue, il ne va pas se méfier de Hauteclocque, des contacts un peu plus poussés, ils vont commencer de se méfier de Xavier de Hauteclocque. Et, d'ailleurs il aura des mises en garde, on avait parlé de la première planche de la bande dessinée, quand il arrive chez le responsable, le patron de la publication, quelqu'un qui s'appelle Carbuccia (Horace de), le patron de Gringoire, Carbuccia va écrire plusieurs fois à Hauteclocque pendant qu'il est en Allemagne entre 1933-1934-1935 en lui disant : «Méfie toi. Méfie toi de tes contacts». C'est un écrit de quelque chose que l'on ne retrouve pas avec d'autres journalistes, qui ont l'entière liberté à partir du moment où le patron de presse a accepté que l'enquête se fasse. Donc, voilà, il y a une particularité vraiment du contact journalistique entre Hauteclocque et l'Allemagne.

Johannes Wetzel : Et une des personnes à qui il rend visite, lui explique d'ailleurs aussi pourquoi les portes se ferment, peut-être contrairement à d'autres journalistes qui voyagent en Allemagne, lui il a déjà un passé et il explique dans le texte, je ne sais pas si c'est dans la BD mais c'est dans le récit, qu'il livre, effectivement son crime, le crime qui fait que les portes se ferment c'est qu'il ne croyait pas -au point que cela semble avoir été souhaité par le régime- au caractère pacifiste et au caractère humanitaire du IIIe Reich. Il n'a pas tu, il l'a dit dans ses écrits et apparemment cela a eu des conséquences pour certains de ses interlocuteurs.


Frédéric Sallée : Oui. Là encore, la chronologie est frappante : 1933, 1934, la vision qu'ont les Français de l'Allemagne, il faut bien comprendre qu'en France on découvre le nazisme. Le nazisme existe depuis février 1920 en tant que mouvement politique et il va se structurer pendant l'été 1920 vraiment en tant que parti, mais les Français ignorent tout du nazisme et ce qui préoccupe la plupart des Français en 1933-1934 c'est le discours anti-français d'Hitler et du nazisme en règle générale et la stratégie du régime nazi vis-à-vis de l'étranger est justement de montrer par exemple que Mein Kampf c'est un écrit de jeunesse, que ce qui est dit dans Mein Kampf de toute façon ne se réalisera pas et que Hitler est dans une politique de l'apeasement, de la pacification en 1933-34. Et Hauteclocque est un des rares à dire : Non tout ça ne doit pas être mis sous le boisseau, ce que dit Hitler dans Mein Kampf, moi je le vois clairement en Allemagne et ce n'est pas juste un discours qui a été écrit il y a pratiquement 10 ans au moment de l'année 1933-34. Donc, cela va, effectivement, lui jouer des tours et la particularité c'est que Hauteclocque a continué à pouvoir circuler librement en Allemagne, alors que les autres journalistes qui comme lui avaient l'expérience du terrain déjà depuis Weimar reçoivent des lettres d'expulsion dès le printemps 1933. En France, le journaliste, qui vraiment est un très fin connaisseur de l'Allemagne ce n'est pas Hauteclocque, c'est un journaliste, qui travaille pour le Petit Parisien, qui s'appelle Camille Loutre. Et Camille Loutre reçoit son avis d'expulsion en avril 1933, et il ne pourra plus rester en Allemagne, parce que c'est de la même trempe que Hauteclocque, Camille Loutre, c'est quelqu'un qui sait très bien, que ce qui est dans Mein Kampf, que tout ce qui a été dit dans les discours électoraux, jusqu'en 1933, c'est quelque chose qui ne peut qu'évoluer négativement. Et on retrouve exactement la même chose pour d'autres pays. Le journaliste qui est implanté depuis le plus longtemps en Allemagne, c'est un Danois. Il s'appelle Thorvald Steinthal, il écrit pour une revue de droite libérale et c'est comme Camille Loutre c'est un des premiers à être expulsés, parce que lui n'a eu de cesse que de dire «Tout ce que j'ai vu pendant les années 20 du nazisme c'est en train de se répercuter en 1933-34. Donc, effectivement les portes vont se fermer progressivement et on a un homme avec la Tragédie brune ou son récit précédent, A l'ombre de la croix gammée, qui est contre l'air du temps. En 1933-34, dans les articles de presse français on dépeint Hitler qui veut l'apeasement. Et, Hauteclocque, de toute façon n'aura jamais accès aux dignitaires du Reich, alors que Hitler se livrera à des journalistes comme Fernand de Brinon, à des députés, le député Maunier notamment. Il fera des interviews où justement il va en profiter pour embrumer tout le monde en disant «je suis l'homme de la paix, je suis l'artisan, le vrai artisan du rapprochement franco-allemand, c'est pas Briand, c'est pas Stresemann, c'est Adolf Hitler. Et, Hauteclocque n'aura de cesse de dénoncer ça. Donc, il a toujours été à contre-courant, mais à contre-courant visionnaire. Il ne fut pas alors le seul, il y en a eu d'autres qui ont pu rester en Allemagne. Un homme qui a écrit aussi des tas d'ouvrages comme Hauteclocque, Robert Darcourt, c'est un intellectuel catholique qui travaille pour le journal La Croix et lui pareil dès 1933, il dénonce la politique anticléricale, la lutte faite aux Églises et non pas l'antisémitisme en particulier mais la lutte faite aux Églises et c'est quelqu'un qui dès 1933 aura averti. Donc, Hauteclocque n'est pas le seul.

