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 Sujet du message : Re: Ambiance années 25 - 30
Message Publié : 08 Nov 2008 2:07 
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Polybe
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brunehilde a écrit :
c'est un costume assez sommaire avec deux rangées de gros boutons et une ceinture composée d'une bande large au milieu et de deux fines. Il y a également sur le bas des manches les même bandes qui rappellent la ceinture. Quand le pompier a les bras ballants, elles sont à la même hauteur que la ceinture.


Merci cousine.
Aujourd'hui, j'hallucine à mon boulot. On reçoit des bouquins pour gamins, et je tombe pile sur "Otto", de Tomi Ungerer. Je viens de terminer l'extrait qui parle d'un ours que j'ai nommé comme ça, et qui se passe à la même période. Incroyable. Et l'album en question, je ne l'avais jamais vu ! ! ! Incroyable coïncidence.

Tiens, je te mets l'extrait ici :

Je ne me souviens plus très bien comment se sont passés mes premiers Noëls. Etais-je heureux ? Tout semble noyé de brume. Il m’en reste des bribes mais rien ne les relie, comme les pièces d’un puzzle chancelant, dont on aurait perdu des morceaux…

Quelques impressions surnagent néanmoins : c’est à cette période que, tous les matins à l’école, l’un d’entre nous allait au tableau, ouvrir la petite fenêtre dans le calendrier de l’avent. Souvent s’y cachait un chocolat, un bonbon… Il me revient encore l’image d’un sapin, grossièrement stylisé, découpé dans du carton, que la maîtresse m’avait fait peindre en vert. Mes doigts tenant le pinceau, tartinant approximativement la surface… Le tablier, qui était en fait une vieille chemise enfilée à l’envers, et dans laquelle les mouvements étaient si malaisés… Le col qui m’irritait le menton, les manches souvent trop longues… oui, il me reste des fragments, des scories, de toute cette agitation pseudo créatrice. L’affreux conifère en carton, quand j’y repense ! Je suis sûr que si je remettais la main dessus maintenant, je le trouverais odieux, hideux, innommable.

Chez moi aussi, la période des fêtes se traduisait par une certaine fièvre. Mutti passait alors son temps aux fourneaux. La grande affaire, le point culminant, c’était la fameuse maison en pain d’épices, mais il y avait plein d’autres gâteaux dont je raffolais, comme le Christollen, sensé représenter l’enfant Jésus dans ses langes. Et puis les Butterbredlen, bien sûr. Pendant plusieurs jours, avec les emporte-pièces en métal, Ida et moi aidions à les découper, en forme d'étoiles, de petits lutins ou de traineaux… Ils exhalaient des parfums de cannelle, d'anis, de cardamome, de clous de girofle ou de vanille. Je crois que je pourrais, si je me concentrais assez, sentir à nouveau l’odeur, évoquer la sensation de mes doigts englués de cette pâte, que je suçais lorsque Mutti ne me voyait pas.

Je participais volontiers à la décoration de la crèche. C’était moi qui décidais où devaient se placer les différents personnages. Pour l’arbre, c’était tout un cérémonial. Perché sur un tabouret, j’interdisais à Ida le haut, qui m’était réservé. Elle avait le droit, à la rigueur, de mettre des éléments sur les banches les plus basses. Mais son rôle essentiel était de m’assister. Ida, passe-moi la grosse boule bleue. Et là, le bonhomme assis sur la lune. Et ainsi de suite.

Il y avait aussi les cadeaux. Ils n’étaient pas nombreux, à cette époque. Mais j’en ai eu quand même, je suppose. Quels souvenirs m’en reste-t-il ? Le seul qui émerge, c’est mon ours Otto, que j’avais dû recevoir alors que j’avais trois ou quatre ans. J’ignore totalement ce qu’il est devenu. Je sais que plus tard, Otto a eu la patte brûlée à cause du poêle, parce que je m’étais endormi sur le divan et qu’il avait glissé de mes bras. Encore heureux qu’il n’ait pas mis le feu partout dans la maison ! Mon père avait piqué une colère, parce que ce jouet venait de chez Opa et Oma, et qu’il coûtait cher. Le pauvre Otto était resté comme ça plusieurs jours, avec la bourre qui lui sortait par cette ouverture ; Mutti avait fini par y coudre un morceau de tissu brun, afin de stopper l’hémorragie. Mais ensuite, que s’est-il passé, qu’a-t-on fait de lui ? L’histoire d’Otto se perd dans les limbes.

L’approche de Noël, cyclique, inévitable. J’ai dû sans doute, comme les enfants à cet âge, me sentir tout excité, attendre le jour J avec impatience. Mais, est-ce un effet de contamination ? Dans mon souvenir, la fête est toujours ratée. Peut-être ai-je tendance à généraliser ? La seule réminiscence nette qui se détache de ce flou un peu écœurant, répétitif, correspond à ce réveillon particulier de l’année 1926, où des tournants majeurs furent pris.

L’échéance mettait Ida en effervescence. Elle ne cessait de rédiger, de sa grosse écriture encore mal formée, d’interminables lettres à Santa Klaus que ma mère était sensée poster, pour qu’au ciel l’intéressé ou je ne sais qui en tînt compte. Moi, je m’étais contenté de dire à Mutti que je voulais un uniforme de pompier. Pourquoi celui-là, et pas un autre ? Je l’ignore. Je me souviens seulement que même ça, je n’en étais pas convaincu. En fait, je n’avais envie de rien. Pas d’un objet matériel qu’on aurait pu m’offrir, en tous cas. Pressé par Mutti qui s’étonnait de mon peu d’enthousiasme, j’avais fini par lui lâcher cette histoire de déguisement, comme on aurait lancé un os à un chien, pour avoir la paix.

Je crois que le seul présent que je désirais, c’était Franz qui pouvait me le donner, et je n’aurais su dire encore de quoi il s’agissait. J’avais seulement l’intuition que ça passerait par lui, qu’il en était porteur. Je le voyais bien : ma vie n’était que stagnation. Mon ami, mon mentor, symbolisait le mouvement, la nouveauté.

Si, il y avait bien une chose que j’aurais voulue : que la relation entre mes parents redevînt meilleure. Mais ça, même Franz n’y pouvait rien.


Je ne sais pas pour les lettres à Santa Klaus. Tu me diras si ça tient debout. A bientôt. Et merci de ton aide.

Ubik.


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 Sujet du message : Re: Ambiance années 25 - 30
Message Publié : 08 Nov 2008 17:28 
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Polybe
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Inscription : 14 Mai 2008 10:32
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salut Ubik
effectivement Santa Klaus est plutôt utilisé dans les pays anglophones, les Allemands l'appellent le Christkind ou le weihnachtsmann (homme de Noël). Je pense que le mieux c'est de laisser l'expression en français, ce sera plus lisible. sinon pour le reste ça paraît vraissemblable.
Pour les ours je crois que c'était la marque Steiff.


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 Sujet du message : Tu dois avoir raison...
Message Publié : 10 Nov 2008 23:15 
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Polybe
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Inscription : 21 Août 2008 21:57
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Salut,
Tu as raison, peut-être que le plus simple serait de le laisser "en Français dans le texte"...

J'ai tracé pas mal sur la peinture, toujours d'après George Grosz. J'ai bien déliré. Me suis payé des rigolades dans mon coin, plus d'une fois.
J'ai écrit une scène aussi, chez un marchand de couleurs, un vieux Juif chez qui ils arrivent tard, alors qu'il est déjà à l'arrière, en train de manger. Il arrive en robe de chambre, la serviette encore nouée autour du cou ( un symbole ? ). Je te montrerai.

A bientôt...

Ubik.


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Message Publié : 18 Nov 2008 19:21 
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Polybe
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Inscription : 21 Août 2008 21:57
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Salut tout le monde.
Ma petite affaire continue.
J'espère que vous allez bien, que vous vous régalez toujours avec vos lectures, recherches, collections...
En ce qui me concerne, j'ai besoin d'aide sur un casque Allemand de 1914-1918. J'ai trouvé une image, que je joins. Mais j'aimerais savoir quels sont les métaux employés ? On voit un fond qui parait bleu nuit, un aigle en métal doré, la jugulaire je suppose, doit être en cuir... Mais bon, vaut mieux en savoir trop que pas assez. Si par hasard vous connaissez ce genre de choses, merci de me passer l'info.

Voilà l'image. Et pour vous remercier, un extrait :

Le ciel avait viré au gris foncé. L’orage menaçait. Les feuilles d’arbres tournoyaient, agitées par un coup de vent brusque. Dans la rue, les gens se pressaient, rabattaient le col de leurs manteaux. Je frissonnai à nouveau.
Les personnes que nous croisions sur les trottoirs marchaient d’un pas vif, happées par mille et une préoccupations, pressées sans doute de rentrer chez elles, au chaud. Ernst nous faisait presque courir. Il voulait absolument arriver à temps, ne pas rentrer bredouille.
Ce retour dans le monde réel, normal, me dégrisa. Je suivais le peintre, haletant sous l’effort, la tête parcourue d’élancements migraineux. J’en gémissais presque de douleur. Mais il n’était pas question de se laisser distancer. Je forçai l’allure. Ernst, excité, marchait devant, les pans de son imperméable douteux soulevés par les bourrasques. Il me parlait mais je ne comprenais pas tout ce qu’il disait, à cause du bruit de la circulation, mais aussi de son débit saccadé, hystérique.
Enfin, nous arrivâmes devant une petite échoppe, située dans un renfoncement. Pour y accéder, il fallait descendre trois marches. La grille était déjà baissée d’un bon tiers, la lumière éteinte. Ernst tambourina à la porte, insistant jusqu’à ce qu’on vint lui ouvrir.
C’était un vieux Juif, le cheveu rare, une kippa sur le crâne, longue barbe grise, qui se présenta en robe de chambre. Apparemment, il s’apprêtait à dîner. Il avait déjà noué une serviette autour de son cou, qu’il entreprit de défaire lentement. Dans le fond, une sorte de recoin était chichement éclairé. Par la porte entrebâillée, on devinait une petite table, une assiette à soupe, un quignon de pain. Un gramophone tournait, répandant une mélopée triste, à moitié assourdie, entrecoupée de crachotements, de parasites. L’homme vint nous ouvrir en traînant les savates ; il faisait une mine contrariée, visiblement mécontent d’être importuné ainsi. Mais quand il reconnu Ernst, il lui décocha un sourire cordial :
- Ah, mais c’est mon artiste ! Comment allez-vous ? Et cette grande œuvre, elle avance ?
- Oui, justement. Vous avez encore du jaune de Naples et du bleu de Prusse ?
- Oh, pour vous, mon ami, j’aurai toujours quelque chose de bien. Suivez-moi. Nous allons voir si on peut vous arranger.
Il trottina dans la boutique et, dans la pénombre qui grandissait, se mit à fureter dans ses tiroirs. Un comptoir aux innombrables taches fut en quelques instants recouvert de tubes, parmi lesquels les doigts graciles du vieil homme pianotaient, tandis que sa voix fluette vantait les mérites de tel ou tel pigment, de composés chimiques dont j’entendais le nom pour la première fois : cadmium, zinc, titane, cobalt… Indifférent à ce bavardage, Ernst fourrageait nerveusement parmi les teintes, comme pris d’une fièvre désordonnée, manifestement désireux de retourner chez lui, pour retrouver sa transe créatrice. Le vieux commerçant faisait comme si de rien n’était et continuait sa réclame. Il caquetait incessamment, sans laisser un instant de répit, de réflexion, à son client. Sa technique consistait à flatter Ernst, le convaincre que, pour un peintre tel que lui, de son envergure, il fallait absolument du matériel haut de gamme. Il avait déjà réussi à vendre les couleurs que nous étions venus chercher mais, tant qu’à être dérangé en plein repas, il comptait bien tirer profit maximum de cette visite tardive. Je jetai un coup d’œil aux alentours :
Les rayonnages en bois étaient pour la plupart encombrés de bocaux poussiéreux, parmi lesquels se faufilaient les souris, profitant de l’obscurité. La salle était basse de plafond, une vilaine ampoule pendait au milieu, que pour l’instant personne n’allumait, alors qu’on n’y voyait goutte. Comment pouvaient-ils palabrer ainsi, à propos de couleurs, dans cette nébulosité crasseuse, disserter sur l’éclat, le scintillement, la tenue ou la transparence des teintes ? La conversation devenait absurde, complètement abstraite, presque philosophique. Je commençais à m’ennuyer et me surpris à penser que le vieux Juif faisait peut-être exprès de ne pas utiliser le courant, comptant sur la précipitation d’Ernst pour liquider des produits de qualité moyenne, que personne n’aurait jamais achetés en plein jour. Il en était maintenant à lui parler d’un noir aux reflets argentés, qui conviendrait parfaitement pour la calandre et le pare-choc de sa voiture. Ernst hésitait : l’appliquer, cela voulait dire recommencer toute une partie de la composition, qui était presque achevée. Et puis, cette grosse plage de couleurs foncées, même si elle s’accompagnait de chatoiements métalliques, n’allait-elle pas assombrir, alourdir l’ensemble, le rendre moins attractif ? Mais le vieux ne lâchait pas prise : vous verrez, assurait-il, avec ça vous ne pouvez pas rater, votre tableau sera magnifique et, qui sait, on pourrait vous remarquer, vous proposer votre première grande exposition !
Le tube coûtait deux Marks. C’était cher, d’autant qu’il était bien plus petit que les autres. Mais à la fin, Ernst, qui semblait proche de l’apoplexie, se décida sur un mouvement d’humeur. Il s’empara convulsivement de l’objet, fourra quelques pièces dans la main du vieil homme, qui disparurent immédiatement dans les poches du peignoir. En un instant l’affaire fut conclue. A partir du moment où l’argent avait changé de propriétaire, nous fûmes littéralement poussés dehors. Le commerçant ferma la porte à clé. A l’aide d’une manivelle, il fit prestement descendre le restant de grille, pressé de rejoindre le fond de sa tanière pour finir son souper.
Dehors à nouveau. Cette fois-ci, il faisait presque nuit. L’esprit ailleurs, déjà en train d’appliquer ses coups de brosse, Ernst reprit la route de son domicile, ses précieuses couleurs à la main, serrées dans ses paumes, comme s’il avait capturé un moineau et voulait l’empêcher de s’échapper. Constatant qu’il avait oublié jusqu’à mon existence, je décidai d’en faire autant, de regagner mes pénates, le 8 Bertastrasse, où on m’attendait sans doute.