Johannes Wetzel : Pour revenir un instant à la bande dessinée, je ne sais pas si on a vu une planche de l'entrée quand il entre dans le bureau du directeur de Gringoire pour reprendre la commande, et ensuite voilà ça c'est la scène dans le café avec les deux méchantes Gretchen, et qu'est-ce qu'on a vu d'autres ? Oui ça c'est effectivement le changement d'ambiance dans les cafés et ça c'est effectivement aussi quelque chose qu'il ne voit pas mais qu'on lui raconte, ce sont les arrestations arbitraires, en l'occurrence deux juifs qui étaient dans un immeuble, on a , en tout cas c'est ce que j'ai retenu de l'histoire dans la BD, à qui on a glissé sous la porte un tract communiste et ensuite alors, je ne sais pas d'où il venait, sous ce prétexte là, sur dénonciation d'un Monsieur médecin qui habite dans l'immeuble et qui est un farouche nazi, ils sont arrêtés, donc retenus pendant plusieurs mois dans le camp dans les conditions que vous voyez et puis ils ont relâchés sans autre forme de procès.

Frédéric Sallée : Alors là encore c'est intéressant, donc cette image sur l'arrestation des juifs, effectivement les journalistes ou les visiteurs n'ont pas accès directement quand ils sont dans les camps de concentration, qu'ils vont faire ces fameuses visites dans les camps de concentration, ils n'ont pas directement accès aux détenus, ils ne peuvent pas choisir les détenus qu'ils vont interroger, donc très souvent, les sévices corporelles, la torture physique, la torture mentale, ce sont des choses qui sont racontées par les détenus, qui ont pu sortir des camps, une fois leur peine purgée, ou des personnes qui ont vu des arrestations. Alors très souvent ce qu'on retrouve dans les archives c'est pas la description des conditions de vie dans les camps, c'est plutôt la phase préliminaire, c'est-à-dire l'arrestation puis la mise en cachot dans les cellules de la Gestapo. Et, là, on a des descriptions extrêmement précises, qui sont données par les personnes qui les ont subies et le journaliste va être le point de relais, en fait, il va pouvoir raconter pour pouvoir ensuite diffuser dans les journaux. Il y autre chose à laquelle Hauteclocque n'a jamais été confronté parce qu'il n'a pas subi cette arrestation, il n' a pas été mis en prison, on a des journalistes qui par contre ont été arrêtés, qui ont été emprisonnés, et torturés. Je pense à un homme qui est un anglais, Normann Hebbet, qui est un anglais et pour toute unes série de reportages, un autre Perdrock Stephens, les deux sont anglais, pour toute une série de reportages, qui mettaient en avant l'antisémitisme ont été arrêtés et emprisonnés dans dans les cellules de la Gestapo et les cellules prévues pour 20 et ils sont une cinquantaine, ils ont pu être à côté de juifs, de communistes, parfois de criminels de droit commun et ils ont pu voir les sévices. Donc, même si on a des infos qui peuvent être rapportées, ou des personnes qui n'ont pas vu directement, on a quand même dans les sources à disposition des personnes qui ont subi et qui ont raconté leur propre traitement et après cela devient objet journalistique. C'est-à-dire ce qui devait être une commande, un article pour la chose vue en Allemagne, mais qui est ce qui est cette impression d'Allemagne de la montée du nazisme et de l'arrivée du nazisme au pouvoir, le reportage se transforme en «Ma torture dans les cellules de la Gestapo». Alors, c'est très fréquent dans les journaux britanniques, un peu moins dans les journaux français, parce que très peu de français ont été arrêtés, la plupart du temps ils sont expulsés, mais ils ne sont pas jetés en prison et ils ne sont pas torturés. Mais on a des scènes comme ça qui sont visibles dans les archives. Et cela me permet de faire un point sur les procédures d'expulsion. Là encore, la propagande nazie va s'adapter à cette question «Qu'est ce que l'on fait», comment on expulse, parce que expulser un journaliste c'est visible et ça donne l'image, de toute façon, ça renforce l'image du caractère autoritaire du régime. Et il y aura une décision, une loi de mars 1937 qui sera prise par Goebbels. Goebbels va interdire aux journalistes qui restent sur le sol allemand de couvrir les expulsions de leurs confrères. C'est-à-dire jusque là on avait des journalistes qui allaient prendre des photos qui faisaient un papier sur un tel est parti par tel train pour rentrer en France, pour rentrer au Danemark, pour rentrer au Royaume-Uni. Et à partir de mars 1937, toute personne qui va couvrir le départ sera expulsé à son tour. Donc, on rajoute un élément de plus dans la terreur et dans le musellement et la pratique journalistique. Donc cela aussi, c'est intéressant de voir que l'expulsion devient un objet politique. Cela devient un objet politique à prendre en compte pour les nazis. Alors ce ne sera pas le cas de Hauteclocque. On peut peut-être en dire deux mots, le sort de Hauteclocque. Il meurt empoissonné, c'est à ma connaissance le seul cas de journaliste, alors pas assassiné, il y en a d'autres des journalistes assassinés notamment à partir de 1938, des journalistes américains, un qui s'appelle Isidore Genet, un journaliste juif américain, qui sera assassiné dans des conditions qui rappellent les membres de la Rose Blanche, qui sera décapité, et l'empoisonnement, à ma connaissance c'est le seul cas. L'empoisonnement serait explicable par justement ce doute dont je vous parlais, sur «est-ce que Hauteclocque ne serait pas un agent qui travaillerait pour les services secrets». Donc, là encore quand le sujet devient trop gênant, on saute une étape, on n'est plus dans l'expulsion, on est directement dans l'assassinat.