Pièces jointes :
Casque_a_pointe_allemand_.jpg
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 Sujet du message : Re: Ambiance années 25 - 30
Message Publié : 19 Nov 2008 19:34 
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Polybe
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Inscription : 14 Mai 2008 10:32
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salut,
as-tu regardé sur wikipédia http://fr.wikipedia.org/wiki/Casque_%C3%A0_pointe
il y a aussi ce site : http://hcapelli.free.fr/indexa.html
j'espère que tu y trouveras les précisions que tu cherches.


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 Sujet du message : Merci...
Message Publié : 19 Nov 2008 22:42 
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Polybe
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Inscription : 21 Août 2008 21:57
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Salut,

Merci pour tes indications. Effectivement, c'est assez complet. Je vais donc intégrer ça dans la description de cet objet, qui joue un rôle dans une des scènes du roman.

Je continue avec mon personnage, qui va peu à peu évoluer vers ce que l'on sait, sous l'influence de son ami. Actuellement, je m'intéresse au mouvement "Wandervogel", ça te dit quelque chose ? Ces jeunes qui refusaient le système, les adultes, qui s'affublaient de déguisements fantaisistes, marchaient dans la forêt et cultivaient un goût certain pour la mythologie germanique, les légendes, etc. Je lis en ce moment la thèse de G. Mouton qui montre les liens entre ce mouvement et le nazisme, qui l'a détourné, récupéré. Je mets le lien si ça t'intéresse... Je pense que je vais sans doute créer un personnage qui incarnera ce mouvement, fera le lien avec les deux garçons dont je décris le parcours et me permettra au passage de créer toute sortes d'ambiances intéressantes.

A bientôt. Merci encore.

Ubik.

http://edition-numerique.editions-unive ... stoire.pdf


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Message Publié : 23 Nov 2008 19:03 
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Georges Duby
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Inscription : 27 Juil 2007 15:02
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ubik a écrit :
C’était un vieux Juif, le cheveu rare, une kippa sur le crâne, longue barbe grise, qui se présenta en robe de chambre. Apparemment, il s’apprêtait à dîner. Il avait déjà noué une serviette autour de son cou, qu’il entreprit de défaire lentement. Dans le fond, une sorte de recoin était chichement éclairé. Par la porte entrebâillée, on devinait une petite table, une assiette à soupe, un quignon de pain. Un gramophone tournait, répandant une mélopée triste, à moitié assourdie, entrecoupée de crachotements, de parasites. L’homme vint nous ouvrir en traînant les savates ; il faisait une mine contrariée, visiblement mécontent d’être importuné ainsi. Mais quand il reconnu Ernst, il lui décocha un sourire cordial : Sa technique consistait à flatter Ernst, le convaincre que, pour un peintre tel que lui, de son envergure, il fallait absolument du matériel haut de gamme. Il avait déjà réussi à vendre les couleurs que nous étions venus chercher mais, tant qu’à être dérangé en plein repas, il comptait bien tirer profit maximum de cette visite tardive. Je jetai un coup d’œil aux alentours : Les rayonnages en bois étaient pour la plupart encombrés de bocaux poussiéreux, parmi lesquels se faufilaient les souris, profitant de l’obscurité. La salle était basse de plafond, une vilaine ampoule pendait au milieu, que pour l’instant personne n’allumait, alors qu’on n’y voyait goutte. Comment pouvaient-ils palabrer ainsi, à propos de couleurs, dans cette nébulosité crasseuse, disserter sur l’éclat, le scintillement, la tenue ou la transparence des teintes ? La conversation devenait absurde, complètement abstraite, presque philosophique. Je commençais à m’ennuyer et me surpris à penser que le vieux Juif faisait peut-être exprès de ne pas utiliser le courant, comptant sur la précipitation d’Ernst pour liquider des produits de qualité moyenne, que personne n’aurait jamais achetés en plein jour. Le tube coûtait deux Marks. C’était cher, d’autant qu’il était bien plus petit que les autres.
Elle est bizarre, chargée en contenu et assez incroyable, dans l' extrait cité, cette histoire du vieux juif sale, minable, cupide, radin et voleur en plus! On se croirait dans un roman d'extrême droite ... On n'en fait plus comme cela!

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Message Publié : 23 Nov 2008 21:06 
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Polybe
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Alain.g a écrit :
Elle est bizarre, chargée en contenu et assez incroyable, dans l' extrait cité, cette histoire du vieux juif sale, minable, cupide, radin et voleur en plus! On se croirait dans un roman d'extrême droite ... On n'en fait plus comme cela!



Je suis d'accord. Pourquoi cette scène ?

D'abord, et ça n'est pas la seule, tout se déroule comme dans une espèce de rêve, dans un climat un peu surréaliste, halluciné. C'est voulu, car mon personnage est très fantasque et c'est l'ambiance que j'ai trouvée dans les peintures de l'époque, dans les documents que j'ai consulté.

Ensuite, il ne faut pas oublier que c'est ainsi qu'on voyait les choses à l'époque. Mon personnage a 10 ans, il est imprégné de valeurs antisémites et il a grandi dans une famille qui, à l'exception de sa mère, est profondément nationaliste, anticommuniste, antijuive. Qui plus est, j'ai dans l'idée de faire en sorte que, lors de la nuit de cristal, ce jeune homme retournera dans la boutique de couleurs, pour aller y faire du chambard. Il faut donc qu'il ait l'impression d'avoir des raisons valables de le faire.