Johannes Wetzel : Et bien, il y a une autre histoire qu'on lui raconte notamment la terreur contre la gauche, les syndicalistes, le SPD, il est question d'un certain Schmauss, qui est tué avec toute sa famille ; la maison par malheur prend feu, et donc il n'y a pas de traces. La version officielle c'est que c'est un suicide collectif. Je ne sais pas si on a une image de cette histoire là, mais cela fait partie effectivement des récits que Hauteclocque va ensuite [rapporter].

Frédéric Sallée : C'est à mon sens la partie la plus intéressante de la bande dessinée cet épisode parce que cela vient trancher avec le discours qui a été véhiculé par la propagande nazie et qui a été repris benoîtement par la plupart des journalistes. Dès 1933, l'image que veut donner le régime nazi, ils insistent sur deux choses, c'est que leur régime, le régime nazi c'est un régime qui a un caractère révolutionnaire et cette révolution ne s'est pas faite dans le sang, contrairement à la révolution française, contrairement à la révolution bolchevique. Les nazis veulent se présenter comme étant des individus capables d'opérer une révolution sans la moindre goutte de sang versée ce qui est faux historiquement, et la répression à l'encontre du SPD et du KPD, puisqu'on va avoir une disparition progressive des anciens députés au Reichstag à partir de 1933, les députés SPD et KPD. Il y a un très bon livre d'un historien français, qui s'appelle Nicolas Patin, à ce sujet, sur la trajectoire des députés de Weimar qui s'appelle La catastrophe allemande c'est vraiment extrêmement pertinent. Et cet épisode là a réellement existé, c'est décrit dans la Tragédie brune version texte de Hauteclocque, c'est bien repris dans la Bande dessinée, cela fait suite à une série de massacres dont le plus connu est le massacre de Köpenick, qui est un quartier, un des quartiers rouges de Berlin, et ce massacre de Köpenick effectivement, c'est exactement les mêmes pratiques que l'on pourrait trouver en janvier 1919 pendant la «semaine sanglante», quand on va assassiner des personnes, on va jeter des corps, des cadavres dans les ruisseaux, dans les canaux et on va les laisser en décomposition. C'est ce qui se passe avec les membres du SPD et les membres du KPD. Tous ne vont pas finir dans les camps de concentration. Alors évidemment qu'on a certaines figures, je crois que ce n'est pas dit dans la bande dessinée, et pourtant Hauteclocque en dit deux mots, la figure de Thaelmann le chef du KPD, Thaelmann qui ne subira pas les assassinats, mais qui sera très rapidement arrêté, dès 1933 et qui sera envoyé en camp de concentration. Donc, certaines figures ne vont pas subir les assassinats, type les leaders Thaelmann, mais des personnalités à haute responsabilité vont être assassinées, ce qui permet à Hauteclocque de pouvoir dire ouvertement dès 1933, «le régime nazi opère sa mue politique de l' Allemagne dans le sang», alors que les discours vont être : «Vous les Français, vous avez fait votre révolution, nous on fait notre révolution sans guillotine.» Vous avez Himmler qui va dire ça à des journalistes français, des journalistes français qui vont aller visiter les camps de concentration ; on va leur fait remarquer que là les conditions de détention sont un peu dures, systématiquement le discours va s'inverser et Himmler va dire : «Oui mais vous qu'est ce que vous avez fait pendant votre révolution, vous avez la guillotine, nous on ne l'a pas et Hauteclocque par le biais des récits de ces massacres va être un des rares à dire : si si dès 1933, il y a des massacres opérés par les nazis. L'image des nazis qu'on avait en France c'était les récits de Simone Weil, la philosophe, Simone Weil qui allait en Allemagne pendant l'été 1932 à l'automne 1932 et on voyait les membres de la SA, les chemises brunes aller cogner les communistes dans la rue. C'était cela la violence nazie pour la plupart des Français, c'était des bagarres de rue, qui pouvaient dégénérer en quasi guerre civile, cela s'arrêtait là. Cela n'allait pas jusqu'au massacre et Hauteclocque va utiliser la critique de l'opposition SPD/KPD en disant : «Si il y a bien des massacres!»


Johannes Wetzel : Est-ce que Hauteclocque était... , donc là on vient de dire à quel point il était finalement moins aveugle ou plus clairvoyant que beaucoup d'autres confrères ou voyageurs, est-ce qu'il n'avait pas aussi ses ?illères ? Je retombe sur la citation, tout au début, quand il dit : «Excès mis-à-part, l'Allemagne hitlérienne d'avril mai-juin 1933 nous offrait pourtant des exemples bons à suivre. Si nous l'avions fait alors, si nous avions commencé ce travail de rénovation, c'est donc justement cette «National revolution» dont vous parlez, cette rénovation, une France matériellement et moralement robuste, qui ne risquerait rien aujourd'hui à rencontrer en tête-à-tête sa terrible voisine». Donc, l'idée d'une rénovation, après la Première guerre mondiale, était présente dans les deux pays et l'idée, comme vous l'avez dit, si j'ai bien compris, était qu'en France on avait peut-être quelques idées à prendre en Allemagne. Est-ce que ce n'est pas justement faire preuve d'aveuglement ?


Frédéric Sallée : Alors, je ne sais pas si on peut parler d'aveuglement dans le cas de Hauteclocque, en tout cas, on a chez Hauteclocque comme chez beaucoup de journalistes ou de voyageurs , on a un phénomène qui est systématique : dès que l'on est dans la répulsion, il y a forcément un moment donné où dans le discours il va y a avoir aussi une part d'admiration. C'est-à-dire ce qui va être vraiment, qui va paraître comme obscène va aussi parfois pouvoir se renverser comme étant quelque chose qui peut être souhaitable. Je m'explique : la référence qui est mis en exergue au début du texte originel de la Tragédie brune, il y a un réel intérêt pour la novation et la modernité politique et en cela les Français sont admiratifs. Il ne faut pas oublier que l'Allemagne de 1933, c'est une Allemagne qui est issue de l'Allemagne de 1919 de Versailles, Hitler n'aura de cesse de le répéter, c'est une Allemagne à qui on a brisé les reins avec le Traité de Versailles et la capacité qu' a eu l' Allemagne a se relever rapidement de cela, cela participe aussi de l'effet inverse. C'est ce que dans mon livre j'appelle l'effet de« miroir». On va observer l'Allemagne au miroir de sa propre condition nationale, à savoir le rejet de la démocratie libérale, le rejet du parlementarisme qu'on juge comme déliquescent. On a une forme de régime politique qu'on considère comme étant vieilli en France, c'est-à-dire que le système parlementaire n'est pas forcément le meilleur système possible. Et, en cela cette idée de modernité politique, sur laquelle Hitler va énormément insister comme étant alors parfois il utilisera des discours,où au contraire il se posera comme étant l'anti lumières, quelqu'un de conservateur et d'autres fois il va se poser comme étant quelqu'un d'extrêmement rénovateur et moderne. Et les Français vont être admiratifs. Et Hauteclocque en fait partie et puis il y a aussi une admiration tout simplement par la modernité technique que l'on peut observer. Il ne faut pas oublier qu'aller en Allemagne c'est voyager et voyager c'est se confronter aussi aux différences nationales, aux différences de progrès et quand on arrive à Berlin, on voit des choses qu'on ne trouve pas tout simplement dans les aéroports français. L'aéroport du Bourget c'est un aéroport vieillissant, quand on arrive à Tempelhof à Berlin on est absolument subjugué par la beauté de cet aéroport et les nazis vont utiliser cela avec leurs associations, l'association «Beauté du travail» qui va faire en sorte de mythifier un peu ces lieux indissociables du voyage. Donc, est-ce que c'est un aveuglement, peut-être pas jusqu'à l'aveuglement en tout cas qu'il y ait une forme d'intérêt et une part aussi d'admiration pour ce qui a été fait, et pour la rapidité à laquelle cela a été fait, c'est indéniable. Cela n'enlève rien au caractère dénonciateur du discours mais effectivement c'est à prendre en compte. C'est à prendre en compte chez Hauteclocque et cela se voit à merveille on va dire chez 90% on va dire des journalistes, qui vont en Allemagne. Ils auront beau dénoncer le régime dans les ¾ de leurs articles, le dernier quart sera toujours lié par «Ah oui ils ont réussi à se moderniser, eux!»

Johannes Wetzel : Donc, je rebondis sur cela, on va quitter Hauteclocque pour parler des journalistes en général, vous l'avez déjà fait. Leur condition d'entrée en Allemagne, effectivement une nouvelle législation de Goebbels. Leur sortie de l'Allemagne soit par expulsion soit par mort violente (c'est plutôt rare), est-ce qu'il y a eut beaucoup de journalistes qui sont venus en Allemagne. Comment ils ont été choisis, triés et est-ce que ce sont des voyages organisés, invités comme cela s'est fait pour les écrivains, les artistes etc... choisis et invités par le régime, est-ce que c'est leur rédaction avec quand même un minimum d'indépendance d'esprit qui ont été envoyés, comment se faisait ce tourisme- vous utilisez le terme dans le livre- ce «tourisme journalistique» avant de parler du tourisme en terre brune en général.