En fait, peut-être que le vieux marchand est bonimenteur, mais on aurait pu tomber sur quelqu'un ayant des comportements similaires, qui n'aurait pas été juif. Mais à ce moment là, ça aurait été gratuit, alors que là, ça va resservir plus loin.

De même la lumière qui reste éteinte : c'est un jeu de l'écriture. Je fais constamment ça : je lance des choses en l'air, des idées qui me viennent, et en cours de route, je les motive, je leur trouve une utilité. Là, ça me faisait bien délirer, l'histoire d'un peintre qui achète ses couleurs dans le noir, tellement excité qu'il n'y fait seulement pas attention. Mais en fait, si ça se trouve il a le courant coupé, ce marchand de couleurs. C'est mon personnage qui se met en tête que c'est une stratégie pour vendre de la qualité douteuse.

En fait, constamment, on voit tout à travers ses yeux, et il n'a pas le recul d'un adulte. Et même s'il raconte tout ça plus tard, avec une distance qu'il ne possédait pas à l'époque, il replonge vite dans ses sensations, ses sentiments, comme les protagonistes qui racontent des années après quand ils étaient dans les jeunesses Hitlériennes, ils tentent d'avoir une attitude critique mais rapidement, quand ils parlent de leurs souvenirs, ils se mettent à sourire, leur regard brille, l'émotion revient et elle est positive, nostalgique. Je voudrais montrer sans fards la vision très manichéenne du monde telle que pouvait l'avoir un gamin de dix ans dans une telle époque. Alors évidemment, ça m'amène à lui faire dire des choses que moi, à dix ans, je n'ai jamais dites, ni seulement pensées. Il est très différent de moi, je suis obligé de m'imaginer, de me projeter, à travers ce que je lis, ce que je trouve sur cette époque.

Je pense que mon personnage est conforme à ce qu'on aurait pu trouver à l'époque. S'il n'était pas comme ça maintenant, il ne pourrait pas, dans quelques mois, rentrer aux Hitlerjungen comme je compte l'y faire rentrer. Et ainsi de suite.

Je m'imprègne, à travers des romans écrits à l'époque, à travers des écrits d'historiens, des études et des documents d'époque, de ce qui se dégage de cette époque. Mais je le fais à travers un parti pris évident, celui de jeter sur tout ça un éclairage fantasque, un peu fiévreux, surréaliste.

Pour en finir avec cette question : sans remonter aussi loin, les mentalités changent. A l'heure actuelle, il est réprimé de tenir un discours raciste ou discriminatoire. Mais moi qui suis né dans les années 60, je peux dire que lorsque nous étions jeunes, ces comportements étaient coutumiers et pas réprimés. Donc j'imagine que dans les années 20, sous Weimar, dans une société plus ou moins antisémite et animée de mouvements contradictoires, de ressentiments divers, où l'ordre public était facilement troublé, le comportement et la vision de mon jeune personnage ne sont peut-être pas si étranges. Et cela s'accentue encore une fois les nazis au pouvoir, puisque on en arrive aux extrêmes, les enfants qui dénoncent leurs propres parents, etc. Non ?

Voilà. J'essaie de dire des choses qui auraient pu se produire, qui soient vraisemblables. Mais en même temps, je m'autorise le luxe de le décrire à travers la sensibilité d'un garçon qui est très imaginatif, sujet à toute sortes de visions, qui interprète facilement ce qu'il voit, le déforme, l'amplifie.

Bon, j'espère avoir été clair dans mes explications... Au plaisir...

Ubik.


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Message Publié : 23 Nov 2008 23:04 
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Georges Duby
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Inscription : 27 Juil 2007 15:02
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ubik a écrit :
Ensuite, il ne faut pas oublier que c'est ainsi qu'on voyait les choses à l'époque. Mon personnage a 10 ans, il est imprégné de valeurs antisémites et il a grandi dans une famille qui, à l'exception de sa mère, est profondément nationaliste, anticommuniste, antijuive. Qui plus est, j'ai dans l'idée de faire en sorte que, lors de la nuit de cristal, ce jeune homme retournera dans la boutique de couleurs, pour aller y faire du chambard. Il faut donc qu'il ait l'impression d'avoir des raisons valables de le faire.
Bon, j'espère avoir été clair dans mes explications... Au plaisir... Ubik.
De plus en plus clair, votre héros participera activement à la nuit de cristal et vous préparez la chose comme positive. Comme vous allez être obligé je suppose de décrire son admiration de Hitler, son adhésion à sa doctrine, son engagement dans le nazisme, comment il dénonce d' autres allemands ....
Je suis triste de lire des choses pareilles. J' étais d'ailleurs persuadé que des lois interdisaient de faire ainsi, même sous une forme indirecte! Est-ce que vous ne risquez pas, ubk, d'engager ainsi la responsabilité du site?

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Message Publié : 24 Nov 2008 11:19 
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Polybe
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Inscription : 21 Août 2008 21:57
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Bonjour,

Je comprends votre remarque. C’est tout à fait normal. Je me pose ces questions depuis un moment. Et, fait curieux, beaucoup plus depuis quelques jours. Il faut dire que le sujet est délicat, qu’il y a largement matière à s’y fourvoyer.

Ceci m'amène à préciser comment j'écris, par quel biais je me retrouve à composer un roman.

En fait, le point de départ est presque toujours le fait que quelque chose me choque, que je ne comprends pas, qui m'irrite, me bouleverse. De là le besoin de m'exprimer à ce propos.
Du temps passe, ça mijote en moi, je ne sais trop comment. Tous les sujets qui me choquent, ne ressortiront pas en tant que schéma directeur pour un livre. Certains trouvent à s’organiser. Et une partie d’entre eux va jusqu’à un travail abouti.

Jusqu'à présent, j'ai écrit des histoires policières qui mettaient en scène des tueurs en série. Ce faisant, à certains moments dans mes romans, j'étais obligé de me mettre dans leur peau, de décrire leur vision des choses. Paradoxe, j'en venais à plonger dans ce qui m'horrifiait, et ça constituait à la fois une sorte de catharsis, et en même temps il fallait tout de même se documenter sur tel ou tel phénomène, et là on apprenait des choses qu'on n'aurait pas soupçonnées, donc encore pires que celles qu’on connaissait. Et on se retrouvait à affronter d'autre éléments plus horribles, qu'il fallait décrire si possible.

Le processus est tel que, lorsqu'il est terminé, si j'ai atteint mon objectif, les gens sont profondément choqués. Cela me parait normal, puisque j'écris sur ce qui me choque. En quelque sorte, à travers mon roman, j'amplifie et je restitue l'émotion qui était en moi. Par exemple, mes ouvrage précédents ont parlé de sectes et de manipulations mentales, du trafic de vidéos montrant des scènes de violence, des groupuscules néo nazis, d'organisations regroupant des personnes aisées et profitant de leurs importants moyens pour se livrer à des actes de barbarisme mondain, etc.

Ce sont des fictions mais elles font écho à certaines réalités. Dans ces fictions je dénonce, sur un mode baroque, des choses qui me paraissent épouvantables. En temps et heure, on a parlé de mes romans comme étant d'une noirceur sans fond, sans doute avec raison. Un mélange de ton clinique, froid, ponctué d’éclairs d’humour décalé, avec tendance nette à délirer par moments. Enfin, c’est ce qui revient des commentaires dans la presse.

En m'attaquant à ce thème du nazisme, pour le roman actuel, je dois préciser que lorsque j’étais jeune, un jour on m’a amené, dans le cadre du collège, dans une salle obscure, pour « voir un film ». Cela se produisait parfois, on nous installait dans la salle obscure et on nous projetait du théâtre filmé, du Molière, des choses comme ça. Là, ce fut, sans présentation ni commentaire, le « Nuit et brouillard », d’Alain Resnais. Je dois dire que j’en suis sorti profondément marqué. J’ignorais tout, à cet âge, de l’existence du nazisme, encore moins des camps. A partir de ce jour, je n’ai plus jamais été le même.

Je pense que le nazisme et ce qu’il a entraîné constitue un phénomène sans précédent dans l’histoire de l’homme et que l’esprit bute sans cesse devant des horreurs qu’il ne peut tolérer, assimiler. On a beau en connaître sur ce sujet, sans cesse on en découvre encore et encore, et en fin de compte, personnellement, j’ai des périodes où je ne veux pas y penser, et des périodes où ça s’impose à moi. Je réprouve au plus profond de moi cette idéologie, mais je n’arrive pas à comprendre, à accepter, et donc je me suis retrouvé à lire des ouvrages sur ça, pour tenter de jeter quelques lueurs sur la question du pourquoi, ou, à défaut, du comment. Ce faisant, j’ai emmagasiné des connaissances, plus ou moins éparses. Je ne lisais pas constamment sur ce sujet. C’en était un parmi beaucoup, qui m’intéressaient.

Je ne peux pas dire comment, mais l’été dernier, alors que ça faisait une dizaine d’années que je n’écrivais plus, des bribes se sont organisées en moi : un roman me venait, scène par scène, dont l’argument était le suivant : décrire par le menu détail comment un jeune garçon ( que j’ai nommé Wolfgang ), au départ rêveur, pas très sûr de lui, timide, etc. devient un rouage de ce féroce système meurtrier. Alors certes, il vient d’une famille, on le découvre peu à peu, dans laquelle règne un climat latent d’antisémitisme, de nationalisme, une non-acceptation du traité de Versailles, enfin, tout ce que Hitler a su exploiter par la suite. Mais cela n’aurait pas suffi à l’entraîner aux actes qu’il va commettre. En fait, il y a aussi le fait que son père va devenir un membre influent du parti nazi local et surtout, surtout, sa rencontre avec un autre garçon ( Franz ), qui va devenir son mentor, son maître à penser, et va littéralement le transformer, par un véritable processus d’emprise.

J’ai visionné pas mal de documents sur la jeunesse, sur la façon dont le système nazi a su détourner les jeunes, les séduire, et ce que je veux montrer, c’est comment Franz va tomber dans le piège et, par son ascendant sur Wolfgang, l’entraîner avec lui. C’est donc l’histoire d’une sujétion, d’un abandon de la personnalité. Wolfgang s’en remet à Franz, se laisse dominer par lui, et le suit partout, agit comme lui, quoi qu’il fasse. Il ne choisit pas, il suit.

Après, il comprendra ce qu’il a fait et s’éveillera de ces années comme d’un cauchemar. Beaucoup d’allemands qui ont suivi ont eu ainsi un réveil douloureux. Certains continuèrent de penser que le régime nazi aurait du dominer le monde et en resteront nostalgiques. D’autres se sentiront floués, comprendront qu’ils ont été exploités, mais trop tard.

Il n’est donc pas question pour moi de cautionner ce régime, mais je veux restituer, vécu de l’intérieur, comment quelqu’un s’y est laissé piéger. Quand on visionne le documentaire de Guido Knopp ( les complices d’Hitler ) sur Baldur Von Schirach, on voit bien que les personnes qui sont rentrées dans le jeunesse hitlérienne, des années après, même en ayant un regard critique sur cette période, retrouvent le sourire quand elles racontent des anecdotes et ressentent, malgré elles, une certaine nostalgie. C’est qu’en fait la ruse nazie a trouvé les biais pour les séduire, les subjuguer, et c’est ce mécanisme que je veux montrer. Un triple mécanisme, en fait : celui, institutionnel, que je viens de décrire. Celui de la pression psychologique exercée par le père sur Wolfgang, puisque il est un membre influent de cette communauté, que son meilleur ami est un S.A, etc. Et emprise de Franz sur Wolfgang, dans un rapport d’égal à égal, avec récupération au passage de la révolte adolescente, de la soif d’idéal, des défis, des bravades, etc. Les adolescents n’ont pas leur pareil pour s’entraîner mutuellement, et ça, je pense que des gens comme Schirach l’ont sciemment utilisé.

Bref, je choisis de ne pas juger, de juste montrer comme si j’avais été témoin. Dans la vie, on se fait avoir par pas mal de pièges et souvent on ne comprend qu’après, bien plus tard, et on regrette. Je ne suis pas né à cette époque ni dans ce pays, mais rien ne me garantit que si ç’avait été le cas, j’aurais fait preuve de suffisamment de discernement pour me préserver des effets pernicieux de ce travail de séduction. On se croit toujours très malin, on l’est bien moins qu’on ne l’imagine. Wolfgang est un suiveur, il a choisi de s’en remettre à son ami, c’est commode pour lui. Certains ont dit après qu’ils avaient obéi aux ordres. D’autres qu’ils y avaient cru. D’autres encore ont profité de ce système pour donner libre cours à leur bestialité, leur sadisme, ou leur rapacité. Wolfgang, lui, a fait comme son copain, parce qu’il ne tenait pas debout tout seul. Voilà mon argument.