Frédéric Sallée : On a tous les cas de figure, c'est-à-dire on a les invitations, nous on connaît surtout, lors c'était pas dans le cadre de mon étude puisque je me suis arrêté en 1939, quand on parle voyage en Allemagne, on pense systématiquement au voyage d'automne 1941, voyage des écrivains, Drieu La Rochelle, Brasillach, Marcel Jouhandeau, Abel Bonnard c'est cela qui revient en tête parce qu'il y a eut des photographies, il y a eut des tas d'ouvrages, essentiellement d'ouvrages littéraires et non pas historiques sur le sujet et on pense évidemment à l'invitation puisque ce voyage résulte d'une invitation de Goebbels pour que les écrivains participent au salon du Livre de Weimar.
Alors l'invitation cela existe mais contrairement à ce qu'on peut imaginer ce ne sont pas les cas les plus fréquents. Le cas le plus fréquent c'est le cas de Hauteclocque c'est le cas de la commande.
C'est le patron de presse qui va missionner son journaliste ou ses journalistes pour aller faire une tournée en Allemagne et faire ce qu'on appelle de la «chose vue» ou du «billet d'Allemagne», de «l'impression d'Allemagne» c'est vraiment les termes des chroniques de l'époque, comme on peut faire en Italie, en Espagne, comme on peut faire en URSS, on peut faire aux États-Unis, on va rendre compte de ce qui se passe ailleurs. Et la question de l'indépendance évidemment se pose et là où elle ne se pose pas c'est quand vous avez des journalistes indépendants, c'est-à-dire qu'ils ne vont pas travailler à la commande mais qu'ils vont aller d'eux-mêmes sur leurs fonds propres, sur leurs deniers personnels et qui vont aller en Allemagne et qui vont après vendre leur production. Donc cela, cela existe. Après sur les conditions d'entrée, à partir de 1934, il y a une carte d'identité spéciale et plus on va avancer dans le temps et notamment après les Olympiades de Gardenparkenkirchen de Berlin en 1936, il va être mis en place un système de quotas. C'est en fonction des événement qu'on voudra couvrir, le Reich n'acceptera pas plus de tant de journalistes pour toujours garder la maîtrise de ce qui peut être dit de ce qui peut être vu de ce qui peut être écrit. Alors, pour le nombre c'est très compliqué moi je n'ai pas trouvé les statistiques fiables, les seules statistiques fiables que l'on a, c'est pour les Jeux Olympiques de Berlin, où on estime qu'il y a 36 000 journalistes. C'est colossal pour l'époque.Même aujourd'hui c'est pas mal mais c'est absolument colossal. Et c'est pour cela que le système de quotas apparaît indispensable aux yeux du Reich c'est que 36 000 journalistes pendant quinze jours dans une seule ville c'est extrêmement compliqué à museler, donc après cela va être beaucoup plus technique pour obtenir les accréditations. Et la particularité c'est qu'on peu aller presque partout. C'est-à-dire que le parcours que fait Hauteclocque c'est u parcours classique : Berlin, Munich. Je vous l'ai dit Hauteclocque a parcouru les campagnes allemandes, c'est possible même jusqu'en 1939 de parcourir la campagne allemande. Cela sera très mal vu de la part du régime, parce que les nazis vont toujours se demander : «Mais que vient faire un étranger au beau milieu de la campagne allemande?». On a des cas, même pour des journalistes, qui pouvaient avoir certaines accointances et certains contacts favorables avec le Reich, je pense à Odette Arnaud donc une femme qui a fait un voyage en 1937 dans la campagne allemande et qui s'est faite arrêter, elle travaillait pour Je suis partout. Je suis partout a beau être un journal antisémite c'est aussi un journal profondément antiallemand en 1937. Elle travaille pour Je suis partout, elle s'est faite arrêter et la raison c'est:«Que faisiez vous dans une campagne , ». Donc on peut se balader à peu près partout, il y a des zones qui sont interdites, c'est le nord de l'Allemagne, c'est le littoral du nord de l'Allemagne tout simplement parce que c'est vraiment un des secteurs clés du réarmement à partir de 1935 et un des lieux stratégiques pour la marine allemande. Donc là ces zones là, on ne peut pas y accéder, certains vont s'y risquer, ils seront arrêtés. Il me semble qu'il y a un journaliste qui s'appelle Vuillemin du même nom que le général Vuillemin mais aucun lien de parenté, qui profite de la visite de Mussolini en octobre 1937 à Berlin, la raison officielle, sa demande d'accréditation c'est «je vais couvrir la visite de Mussolini» et puis une fois arrivé à Berlin il prend la direction du Nord et il essaie de gagner les ports militaires du Nord. Et il se fera arrêter. Le voyage permet aussi d'avoir une sorte de diplomatie parallèle, quand je parlais de service de renseignements, il y a une diplomatie parallèle qui s'opère aussi. Les réseaux diplomatiques sont ce qu'ils sont mais les journalistes peuvent aussi donner des informations. Et puis sur les conditions d'accès, il faut quand même que j'en dise deux mots parce que la chronologie là encore est particulière pour le récit de Hauteclocque. Hauteclocque meurt en 1935, il faut savoir que les conditions quand on est français pour voyager en Allemagne même si les cartes d'identité n'arrivent qu'à partir de 1934, cela n'est pas très évident car il n'y a pas de structures qui organisent le voyage. Vous avez une structure qui va devenir une structure importante de la collaboration plus tard qui s'appelle Le Comité France-Allemagne qui a été créé en 1936, qui va favoriser les liens diplomatiques et les circulations entre les deux pays. Hauteclocque n'est pas contemporain de cela, il va mourir avant et on a exactement le même type de procédure qui existe pour les liens pour des exilés allemands du nazisme et des journalistes désireux d'en savoir un petit peu plus, le Comité de vigilance des Intellectuels antifascistes et qui se créée fin 1935 début 1936. Et, là encore cela aurait pu permettre à Hautecloque d'avoir son voyage facilité.C'est pas le cas. Même l'ambassade -on pense tout de suite à l'ambassade quand on veut voyager à l'étranger- et surtout à cette époque-là, c'est une ambassade.. alors qui fonctionne, on est au palais Beauvryé en plein centre de Berlin, très joli palais, mais il ne faut pas oublier que pendant toute une partie de la République de Weimar, les réseaux diplomatiques étaient fermés. L'ambassade de France était fermée au début des années 1920. Donc le temps que cela se réactive, alors c'était un autre ambassadeur qui s'appelait Pierre de Margerie, qui était en poste, ça a été long à se remettre en place et, en 1933-1934 les liens diplomatiques fournis par l'ambassade ne permettent pas de pouvoir voyager très sereinement. Après, ce sera beaucoup plus simple d'avoir des contacts avec les services de l'ambassade en 1935, 1936, 1937. Mais c'est à garder en tête quand on lit la BD. On a l'impression quand on lit la BD que Hauteclocque voyage facilement, c'est le cas à en croire le récit originel, parce que c'est un germanophone, c'est quelqu'un qui est rompu aux voyages en Allemagne, il a des contacts, mais c'est quelqu'un qui voyage dans le contexte diplomatique de 1933, donc il faut toujours avoir en tête la chronologie quand on veut connaître les conditions d'accès. Les retours, alors il y a des journalistes expulsés, il y a des journalistes qui arrivent à finir leur mission sans aucun problème, les retours sont intéressants à étudier dans ce que la propagande nazie a demandé aux journalistes de modifier dans leurs textes. Vous avez des journalistes qui écrivent des papiers qui vont devoir les soumettre à validation des autorités. C'est quelqu'un qu'on connaîtra avec la seconde guerre mondiale, qui sera chargé de fournir des certificats d'authenticité du papier journalistique qui s'appelle Ribbentrop. C'est Ribbentrop qui sera chargé de cela au début des années 1930, de relire et de vérifier ce qui a été écrit. Donc, cela est intéressant d'essayer, alors malheureusement les archives sont extrêmement lacunaires et parcellaires à ce sujet d'essayer de voir quel pouvait être le texte originel et quel a été le texte livré après à la presse