J’ignore comment et pourquoi cette idée m’est venue. J’ai le sentiment de m’être attaqué à quelque chose que je ne maîtrise pas. Je maitrise à l’échelle d’une scène, oui. Je me fixe un objectif pour une scène, je veux faire passer telle ou telle impression. Mais l’ensemble, je ne sais pas. Possible que ce roman, s’il est publié, soit très mal reçu. Possible aussi qu’on me dise qu’il ne fait qu’enfiler des clichés les uns après les autres. Par moments, j’ai le sentiment que je ferais mieux de me consacrer à toute autre chose. Je n’arrive pas à y voir clair et, comme j’ai cette capacité à écrire, je me dis que si ça émerge de moi, je dois le faire. Mais j’ignore vers quoi ça tend, pourquoi j’écris ça.

Je veux illustrer ce que j’ai compris, ces mécanismes de séduction, de sujétion, d’aliénation qui sont montrés dans les documentaires. Les restituer à la première personne. Montrer comment Wolfgang se laisse séduire et comment peu à peu il comprend, mais est piégé et ne peut plus reculer. Jusqu’à l’issue finale, qui sera une forme de fuite.

J’espère avoir réussi à faire comprendre mes motivations. Je ne dis pas que ce que je fais est une noble et saine entreprise, mais en tous cas, je ne fais pas l’apologie du système nazi. Je montre comment quelqu’un s’y est laissé engluer. C’est mon seul propos, le but que je me suis fixé.

A vous lire,

Ubik.


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Message Publié : 24 Nov 2008 17:33 
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Georges Duby
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ubik a écrit :
Il n’est donc pas question pour moi de cautionner ce régime, mais je veux restituer, vécu de l’intérieur, comment quelqu’un s’y est laissé piéger.
Entendu mais pourquoi alors ne pas vous distancier, par des doutes du héros ou l'introduction d'un personnage critique sur Hitler, une copine, un ami, un parent, comme on fait dans ce genre de cas. Et surtout pourquoi avoir brossé un tableau invraisemblable, outré, et qui est une caricature chargée d'antisémitisme primaire d'un vieux juif. La description la plus antisémite que j'ai jamais lue! Quasiment ridicule! Vous ne pouvez plus plaider l'innocence de l'auteur qui cherche à reconstituer.
"Qui veut faire l'ange fait la bête". Vous y êtes!

_________________
Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


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 Sujet du message : Impossible équation.
Message Publié : 24 Nov 2008 18:21 
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Polybe
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Inscription : 21 Août 2008 21:57
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Bonsoir,

Oui, il faut introduire de la distance. Mais au coup par coup, comment procéder ? Il y a des scènes importantes où la mère de Wolfgang, qui désapprouve fortement, va manifester ses convictions, ce qui va occasionner des disputes importantes avec le père. J'ai déjà commencé à le montrer dans des certains passages. Mais là, Wolfgang est seul avec le peintre, visiblement pas en état d'avoir un quelconque recul. En fait, il y a déjà une distance, puisque c'est Wolfgang adulte qui s'exprime et raconte son enfance, et il la raconte avec un langage d'adulte. C'est déjà une distanciation. Mais je me heurte à un problème : si je montre, en plus, Wolfgang à la fois dans la scène passée, et dans son commentaire présent, je casse la scène, je la dissocie, je brise l'effet de réel. On n'est plus dans l'ambiance de la scène, on n'a plus l'impression d'y être, on est dans un récit ancré dans le présent qui raconte un passé, et ça tue la dynamique. C'est comme si je ponctuais mon texte de phrases du genre "comme je le disais", "il faut que je vous explique"... Moi je veux donner l'impression qu'on est présents, comme une caméra, une mouche au plafond, comme un oeil quelque part, qui replonge dans le passé. Je veux qu'on soie dans ce passé, pas dans le présent en train d'écouter une histoire sur le passé.

Reste que ma scène est peut-être exagérée, d'où l'intérêt de mettre des extraits sur un site, ça permet de tester la validité de ce qu'on dit. Oui, c'est une caricature chargée d'antisémitisme primaire. Exactement comme ce qu'on trouvait à cette époque quand on se documente. Cela prouve que j'ai réussi à recréer exactement l'ambiance visée. Je n'y suis pour rien, ce n'est pas moi qui l'ai inventé. Si je parlais de l'époque de Jeanne d'Arc, je pense que je serais bien obligé de restituer le climat qui y correspond, avec les guerres de religion, la haine entre Français et Anglais, etc. Oui, c'est sans doute triste de lire ça. Mais c'est cette époque qui est triste. Si cela ne s'était pas produit, on ne serait pas en train d'écrire des ouvrages à ce sujet, non ?

Wolfgang voit négativement le marchand de couleurs. Je ne peux pas le faire passer, sans transition, de l'état d'écolier introverti et rêveur, à celui de waffen SS compromis dans ce que le régime a de plus abject. Il faut bien qu'il y ait des étapes, et ces étapes restituent en fait ce que le régime a mis en place. Il a tout misé sur les jeunes et leur endoctrinement, leur formatage. Wolfgang est complètement formaté, ce n'est pas moi, c'est lui. Si j'ai choisi de décrire un garçon qui entre chez les jeunesses Hitlériennes, je ne peux pas le calquer sur mes valeurs, sinon il n'aurait rien à faire dans ce roman. Je n'ai pas choisi de décrire Sophie Scholl ou les gens qui faisaient partie de son groupe, des dissidents, j'ai choisi de montrer un garçon un peu influençable qui se fait embarquer, qui suit, qui se contente de suivre la voie que d'autres ont tracé pour lui. En cours de route, il n'aura plus le choix et fuira dans l'abrutissement total par l'alcool. Mais pour l'instant, il ne voit pas venir le piège. A cette époque là, pour les jeunes, Hitler était un dieu vivant, il avait sauvé leur pays de tout et de n'importe quoi, il était au-dessus de tout. "Le drapeau est au-dessus de la mort". Il ne faut pas oublier à quel point la propagande avait de l'importance, et ce bien avant 1933 parce qu'elle s'appuyait sur des mécontentements profonds, des dissensions sociales radicales.

Certes le tableau que j'ai brossé est invraisemblable, outré, halluciné, grotesque. Mais il en va de même dans de nombreuses autres scènes du roman. C'est ainsi que j'avais envie d'écrire, c'est un jeu de l'écriture. A la fois je force le trait sur cette description, de même que je fais un portrait féroce du peintre dans les scènes qui précèdent, et ainsi de suite. Wolfgang et son copain n'épargnent personne, ni leurs professeurs, ni leur entourage. Je montre notamment que Wolfgang commence à s'éloigner de sa propre famille, qui se déchire. Il se dit que son ami, lui, vit sans tout ça, un peu comme un sauvage, et ne s'en porte pas plus mal.