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«Κρέσσον πάντα θαρσέοντα ἥμισυ τῶν δεινῶν πάσκειν μᾶλλον ἢ πᾶν χρῆμα προδειμαίνοντα μηδαμὰ μηδὲν ποιέειν»
Xerxès, in Hérodote,

L'Empereur n'avait pas à redouter qu'on ignorât qu'il régnait, il tenait plus encore à ce qu'on sût qu'il gouvernait[...].
Émile Ollivier, l'Empire libéral.
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Dernière édition par Oulligator le 23 Mai 2021 6:28, édité 1 fois.

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Message Publié : 23 Mai 2021 6:25 
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Jean Froissart
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LA TRAGÉDIE BRUNE (Suite)


Johannes Wetzel : Donc, il y a des journalistes très avertis, vous l'avez dit tout à l'heure qui sont expulsés, à qui on retire l'accréditation ou qu'on fait partir de l'Allemagne dès 1933, Xavier de Hauteclocque peut continuer même s'il est très critique son travail, il y en a d'autres qui doivent soumettre leurs papiers à la censure, dans l'ensemble est-ce que les journalistes ont plutôt été dociles, est-ce qu'il y a malgré ces contraintes, est-ce qu'il y en a eu d'autres qui ont été aussi clairvoyants que Hauteclocque, vous citez dans le livre effectivement une phrase de Hauteclocque, qui incite à l'humilité justement parce que la difficulté du problème allemand est telle que, comme dit ici, des brillants reporters venus en sleeping des quatre coins du monde ne sont peut-être pas à même de rendre toute la complexité du phénomène.


Frédéric Sallée : C'est très dur de quantifier la proportion entre ceux qui ont été bienveillants, qui ont été les plus virulents, ceux qui ont été aveuglés et des dénonciateurs. Tout dépend de la période être dénonciateur en 1938-1939, après les accords de Münich c'est peut-être plus aisés, encore que..., être dénonciateur en 1933 c'est pas la même chose. Donc, tout dépend des bornes chronologiques qu'on prend, tout dépend encore une fois du papier qui a pu être fait, soumis à la censure ou non, globalement c'est une situation d'aveuglement, mis soyons clairs les dénonciateurs de la première heure sont extrêmement peu nombreux. Cela va parfois avoir des conséquences dans l'immédiate après-guerre, en 1945, pensons à quelqu'un comme Jean-Paul Sartres. Sartres est en Allemagne en 1933-1934, il est détaché du lycée du Havre, il a une bourse ; il va passer un an il dire «j'ai passé des vacances d'un an en Allemagne» et il a la S.A qui défile sous ses fenêtres. Et cela va être très compliqué, Sartres qui va être un des premiers philosophes de l'immédiate après-guerre sur les questions de dénonciation politique, il aura du mal à s'expliquer de cela. En disant : « effectivement, je n'ai pas vu mais je n'étais pas en Allemagne pour étudier le nazisme, c'est son argument principal qui sera relayé par Simone de Beauvoir, «le nazisme n'était pas mon objet d'études ». Dans le même temps, on a Raymond Aron en Allemagne au même moment et Aron va dénoncer. Il ne dénoncera pas entièrement, sur la question antisémite on a des écrits qui sont extrêmement discutables d'Aron à partir de 1933. mais en tout cas, on a cette dualité qui peut se faire, et il n'empêche que Hauteclocque, je l'ai dit, n'est pas le seul, il y a des catholiques qui ont dénoncé, Robert d'Harcourt. Évidemment on a toute une presse communiste, qui peut voyager, cela aussi cela paraît aberrant, on pourrait se dire que cela va être le premier expulsé, non les premiers expulsés, on considère que les plus dangereux ce ne sont pas les journalistes communistes, on considère que ce sont les journalistes qui ont déjà une expérience de l'Allemagne, Camille Loutre, ou Stenthall le Danois. On va avoir des récits de voyage, des gens qui ont pu voyager, on a même des journalistes, une délégation de l'Humanité qui va essayer d'aller au camp de concentration où est retenu Thaelmann pour essayer d'aller le voir. Cela a échoué, une fois arrivé à Berlin, on va leur confisquer leur visa, on va leur dire « vous êtes bien gentil mais vous rentrez chez vous !». mais ils ont quand même pu aller jusqu'à Berlin. Donc, il y a des tentatives qui sont faites. Ce qu'il ne faut pas perdre de vue c'est que le voyage d'Allemagne, il est encouragé par le IIIe Reich, bien qu'il y ait une méfiance permanente, les journalistes sont encouragés à aller en Allemagne dès 1933. Hitler va charger un homme du nazisme qui n'est pas du tout le plus connu, qui s'appelle Walther Funk et cela n'existe pas le ministère du tourisme, mais il y a l'équivalent, une structure qui s'appelle le RDR, ce sera un peu le ministre du tourisme et Funck va dire : «  Venez en Allemagne pour voir la façon dont nous avons reconstruit l'Allemagne immédiatement après la chute de la république de Weimar. Donc le tourisme est encouragé, les visites de journalistes sont encouragées et Hitler lui-même aura des propos sur ce tourisme. La parole hitlérienne est assez rare en termes d'interview, souvent il va envoyer des seconds couteaux du nazisme pour répondre aux interviews, mais il va donner quelques interviews et souvent des interviews qui tournent en rond autour de la question de la pacification, les journalistes se font complètement enfumer, mais il va quand même lâcher quelques mots sur le tourisme en disant ; «il faut que les Français viennent voir». Il faut déjà que les Français viennent voir qui je suis, je ne suis pas la personne qu'on veut faire croire, et il faut que les Français viennent voir ce que nous avons fait de l'Allemagne. Et là aussi c'est à ne pas perdre de vue, il ne faut pas faire de Xavier de Hauteclocque un OVNI, quelque chose d'exceptionnel de se déplacer comme il le fait en Allemagne, c'est extrêmement fréquent. Ce qui a effectivement un caractère exceptionnel, c'est la précocité de la dénonciation.