Je relis la thèse de G. Mouton dont j'ai donné le lien, et je suis frappé de voir à quel point cette époque était extrême, elle ne faisait pas dans la dentelle.

Wolfgang va prendre ses distances. Mais il ne le fera qu'à la fin du livre, quand l'action sera terminée. S'il le fait à mesure, je casse l'action, je lui coupe sa crédibilité, j'introduis une distance entre le lecteur et ce qu'il voit, et ça je voudrais l'éviter. Alors, comment résoudre l'impossible équation ?

A vous lire,

ubik.


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 Sujet du message : Re: Ambiance années 25 - 30
Message Publié : 25 Nov 2008 10:29 
Bonjour,
Alain, Ubik se replonge avec le plus de precisions possible dans l'ambiance de l'epoque.
Tiens, un exemple surprenant d'antisemitisme ordinaire :

Durant la guerre entre la Pologne et l’URSS (1919-1921), Charles de Gaulle, alors capitaine, fit partie de la Mission militaire française qui alla prêter main forte aux Polonais. En permission après s’être distingué comme commandant de bataillon lors des opérations de l’armée Budienny, (Août 1920), il écrivit un article qui sera publié le 1er novembre 1920 dans la Revue de Paris.
J’y ai relevé des commentaires qui laissent rêveur :

A Boromel, village ruthéne :
"En certains coins, le grouillement caractéristique des juifs polonais entassés la comme partout, par dizaines dans d’affreuses masures, cherchant en dépit des quolibets et des brutalités a trafiquer de quelque chose, vivant dans l’insécurité et la terreur permanente, détestant au fond de leur coeur l’un comme l’autre des deux adversaires, les cosaques de Budienny autant que les uhlans polonais."

Puis après avoir chassé les Soviétiques de la ville de Sieldice :
"La ville est bouleversée. Les bolchevistes y avaient installé un soviet avec le concours des juifs de l’endroit (plus de la moitié de la population d’ailleurs). A présent les Polonais de Sieldice veulent voir punir les juifs favorables a l’ennemi, et ce sont des arrestations continuelles opérées au milieu des hurlements variés d’une plèbe innombrable. Ce matin, plusieurs juifs ont été fusillés car ici les exécutions ne tardent guère […] Ils en ont déjà bien assez [NDL : Des ennuis], les pauvres, dans leur vie perpétuellement agitée par la crainte des mauvais coups et la passion du trafic."

Il était fertile des 1920, le terreau sur lequel va pousser le racisme mortifére nazi.
Même de Gaulle, a mon grand désarroi, qui les plaints mais dans des termes empreints de condescendance, prete le flanc, a le lire aujourd'hui, a la critique.
Mais c'etait dans les moeurs a l'epoque…
Source : Charles de Gaulle, "Le fil de l’épée et autres écrits" , Plon, 1999.


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 Sujet du message : On se relit, on modifie...
Message Publié : 25 Nov 2008 10:43 
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Polybe
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Inscription : 21 Août 2008 21:57
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Bonjour.

J'ai tenu compte de vos observations et vous avez sans doute raison.

Je pense toutefois que Wolfgang, vu son entourage et vu son âge, n'aura pas maintenant le réflexe de se poser des questions, d'hésiter. A mon avis, il va sûrement être troublé, mais plus tard. Répéter, reproduire des jugements négatifs, que ce soit sur les Juifs, les communistes et autres personnes dévalorisées par son entourage, ne lui pose pas de problèmes de conscience, puisque son père qui lui sert de modèle, agit ainsi. Et Franz, qui est son référent, idem.

Mais il est curieux, cherche à comprendre notamment pourquoi sa mère désapprouve. J'ai donc inclus des scènes où il en parle avec elle. Et d'autres où elle se dispute avec son mari, à propos de ses fréquentations, de ses idées, etc. Je pense qu'ils vont se séparer pendant le roman.

Je pense que Wolfgang va commencer à clairement hésiter, à se sentir mal, quand on lui demandera de tuer. Et là il sera pris dans un conflit de loyauté : soit il obéit, et il garde son statut, l'amitié de Franz... Soit quoi ? Il n'aura plus tellement le choix je suppose. Embarqué, trop tard pour reculer. Sous le régime nazi, ceux qui manifestaient leur désaccord finissaient avec les victimes, c'était expédié, et tous plus ou moins l'avaient compris. Wolfgang, lui, s'est ancré dans cette relation avec son ami, il est persuadé qu'il survivra si Franz continue à veiller sur lui. Donc il le suit et l'imite.

Cela dit, j'ai modifié la scène chez le marchand de couleurs, qui était sans doute excessive. Il faut dire aussi que j'ai pris le pli, à travers sans doute ma pratique du roman noir, de faire des descriptions féroces, tant des personnes que des lieux. Le magasin de couleurs est un palace comparé à l'appartement où vit le peintre.

C'est aussi un jeu de l'écriture, quand on a de l'aisance pour planter un décor, pour accentuer certains détails, on se retrouve à le faire sans pratiquement pouvoir l'éviter. Mais on est capable de se relire, de modifier. Alors j'ai atténué la scène, lui ai donné une tonalité différente. Cela dit, je tenais à ce côté surréaliste, de gens parlant de couleurs dans le noir, je l'ai maintenu. Enfin, j'ai fait un essai, peut-être que ça donnera l'impression d'une côte mal taillée ?

Voilà le résultat :