Johannes Wetzel : C'est le moment peut-être pour élargir encore un peu plus donc vers tous ces voyageurs qui se promènent en Allemagne. Est-ce que, là vous avez parlé de ce ministre du tourisme qui a été mis en place, un tourisme comme on l'imagine aujourd'hui c'est-à-dire «  j'ai envie d'aller voir les châteaux de Bavière» est-ce que ça existe ?


Frédéric Sallée : Cela existe et c'est même tout un pan de la propagande nazie ; les nazis vont... alors elle va s'arrêter en 1937, cette revue mais ils vont créer une revue touristique en langue anglaise qui s'appelle Germany ; c'est une revue consacrée au tourisme et c'est effectivement comme vous le dites : «Venez voir l'Allemagne éternelle, venez voir l'Allemagne de la Bavière, venez voir les châteaux de Bavière, venez voir la Forêt Noire, venez faire une croisière sur le Rhin et évidemment ce sera encadré mais il y a une incitation à ce type de tourisme-là. Il faut aussi montrer que tout révolutionnaire soit-il, le nazisme s'inscrit dans une certaine histoire de l' Allemagne. Et c'est l'Allemagne millénaire et la parenthèse désenchantée pour les nazis ce ne sont pas eux, c'est la république de Weimar et là encore si on veut élargir...1789. Il faut absolument que les nazis rayent de la frise chronologique la Révolution française et pour cela, cela passe aussi par l'inscription dans le temps et dans l'espace. Donc, il faut aller visiter l'Allemagne. Et les journaux, puisqu'on revient toujours aux sujets journalistiques, les journaux ne vont pas s'y tromper puisque si vous lisez la presse des années 1930, alors le journal spécialiste là-dedans, c'est le journal qui s'appelle Le Matin. Vous allez dans les pages des Petites annonces et juste en face vous avez les énormes encarts publicitaires, ce sont les encarts publicitaires pour la Reichsbahn, pour les services ferroviaires allemands et pour l'équivalent de l'Office de Tourisme allemand, qui a son siège avenue de l'Opéra à Paris, et on va vous proposer des excursions, pour 15 jours vous allez payer 1500 francs et vous allez faire un circuit. Parfois l'Allemagne est intégrée à des circuits touristiques en Europe centrale et en Europe de l'Est c'est-à-dire, par exemple, vous allez avoir un circuit pour les villes d'Europe centrale donc vous allez passer par Venise, vous allez passer par Prague, par Budapest et là encore c'est révélateur de la démocratisation du tourisme et de la démocratisation de cette pratique dans les années 1930, on voyage, on a un rapport à la frontière qui est différent ; qui est différent parce qu'il y a eu les 14 point de Wilson, parce qu'il y a cette idée que le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, on va visiter on va passer d'un pays à l'autre et souvent on a justement des reportages journalistiques- alors j'en ai pas parlé parce qu'on est pris par le temps et ce n'est pas le sujet de Hauteclocque- quand on parle de l'Allemagne dans ces reportages-là, ils sont parfois intégrés à quelque chose qu'on appelle le Grand Tour, le Grand Tour d'Europe centrale, héritage de la pratique romantique du XVIIIe siècle, de ce Grand Tour des humanités, où on allait en Allemagne et en Europe centrale pour l'aspect culturel et c'est une pratique qui perdure. On va avoir par exemple le mardi un reportage dans le journal sur la question tchécoslovaque, le mercredi ce sera la Hongrie et on finira ou commencera par l'Allemagne peu importe. Ce sera le Grand Tour des grandes capitales. Donc, oui il y a un tourisme tel qu'on l'imagine actuellement. Là encore la chronologie est saisissante : vous pouvez (je vous ai parlé de cette fameuse agence avenue de l'Opéra), on peut commander un voyage en Allemagne jusqu'au 15 septembre 1939. Si vous êtes parisien, vous allez avenue de l'Opéra et le 15 septembre 1939 vous pouvez encore passer une commande pour aller vous balader en Allemagne. On est mi-septembre 1939. c'est une des structures qui fonctionne jusqu'au bout dans cette Europe qui est déjà en guerre.


Johannes Wetzel : cela veut dire qu'effectivement après le 15 septembre ce n'est plus possible

Frédéric Sallée : Ce n'est plus possible

Johannes Wetzel : Ce n'est plus possible sauf si on est comme le fameux voyage d'automne, invité, encadré. Ce type de voyage donc comme celui pour Brasillach, Drieu La Rochelle a existé aussi pour les artistes peintres je crois ?

Frédéric Sallée : Oui, il y a eu les artistes peintres, les sculpteurs. Belmondo le père Belmondo a été invité en Allemagne alors ce n'est peut-être pas 1941, mais la fin de 1940, j'ai un doute sur la date. Il y a encore des possibilités de circuler en Allemagne pour faire des reportages journalistiques. J'ai trouvé un cas, alors c'est à approfondir parce que pour ma thèse je me suis arrêté à l'année 1939, mais j'ai quand même regardé ce qui se passait après, on a un journaliste qui s'appelle Henri Dubrief qui travaille pour le Matin, et il a suivi ceux qui deviendront les Engagés de la division Charlemagne dans la Waffen SS. Il a suivi ces hommes-là, le parcours de ces hommes-là en Allemagne et là il y a quelque chose à faire si il y en a qui veulent commencer une thèse d'Histoire, il y a quelque chose à faire avec ces parcours-là, un peu autonomes, est-ce que cela vent d'une commande, du directeur de la rédaction je n'en ai aucune idée mais il n'y a pas qu'invitation il y a encore des journalistes circulent. Alors est ce que c'est un cas exceptionnel sur lequel j'ai mis la main, je ne pense pas ; il y en a d'autres mais là encore il faut aller compulser des mètres et des mètres linéaires d'archives et si vous avez le temps vous pouvez y aller.

Johannes Wetzel : C'est presque le mot de la fin. J'aurais voulu... parce que je suis le seul à ne pas avoir vu passer tous les slides, il y en a 5 ou 6 je crois, est-ce qu'on les a tous vus... ça c'est effectivement l'arrestation, ça c'est le café, je vois le texte à l'envers on devine à peu près, les arrestations, ça c'est chez Gringoire. Donc ça c'est effectivement le poids de la propagande, là aussi il est témoin de l'impact du Volksempfänger (?)

Frédéric Sallée : l'utilisation de la radio, c'est très pertinent

Johannes Wetzel : Il a bien vu. Qu'est-ce qu'il y a d'autres ? Vous voyez aussi à part les couleurs choisis par le dessinateur, quelque chose effectivement de très, je ne connaissais pas ce dessinateur, avant il paraît il a un peu raidi, durci son trait pour donner justement,...faire sentir ce raidissement, cette crispation de l'Allemagne. On a fait le tour des slides, c'est tout ? On espère que cela vous a donné envie d'acheter le livre, je crois qu'il y a quelques exemplaires à acheter. Je pense qu'on a encore le temps pour quelques questions du public.

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«Κρέσσον πάντα θαρσέοντα ἥμισυ τῶν δεινῶν πάσκειν μᾶλλον ἢ πᾶν χρῆμα προδειμαίνοντα μηδαμὰ μηδὲν ποιέειν»
Xerxès, in Hérodote,

L'Empereur n'avait pas à redouter qu'on ignorât qu'il régnait, il tenait plus encore à ce qu'on sût qu'il gouvernait[...].
Émile Ollivier, l'Empire libéral.
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Message Publié : 23 Mai 2021 15:19 
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Malgré mes corrections et celles de Pierma et de Jean-Marc Labat, il reste un nom mal orthographié : le journaliste danois qui est des plus anciens parmi les journalistes des années 30 en Allemagne s'appelle Thorvald Steinthal. Désolé de cette erreur alors même que j'avais demandé à Monsieur Salée de me donner la bonne orthographe... :oops:

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Message Publié : 23 Mai 2021 17:06 
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Oulligator a écrit :

Johannes Wetzel : C'est presque le mot de la fin. J'aurais voulu... parce que je suis le seul à ne pas avoir vu passer tous les slides, il y en a 5 ou 6 je crois, est-ce qu'on les a tous vus... ça c'est effectivement l'arrestation, ça c'est le café, je vois le texte à l'envers on devine à peu près, les arrestations, ça c'est chez Gringoire. Donc ça c'est effectivement le poids de la propagande, là aussi il est témoin de l'impact du Volksempfänger (?)

Frédéric Sallée : l'utilisation de la radio, c'est très pertinent.

Le Volksempfänger ("récepteur du peuple") est un récepteur radio très simple, produit en quantité et à bas prix, sur l'initiative de Goebbels, pour diffuser systématiquement sa propagande.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Volksempf%C3%A4nger

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