Enfin, nous arrivâmes devant une petite échoppe, située dans un renfoncement. Pour y accéder, il fallait descendre trois marches. La grille était déjà baissée d’un bon tiers, la lumière éteinte. Ernst tambourina à la porte, insistant jusqu’à ce qu’on vint lui ouvrir.
C’était un vieil homme, le cheveu rare, une kippa sur le crâne, longue barbe grise, qui se présenta en robe de chambre. Apparemment, il s’apprêtait à dîner. Il avait déjà noué une serviette autour de son cou, qu’il entreprit de défaire lentement. Dans le fond, une sorte de recoin était faiblement éclairé. Par la porte entrebâillée, on devinait une petite table, une assiette à soupe, un quignon de pain. Un gramophone tournait, répandant une mélopée triste, à moitié assourdie, entrecoupée de crachotements, de parasites. L’homme vint nous ouvrir en traînant les savates ; il faisait une mine contrariée, visiblement mécontent d’être importuné ainsi. Mais quand il reconnu Ernst, il lui fit un sourire cordial :
- Ah, c’est mon vous. Comment va ? Et ce tableau, ça avance ?
- Oui, justement. Vous avez encore du jaune de Naples et du bleu de Prusse ?
- Je pense que oui. Suivez-moi. Nous allons voir si on peut vous arranger.
Il trottina dans la boutique et, dans la pénombre qui grandissait, se mit à fouiller dans ses tiroirs. Un comptoir aux innombrables taches fut en quelques instants recouvert de tubes, parmi lesquels les doigts graciles du vieil homme pianotaient, tandis que sa voix fluette vantait les mérites de tel ou tel pigment, de composés chimiques dont j’entendais le nom pour la première fois : cadmium, zinc, titane, cobalt… Indifférent à ce bavardage, Ernst fourrageait nerveusement parmi les teintes, comme pris d’une fièvre désordonnée, manifestement désireux de retourner chez lui, pour retrouver sa transe créatrice. Le vieux commerçant faisait comme si de rien n’était et continuait son exposé. Il caquetait incessamment et m’exaspérait, j’avais si mal au crâne... Je jetai un coup d’œil aux alentours :
Les rayonnages en bois étaient pour la plupart encombrés de bocaux poussiéreux, parmi lesquels se faufilaient les souris, profitant de l’obscurité. La salle était basse de plafond, une vilaine ampoule pendait au milieu, que pour l’instant personne n’allumait, alors qu’on n’y voyait goutte. Comment pouvaient-ils palabrer ainsi, à propos de couleurs, dans cette nébulosité crasseuse, disserter sur l’éclat, le scintillement, la tenue ou la transparence des teintes ? La conversation devenait absurde, complètement abstraite, presque philosophique. Je commençais à en avoir marre et j’avais envie de partir. Je me demandai ce que Franz aurait pensé de tout ça. Comme je le connaissais, il aurait probablement dit que le vieux Juif faisait peut-être exprès de ne pas utiliser le courant, comptant sur la précipitation d’Ernst pour liquider des produits de qualité moyenne, que personne n’aurait jamais achetés en plein jour. Je m’avançai vers l’interrupteur, mais les ténèbres ne refluèrent pas ; le commerçant m’expliqua qu’hélas, le courant ne marchait plus, depuis la veille. Il reprit sa conversation avec Ernst ; il en était maintenant à lui parler d’un noir aux reflets argentés, qui conviendrait peut-être pour la calandre et le pare-choc de sa voiture. Ernst hésitait : l’appliquer, cela voulait dire recommencer toute une partie de la composition, qui était presque achevée. Et puis, cette grosse plage de couleurs foncées, même si elle s’accompagnait de chatoiements métalliques, n’allait-elle pas assombrir, alourdir l’ensemble, le rendre moins attractif ?
Le tube coûtait deux Marks. C’était cher, d’autant qu’il était plus petit que les autres. C’était un produit nouveau, un peu révolutionnaire, qu’on expérimentait à peine. Ernst tournait, virait, j’avais envie de lui dire de se décider, d’en finir. J’étais à deux doigts de demander au vendeur s’il n’aurait pas un peu d’aspirine, mais je n’osais pas. A la fin, le peintre, qui semblait proche de l’apoplexie, se résolut sur un mouvement d’humeur. Il s’empara convulsivement de l’objet, fourra quelques pièces dans la main du vieil homme. En un instant l’affaire fut conclue. Nous gagnâmes la sortie. Le commerçant ferma la porte à clé et, à l’aide d’une manivelle, il fit descendre le restant de grille, pressé de rejoindre le fond de la boutique pour finir son souper.
Dehors à nouveau. Cette fois-ci, il faisait presque nuit. L’esprit ailleurs, déjà en train d’appliquer ses coups de brosse, Ernst reprit la route de son domicile, ses précieuses couleurs à la main, serrées dans ses paumes, comme s’il avait capturé un moineau et voulait l’empêcher de s’échapper. Constatant qu’il avait oublié jusqu’à mon existence, je décidai d’en faire autant, de regagner mes pénates, le 8 Bertastrasse, où on m’attendait sans doute.



... Voilà. Je voudrais vraiment faire comprendre que je ne porte pas de jugements, ni sur les Juifs ni sur personne, et que je ne fais qu'essayer de montrer un personnage qui, lui, bascule peu à peu dans le nazisme. Louis Malle a montré, à travers Lacombe Lucien, comment on pouvait se laisser séduire, par le pouvoir, par le fait de porter une arme, d'être du côté de ceux qui décident et imposent leur vues par la force. Mais ce qui rend mon travail difficile, c'est que j'ai choisi de présenter le roman à la première personne. Il me paraissait impossible d'en rester à une vue distante si je voulais faire comprendre comment Wolfgang, peu à peu, se soumettait à l'influence de Franz. Je voulais vraiment montrer son paysage intérieur, ses fantasmes, comment par exemple il délire sur le piano à queue qui retourne à l'état sauvage, ou sur la forme du visage de sa grand-mère. Je voulais que le Wolfgang initial, celui du début du roman, soit un rêveur, un introverti : ça n'en donne que plus de relief à son changement. Si j'étais parti du portrait d'un gamin bagarreur et brutal, ça aurait atténué ma démonstration. Je veux montrer comment l'idéologie nazie va corrompre ce personnage, simplement par le biais de l'influence, de la cooptation, des défis que se lancent les jeunes, de ce besoin d'amitié si fort qu'il va jusqu'à pousser certains à en suivre d'autres. Un peu comme dans le roman de Robert Musil, "Les désarrois de l'élève Torless". Non pas que je me compare à lui, mais j'essaie de faire de mon mieux.

Je ne voudrais pas que "mon" mieux, soit le pire de certains.

Il me parait difficile d'écrire sur un époque horrible sans livrer un récit horrible.

A vous lire,

Ubik.


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 Sujet du message : Re: On se relit, on modifie...
Message Publié : 25 Nov 2008 15:30 
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Georges Duby
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ubik a écrit :
Il me parait difficile d'écrire sur une époque horrible sans livrer un récit horrible. A vous lire.
OK, on va donc avoir des nazis dont on verra bien par le texte le côté anormal, horrible , des jeunes HJ fanatisés par la propagande, qui sera bien montrée, des dénonciations que le lecteur, à la différence du héros, percevra comme révoltantes, tout ce qui montre bien une "époque horrible" comme vous dites, même si certains ne le voient pas encore et que d'autres admirent le régime. Comme cela l'auteur ne sera pas dans le récit et il montrera qu'il ne le cautionne pas. Tout est là! C'est ainsi qu'ont fait vos collègues traitant ce sujet. Et à la fin, les idiots utiles comprennent et les excités sont punis comme dans Lucien Lacombe, si ma mémoire ne me trahit pas. La fin sera aussi horrible, comme elle l'a d'ailleurs été dans la réalité.

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